Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 septembre 2022, 21-11.846, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 698 F-D

Pourvoi n° K 21-11.846








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

La société Jarmenil H.E, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° K 21-11.846 contre l'arrêt rendu le 9 décembre 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [W] [U] [Z] et [C] [R], notaires associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à Mme [V] [A], domiciliée [Adresse 7],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kloda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Jarmenil H.E, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [W] [U] [Z] et [C] [R], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [A], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kloda, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 9 décembre 2020), par acte du 19 novembre 2014, reçu par M. [U] [Z], notaire, associé de la société civile professionnelle [W] [U] [Z] et [C] [R] (la SCP), Mme [A] a vendu à la société Jarmenil H.E (la société) un bien immobilier.

2. Soutenant qu'alors que Mme [A] s'était contractuellement engagée à lui vendre également trois autres parcelles contiguës, elle les avait vendues en fraude de ses droits à un tiers, M. [D], entraînant l'enclavement de son fonds, la société a sollicité la condamnation de celle-ci à prendre en charge les coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété de ce tiers.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de Mme [A] à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2], alors « que le débiteur, qui s'abstient d'exécuter l'obligation à laquelle il s'est engagé, est tenu de réparer le préjudice que cette inexécution a causé à son cocontractant ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions, la société faisait valoir que si, selon compromis de vente du 28 mai 2014, Mme [A] s'était engagée à lui céder la propriété des parcelles n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5], elle n'avait pas hésité à violer les termes de ce compromis, dont la validité n'avait pourtant jamais été remise en cause, en cédant lesdites parcelles à un tiers, M. [D] ; que la société ajoutait que cette inexécution contractuelle lui causait préjudice puisqu'elle la privait d'une partie de la propriété qu'elle convoitait et que la parcelle n° [Cadastre 2], dont elle était propriétaire par ailleurs, se trouvait désormais enclavée dans la propriété de M. [D], l'empêchant d'y accéder ; qu'en réparation de son préjudice, la société demandait que Mme [A] soit condamnée à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété de M. [D] au profit de sa parcelle n° [Cadastre 2] ; qu'en refusant de faire droit à cette demande, aux motifs en réalité inopérants que Mme [A] était dépourvue de tous droits sur les fonds concernés, la cour d'appel, qui a méconnu la force obligatoire du compromis du 28 mai 2014, a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 1147, devenus 1103 et 1231-1, du code civil :

5. Il résulte de ces textes que le débiteur, qui s'abstient d'exécuter l'obligation à laquelle il s'est engagé, est tenu de réparer le préjudice que cette inexécution a causé à son cocontractant.

6. Pour rejeter la demande de condamnation de Mme [A] à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété de M. [D], l'arrêt retient que Mme [A] est dépourvue de tous droits sur les fonds dominants.

7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure le droit de la société à obtenir la réparation du préjudice causé par le manquement de Mme [A] à ses obligations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

Demande de mise hors de cause

8. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la SCP, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Jarmenil H.E de condamnation de Mme [A] à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2], l'arrêt rendu le 9 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Met hors de cause la SCP [W] [U] [Z] et [C] [R] ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne Mme [A] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de Mme [A] et de la société civile professionnelle [W] [U] [Z] et [C] [R], et condamne Mme [A] à payer à la société Jarmenil H.E la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société Jarmenil H.E

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Jarmenil HE de sa demande tendant à condamner à titre principal la SCP [W] [U] [Z] et [C] [R] Notaires associés à lui verser la somme de 92.698,75 € à titre de dommages-intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la date de réception, le 23 mai 2016, de la mise en demeure adressée à ce sujet à chacun des défendeurs ;

AUX MOTIFS QUE sur le fond, l'appelant principal, la SCP [W] [U] [Z] et [C] [R], sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SARL Jarmenil HE la somme de 23.049,69 € avec intérêts au taux légal à compter du jugement ; qu'elle développe plusieurs moyens à l'appui de sa critique du jugement, qu'il convient d'examiner successivement ; que le fait qu'elle ne soit intervenue que pour donner une forme authentique à l'accord parfait déjà conclu entre les parties hors la présence et l'intervention du notaire n'est pas déterminant, le notaire restant tenu d'un devoir d'information et de conseil ; qu'il n'est pas, dans le même temps, reproché par les premiers juges au notaire de ne pas s'être immiscé dans les affaires de ses clients, et plus précisément s'agissant de la renégociation du prix, ce qui est effectivement interdit ; qu'il n'est pas contesté que les obligations légales formelles ont été respectées, comme relevé par les premiers juges, qu'il s'agisse du dossier de diagnostic technique (comprenant notamment l'état des risques naturels, miniers et technologiques, qui porte la mention « vu » et la signature des parties, et mentionne « PPRI approuvé le 20/08/2002 : Bien situé en secteur à aléa très fort ») et de l'attestation d'urbanisme (où est cochée la case « PPR inondation : Zone inondable »), annexés à l'acte de vente ; qu'en outre, l'acte de vente mentionne, dans son corps même, explicitement : - au paragraphe « Dispositions relatives à l'urbanisme » l'attestation d'urbanisme délivrée qu'elle reprend in extenso dans ses indications relatives au plan de prévention des risques et il est précisé au terme de ce paragraphe « L'acquéreur s'oblige à faire son affaire personnelle de l'exécution des charges et des prescriptions, du respect des servitudes publiques et autres limitations administratives au droit de propriété mentionnées sur les documents sus visés, sans recours contre le vendeur qu'il décharge de toutes garanties à cet égard, même en ce qui concerne les modifications qui ont pu intervenir depuis la date de délivrance desdits documents », - au paragraphe « Plan de prévention des risques » : « Le plan de prévention des risques est un document élaboré par les services de l'État avec pour but d'informer, à l'échelle communale, de l'existence de zones à risques, et de définir, pour ces zones, les mesures nécessaires à l'effet de réduire les risques à l'égard de la population A cet effet, un état est établi à partir des informations mises à disposition par le préfet.

État des risques : un état des risques établi par le Cabinet [B] [F], susdénommé, en date du 6 novembre 2014 fondé sur les informations mises à disposition par le Préfet est ci-annexé. A cet état sont joints : - la cartographie du ou des risques majeurs existants sur la commune avec localisation du bien concerné par le plan cadastral. – la liste des arrêtés de catastrophe naturelle de la commune.Plan de prévention des risques naturels : l'immeuble est situé dans le périmètre d'un plan de prévention des risques naturels approuvé le 20 août 2002. Les risques pris en compte sont : inondation. Le bien objet des présentes est situé en secteur à aléa très fort. Aucun travaux prescrit. [?] », - au paragraphe « Information de l'acquéreur » : « L'acquéreur déclare ici avoir pris connaissance préalablement à la signature du présent acte de vente des anomalies révélées par les diagnostics techniques immobiliers obligatoires dont les rapports demeureront annexés » ; qu'il s'en déduit que l'attention des parties à l'acte notarié, notamment celle de l'acquéreur, avait été clairement attirée par le notaire sur le risque d'inondation ; que l'appelante principale fait valoir, de manière fondée, que le notaire n'était pas tenu de procéder lui-même à des mesures techniques ou matérielles d'investigations supplémentaires et n'avait pas l'obligation de consulter le PPRI ou son rapport de présentation, ni d'annexer celui-ci à l'acte, étant observé en sus que ce dernier, régulièrement publié, pouvait être recherché et consulté par l'acquéreur, aussi bien que par le vendeur ; que, de même, il n'appartenait pas au notaire de retracer l'historique des hauteurs et débits d'eau atteints lors des crues précédentes intervenues dans la commune et les communes avoisinantes, ni au niveau du moulin, et de donner une appréciation quant au caractère effectif de l'habitabilité du bien ; que, dans ces conditions, il ressort des éléments soumis à l'appréciation de la cour que le notaire à satisfait à son obligation d'information et de conseil ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la SCP notariale à payer à la SARL Jarmenil HE la somme de 23.049,69 € avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement, et la SARL Jarmenil HE sera déboutée de ses demandes principales et subsidiaire de condamnation de la SCP notariale à lui verser des dommages et intérêts ; que les demandes en sens contraire des parties seront rejetées ;

1) ALORS QUE tout notaire a l'obligation de refuser de prêter son concours à la rédaction d'un acte de vente portant sur un bien dont il sait qu'il est, en raison de son emplacement géographique, susceptible de présenter un risque pour la vie et la sécurité de ses occupants ; que dès lors, commet une faute de nature à engager sa responsabilité le notaire qui accepte de passer un acte de vente relatif à un bien destiné à être habité lorsque ce bien est signalé, par un plan de prévention des risques approuvé, comme se trouvant en zone rouge et qu'il n'est pas démontré que des mesures ont été prescrites pour se prémunir de la survenance d'une catastrophe naturelle dans cette zone ; Qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il ressortait des mentions de l'acte authentique de vente que le moulin appartenant à Mme [A], que la société Jarmenil HE projetait d'acquérir à usage d'habitation, était « situé dans le périmètre d'un plan de prévention des risques naturels approuvé le 20 août 2002 », qu'il était « cartographié en zone rouge » et qu'il était soumis à un risque d'inondation contre lequel aucune mesure n'était prescrite (arrêt, p. 8 et p. 10 § 1) ; qu'en écartant toute faute du notaire qui avait passé cet acte de vente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE lorsque le bien vendu est destiné à être habité et qu'il est signalé par un plan de prévention des risques d'inondations (PPRI) approuvé comme se trouvant en zone rouge, le notaire a l'obligation de consulter ledit PPRI et de l'annexer à l'acte de vente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il ressortait des mentions de l'acte authentique de vente que le moulin appartenant à Mme [A], que la société Jarmenil HE projetait d'acquérir à usage d'habitation, était situé dans le périmètre d'un PPRI approuvé le 20 août 2002, qu'il était situé dans une « zone inondable », « en secteur à aléa très fort » et était même « cartographié en zone rouge » (arrêt, p. 8 et p. 10 § 1) ; qu'en retenant que le notaire, qui avait passé cet acte de vente, « n'avait pas l'obligation de consulter le PPRI ou son rapport de présentation, ni d'annexer celui-ci à l'acte » (arrêt, p. 9 § 1), la cour d'appel a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, ensemble les articles L. 125-2 et L. 125-5 du code de l'environnement, dans leur version applicable à la cause ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE lorsque le bien vendu est destiné à être habité et qu'il est signalé par un PPRI approuvé comme se trouvant en zone rouge, le notaire doit fournir à l'acquéreur une information complète et circonstanciée des dangers auxquels il s'expose et ne peut se contenter de faire figurer dans son acte une mention générique, précisant simplement que le bien est situé en « zone inondable » et « en secteur à aléa très fort » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le moulin appartenant à Mme [A], que la société Jarmenil HE projetait d'acquérir à usage d'habitation, était situé dans le périmètre d'un « PPRI approuvé le 20 août 2002 » et était « cartographié [par celui-ci] en zone rouge » et que le notaire s'était contenté d'indiquer dans l'acte authentique de vente que le moulin litigieux était situé dans une « zone inondable », « en secteur à aléa très fort », sans donner à la société Jarmenil HE aucune autre précision sur les risques auxquels une telle acquisition l'exposait concrètement (arrêt, p. 8 et p. 10 § 1) ; qu'en retenant, pour écarter la responsabilité du notaire, qu'il se déduisait des mentions de l'acte de vente que « l'attention des parties à l'acte notarié, notamment celle de l'acquéreur, avait été clairement attirée par le notaire sur le risque d'inondation » (arrêt, p. 8 avant-dernier §), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a derechef violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, ensemble les articles L. 125-2 et L. 125-5 du code de l'environnement, dans leur version applicable à la cause ;

4) ALORS, en toute hypothèse, QUE le notaire a l'obligation de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions, la société Jarmenil faisait valoir que le notaire, qui savait que le bien vendu était situé en zone inondable du PPRI et que la société Jarmenil HE entendait en faire un usage d'habitation, avait l'obligation de vérifier, notamment en consultant le contenu dudit PPRI, régulièrement publié, qu'il n'existait aucune contradiction entre les déclarations de Mme [A], selon laquelle le moulin était habitable en ses 1er et 2nd étages, et le risque d'inondation auquel ledit moulin était réellement exposé et de nature à compromettre l'habitation effective des lieux (concl., p. 56 avant-dernier §, p. 57 § 1, p. 59 in fine et p. 60 § 1) ; qu'en retenant, pour écarter toute responsabilité de sa part, que le notaire « n'avait pas l'obligation de consulter le PPRI ou son rapport de présentation » et qu'il ne lui appartenait pas davantage « de retracer l'historique des hauteurs et débits d'eau atteints lors des crues précédentes intervenues dans la commune et les communes avoisinantes, ni au niveau du moulin, et de donner une appréciation quant au caractère effectif de l'habitabilité du bien » (arrêt, p. 9 § 1), la cour d'appel a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, sur les rapports entre la société Jarmenil HE et Mme [A], rejeté toutes autres demandes de la société Jarmenil HE ;

AUX MOTIFS QUE l'acte de vente notarié liant Mme [V] [A] et la SARL Jarmenil HE stipule dans le paragraphe « Etat du bien » que « l'acquéreur prend le bien dans l'état où il se trouve au jour de l'entrée en jouissance, sans recours contre le vendeur, pour quelque cause que ce soit notamment en raison : * des vices apparents * des vices cachés et ce par dérogation à l'article 1643 du Code civil. S'agissant des vices cachés, il est précisé que cette exonération de garantie ne s'applique pas : * si le vendeur a la qualité de professionnel de l'immobilier ou de la construction, où s'il est réputé ou s'est comporté comme tel, * s'il est prouvé par l'acquéreur, dans les délais légaux, que les vices cachés étaient en réalité connus du vendeur » ; que la SARL Jarmenil HE, appelant incident, ne peut contester sa qualité d'acheteur professionnel, la société ayant pour objet, suivant ses statuts « L'exploitation de centrales hydroélectriques [?] La participation de la Société, par tous moyens, directement ou indirectement, dans toutes opérations pouvant se rattacher à son objet par voie de création de sociétés nouvelles, d'apport, de souscription ou d'achat de titres ou de droits sociaux, de fusion ou autrement de création, d'acquisition, de location, de prise de location-gérance de tous fonds de commerce ou d'établissements ; la prise, l'acquisition, l'exploitation ou la cession de tous procédés ou brevets concernant ces activités ; Et généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières, civiles, mobilières ou immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou à tout objet similaire ou connexe » et connaissant les caractéristiques du fleuve Golo pour avoir, avant l'acquisition litigieuse, d'après ses propres écritures de première instance, acheté une « petite centrale hydroélectrique installée en dérivation du fleuve » ; qu'elle ne peut donc arguer de sa qualité d'acheteur profane, en affirmant n'être pas spécialisée dans le domaine immobilier ; que, comme souligné par Mme [A], la présomption simple de connaissance du vice n'est pas renversée par la SARL Jarmenil HE, qui ne justifie pas d'un caractère indécelable de celui-ci au moment de la vente, malgré sa qualité de professionnel, au sens de la jurisprudence ; qu'en effet, l'acheteur professionnel, qui avait clairement connaissance du caractère inondables du bien, situé à proximité immédiate du fleuve Golo, dans une zone inondable aléa très fort, et cartographié en zone rouge, ne démontre pas que le caractère totalement inondable, voire submersible du moulin était indécelable, tel qu'il l'expose, étant rappelé que le PPRI ou son rapport de présentation, régulièrement publié, pouvait être aisément recherché et consulté par lui, ce qui constituait une vérification élémentaire pour un acheteur sérieux ;

Que dans ces conditions, sans qu'il y ait besoin d'examiner les moyens développés par les parties relativement au caractère caché du vice et à l'application de la clause exonératoire de garantie des vices cachés insérée au contrat, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Jarmenil HE tendant à prononcer la résolution de la vente intervenue par acte du 19 novembre 2014 entre Mme [A] et elle, pour vices cachés, condamner Mme [A] – au titre de l'action rédhibitoire visant l'acte authentique du 19 novembre 2014 – à restituer la totalité du prix de vente à la société Jarmenil HE, soit la somme de 160.000 €, outre les frais d'acte notarié, frais de prêt et intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure réceptionnée le 23 mai 2016, à condamner Mme [A] (solidairement avec la SCP [W] [U] [Z] et [C] [R] Notaires associés) à lui verser la somme de 92.698,75 € à titre de dommages-intérêts (sur le fondement de l'article 1645 du code civil), outre les intérêts au taux légal à compter de la date de réception, le 23 mai 2016, de la mise en demeure adressée à ce sujet à chacun des défendeurs ;

1) ALORS QU'en matière de vice caché, l'acquéreur professionnel est celui qui dispose, de par l'activité qu'il exerce, des compétences nécessaires pour déceler le vice dont la chose est affectée; que dans ses conclusions, la société Jarmenil H.E. faisait valoir que si elle était une professionnelle de l'exploitation de centrales hydroélectriques, elle ne disposait, en revanche, d'aucune compétence particulière dans le domaine de l'immobilier lui permettant d'apprécier « l'inondabilité ou la submersibilité d'un logement présenté comme étant à usage d'habitation et dont en réalité l'occupation pour un tel usage est dangereuse » (concl., p. 33 § 1) ; qu'en retenant que, dans le cadre de la vente intervenue avec Mme [A] le 19 novembre 2014, la société Jarmenil HE avait la qualité d'acheteuse professionnelle, sans expliquer en quoi son activité d'exploitation de centrales hydroélectriques lui conférait les compétences nécessaires pour déceler le fait que le moulin, que Mme [A] lui avait présenté comme habitable en ses 1er et 2nd étages, ne pouvait en réalité servir d'habitation dans la mesure où il pouvait être entièrement submergé par les eaux du fleuve voisin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1642 du code civil ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE le vendeur reste tenu de la garantie des vices cachés lorsque la connaissance que l'acheteur avait du vice, au moment de la vente, n'était pas suffisante pour lui permettre d'en apprécier l'ampleur et les conséquences ; qu'en l'espèce, la société Jarmenil HE soutenait que si Mme [A] l'avait informée de ce que le rez-de-chaussée du moulin était susceptible d'être inondé par les eaux du fleuve voisin, ni les déclarations de la venderesse, ni les mentions de l'acte de vente du notaire, qui se contentaient de préciser que ledit moulin se trouvait dans une zone inondable, ne lui avaient permis de prendre connaissance de l'ampleur du vice et du caractère en réalité totalement submersible et donc inhabitable du bien (concl., p. 26-28) ;

Qu'en retenant qu'au regard des mentions de l'acte authentique de vente, la société Jarmenil HE « avait clairement connaissance du caractère inondable du bien, situé à proximité immédiate du fleuve Golo, dans une zone inondable aléa très fort, et cartographié en zone rouge » (jugement, p. 5 § 6 ; arrêt, p. 10, § 1), la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la connaissance par la société Jarmenil HE du vice dans son ampleur et ses conséquences au moment de la vente, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1642 du code civil ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QU'est indécelable le vice dont l'acquéreur, même professionnel, n'a pu se convaincre lui-même et qui ne peut être découvert qu'à l'occasion d'investigations poussées ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, pour prendre connaissance du caractère totalement submersible du moulin, il appartenait à la société Jarmenil HE de consulter le PPRI ou son rapport de présentation (jugement, p. 5 § 6 ; arrêt, p. 10 § 1) et que seule la consultation de ces documents, ajoutée à celle des données de la base hydro, permettaient une information complète à ce sujet (jugement, p. 5 § 9) ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que « le caractère totalement inondable, voire submersible du moulin était indécelable » par la société Jarmenil HE, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 1641 et 1642 du code civil ;

4) ALORS QU'il appartient au vendeur d'établir la véracité de ses déclarations concernant les qualités du bien vendu et non à l'acquéreur de s'assurer de leur exactitude ; que, dans ses conclusions, la société Jarmenil HE faisait valoir que, préalablement à la vente, Mme [A] avait déclaré que, sur les trois niveaux que comptait le moulin objet de la vente, seul le rez-de-chaussée était susceptible d'être inondé par les eaux du fleuve voisin, ce qui avait d'ailleurs conduit le notaire a désigné, dans son acte de vente, le bien vendu comme étant « un moulin ancien actuellement affecté principalement à usage d'habitation » (concl., p. 4 § 4 et p. 5 § 3) ; qu'en retenant que, pour apprécier le caractère entièrement submersible et, partant, habitable du moulin, la société Jarmenil HE ne pouvait se contenter des déclarations de Mme [A] et qu'elle s'était montrée négligente en ne consultant pas le PPRI, son rapport de présentation ou la base hydro, lesquels documents étaient seuls de nature à lui fournir une information complète à ce sujet (jugement, p. 5 § 9 ; arrêt, p. 10 § 1), la cour d'appel a violé l'article 1602 du code civil, ensemble l'article 1134 (devenue 1103) du code civil et l'article L. 125-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

5) ALORS QUE le vendeur d'un bien à usage d'habitation, situé dans une zone visée par un plan de prévention des risques d'inondation approuvé, est présumé connaître l'ampleur des risques d'inondation auxquels son bien est exposé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le moulin de Mme [A], vendu à usage d'habitation, était situé dans le périmètre d'un PPRI approuvé le 20 août 2002, « régulièrement publié » et qui « pouvait être recherché et consulté par l'acquéreur, aussi bien que par le vendeur » (arrêt, p. 9 § 1) ; qu'en retenant, par motifs adoptés, qu'il n'était pas démontré que Mme [A] avait connaissance du caractère entièrement submersible de son bien et que, partant, elle aurait été de mauvaise foi dans le cadre de la vente intervenue le 19 novembre 2014 avec la société Jarmenil HE, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 1641 et 1643 du code civil, ensemble l'article L. 125-2 du code de l'environnement, dans sa version antérieure au 1er juin 2015.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Jarmenil HE de sa demande de condamnation de Mme [A] à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2] ;

AUX MOTIFS QUE Mme [A] sollicite la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2] ; qu'elle critique de manière utile le jugement, qui a essentiellement retenu le défaut de réponse de Mme [A] dans ses écritures à la prétention adverse, pour fonder sa condamnation à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2], détenue par la SARL Jarmenil HE depuis le 15 février 2016 ; que, or, il s'agit de fonds sur lesquels Mme [A] est dépourvue de tous droits, comme relevé par cette appelante incidente ; que, dans ces conditions, conformément à l'article 698 du code civil, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné Mme [A] à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété [D] au profit de la parcelle n° [Cadastre 2], sans qu'il y ait lieu d'examiner le surplus des moyens développés par Mme [A] à l'appui de sa critique du jugement, ni les moyens opposés à ces égards par la SARL Jarmenil H.E. ;

1) ALORS QUE le débiteur, qui s'abstient d'exécuter l'obligation à laquelle il s'est engagé, est tenu de réparer le préjudice que cette inexécution a causé à son cocontractant ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions, la société Jarmenil HE faisait valoir que si, selon compromis de vente du 28 mai 2014, Mme [A] s'était engagée à lui céder la propriété des parcelles n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5], elle n'avait pas hésité à violer les termes de ce compromis, dont la validité n'avait pourtant jamais été remise en cause, en cédant lesdites parcelles à un tiers, M. [D] (concl., p. 40 in fine et p. 41 § 1-2) ; que la société Jarmenil HE ajoutait que cette inexécution contractuelle lui causait préjudice puisqu'elle la privait d'une partie de la propriété qu'elle convoitait et que la parcelle n° [Cadastre 2], dont la société Jarmenil HE était propriétaire par ailleurs, se trouvait désormais enclavée dans la propriété de M. [D], l'empêchant d'y accéder (concl., p. 41 § 4 et p. 42 § 2-3) ; qu'en réparation de son préjudice, la société Jarmenil HE demandait que Mme [A] soit condamnée à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété de M. [D] au profit de sa parcelle n° [Cadastre 2] (concl., p. 42 § 5) ;

Qu'en refusant de faire droit à cette demande, aux motifs en réalité inopérants que Mme [A] était dépourvue de tous droits sur les fonds concernés, la cour d'appel, qui a méconnu la force obligatoire du compromis du 28 mai 2014, a violé l'article 1134 (devenu 1103) du code civil, ensemble l'article 1147 (devenu 1231-1) du code civil ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE celui qui cause à autrui un dommage est tenu de le réparer ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions, la société Jarmenil HE faisait valoir, qu'en fraude de ses droits, Mme [A] avait cédé à M. [D] les parcelles n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] censées lui revenir, de sorte que la parcelle n° [Cadastre 2], dont la société Jarmenil HE était propriétaire, se trouvait désormais enclavée et qu'elle ne pouvait plus y accéder (concl., p. 40 in fine et p. 41) ; qu'à titre de réparation du préjudice ainsi causé par la faute de Mme [A], la société Jarmenil HE sollicitait sa condamnation à prendre en charge l'ensemble des frais et coûts inhérents à l'établissement d'une servitude de passage sur la propriété de M. [D], destinée à désenclaver sa parcelle (concl., p. 42 § 5) ; qu'en refusant de faire droit à cette demande, aux motifs en réalité inopérants que Mme [A] était dépourvue de tous droits sur les fonds concernés, la cour d'appel a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil.ECLI:FR:CCASS:2022:C100698
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