Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 mai 2023, 21-22.281 21-22.912, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


M. SOMMER, président



Arrêt n° 527 FS-B


Pourvois n°
C 21-22.281
P 21-22.912 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2023

I - Mme [K] [H], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-22.281,

II - Mme [M] [D], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-22.012,

contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige les opposant.

La demanderesse au pourvoi n° C 21-22.281 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° P 21-22.012 invoque également, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de Mme [H], de Me Bouthors, avocat de Mme [D], de l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mmes Lecaplain-Morel, Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-22.281 et 21-22.912 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), Mme [H] (la salariée) a été engagée le 1er mars 2012 par contrat à durée indéterminée en qualité de préparatrice en pharmacie, responsable établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), par Mme [D] (l'employeur).

3. La salariée a été licenciée le 30 mars 2015.

4. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 21-12.281, de la salariée, et les trois moyens du pourvoi n° 21-22.912, de l'employeur

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 21-12.281

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour dépassement de l'amplitude horaire journalière, alors « que la méconnaissance des dispositions impératives relatives aux durées maximales de travail cause nécessairement un préjudice au salarié ; qu'en retenant pourtant, après avoir constaté que la salariée avait exécuté des journées de travail de plus de 10 heures, qu'"elle ne démontre avoir subi aucun préjudice à ce titre, lequel ne peut être nécessaire mais doit être établi", la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3121-34 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

7. Aux termes du texte susvisé, la durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret.

8. Ces dispositions participent de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

9. Pour rejeter la demande de la salariée en paiement de dommages-intérêts pour dépassement de l'amplitude horaire journalière, l'arrêt, après avoir constaté qu'elle avait exécuté des journées de travail de plus de dix heures, retient que l'intéressée ne démontre pas avoir subi un préjudice à ce titre.

10. En statuant ainsi, alors que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen du pourvoi n° 21-22.281

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul et en rappel de salaires pendant la période de protection, alors « que aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté ; qu'est nul le licenciement prononcé alors que l'employeur avait connaissance de l'état de grossesse de la salariée s'il n'est pas justifié par une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou par l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement ; qu'en l'espèce, l'exposante soulignait que son licenciement était nul dès lors que l'employeur avait connaissance de son état de grossesse dont il a même fait état dans la lettre de licenciement ; que la cour d'appel, qui a constaté que Mme [H] n'avait commis ni faute lourde, ni faute grave, a refusé de prononcer la nullité du licenciement au prétexte que "la protection n'est prévue que pendant l'intégralité des périodes de suspension de travail et il n'est pas établi que le licenciement soit intervenu pendant cette période" ; qu'en statuant ainsi, quand la protection de la salariée en état de grossesse court dès que l'employeur a connaissance de cet état, et non uniquement pendant la période de suspension du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1225-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

12. Aux termes de ce texte, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

13. Pour rejeter les demandes de la salariée en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul et d'un rappel de salaires pendant la période de protection, l'arrêt relève que la salariée indique que l'employeur avait connaissance de son état de grossesse. Il ajoute que la protection n'est prévue que pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail, qu'il n'est pas établi que le licenciement soit intervenu pendant cette période. Il retient que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

14. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave et que la salariée invoquait la connaissance que l'employeur avait de son état de grossesse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du rejet de la demande au titre du licenciement nul entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur au paiement de sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

16. La cassation prononcée sur les premier et troisième moyens du pourvoi n° 21-22.281 ne remet pas en cause les dispositions de l'arrêt statuant sur les dépens et les demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sont justifiées par d'autres condamnations de l'employeur et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 21-22.912 formé par Mme [D] ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il condamne Mme [D] à payer à Mme [H] les sommes de 5 763,94 euros à titre d'indemnité de préavis, 576,39 euros de congés payés afférents, 2 642,71 euros d'indemnité de licenciement, rejette les demandes de Mme [H] en dommages-intérêts pour dépassement de l'amplitude horaire journalière, en dommages-intérêts pour licenciement nul et en paiement d'un rappel de salaire au titre de la période de protection, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [D] et la condamne à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois. ECLI:FR:CCASS:2023:SO00527
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