Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juillet 2017, 16-10.793, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la caisse de Crédit mutuel de Villeneuve-lès-Avignon que sur le pourvoi incident relevé par Mme X... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 novembre 2015), qu'afin de financer la création d'un commerce de puériculture, la Caisse de Crédit mutuel de Villeneuve-lès-Avignon (la Caisse) a, par un acte du 5 octobre 2010, consenti à la société KP Jade un prêt d'un montant de 81 000 euros, garanti par le cautionnement souscrit le même jour par Mme X..., gérante de cette société, dans la limite de 48 600 euros et pour une durée de neuf ans ; que, le 6 mai 2011, la Caisse a consenti à la société une facilité de caisse d'un montant de 8 400 euros, en garantie de laquelle Mme X... s'est rendue caution, dans la limite de cette seule somme et pour une durée de vingt-quatre mois ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la Caisse, après avoir déclaré ses créances, a assigné en paiement la caution, qui a recherché sa responsabilité ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que la Caisse fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme X... la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêt au taux légal, alors, selon le moyen :

1°/ que la banque n'est tenue d'un devoir de mise en garde relatif au risque d'endettement qu'envers la caution non avertie ; que la caution dirigeante du débiteur garanti doit être considérée comme avertie, sauf circonstances particulières ; qu'en l'espèce, la Caisse faisait valoir que Mme X... dirigeait la société KP Jade, dont elle était l'unique associée, et qu'elle détenait toutes les informations nécessaires pour apprécier la portée des engagements souscrits comme en attestaient plusieurs documents comptables prévisionnels ; que la cour d'appel a pourtant considéré que Mme X... était une caution non avertie en "l'absence de formation particulière et d'expérience [...] en matière de gestion de société" et dès lors qu'il n'était pas démontré "qu'elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux réels et les risques liés à l'octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution" ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs généraux impropres à exclure la qualité de caution avertie, et tandis qu'elle avait constaté que Mme X... était dirigeante de la société cautionnée et qu'elle avait eu recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels, ce dont il résultait que Mme X... avait la qualité de caution avertie et que la Caisse n'était redevable envers elle d'aucun devoir de mise en garde sur le risque d'endettement lié à la souscription du cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que le banquier n'est tenu d'un devoir de mise en garde envers la caution non avertie qu'à la condition de démontrer l'octroi par la banque cautionnée d'un crédit excessif au débiteur garanti ; que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci, que si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs ; qu'en l'espèce, la Caisse faisait valoir que la société KP Jade avait été placée en redressement judiciaire le 8 juin 2011 et que Mme X... ne démontrait, ni le caractère fautif de l'octroi du prêt ni l'un des cas d'ouverture prévu par l'article L. 650-1 du code de commerce ; que la cour d'appel a considéré que "l'endettement excessif lié à l'octroi du prêt de 81 000 euros est établi alors que s'ajoutait d'emblée le loyer de 1 195 euros par mois aux échéances de remboursement du crédit de 1 1134,90 euros par mois", et relevé que Mme X... avait eu la volonté d'obtenir initialement un prêt de 46 875 euros, qu'elle avait effectué des travaux pour un montant de 62 341,64 euros, les lieux ayant été transformé par la Caisse après le départ de la société KP Jade, qu'une facilité de caisse avait été octroyée à la société KP Jade alors "en difficulté financière importante", que M. Y..., dirigeant de la SCI bailleresse avait, en cette dernière qualité, refusé un report de règlement des loyers après avoir donné un "avis particulièrement négatif sur le chiffre d'affaires et les perspectives d'évolution de la société" et que la banque était "intéressée à l'opération de rénovation des locaux" ; qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser en quoi l'octroi du prêt et de la facilité de caisse aurait été en soi fautif ni en quoi cet octroi, à le supposer fautif, aurait caractérisé une fraude ou une immixtion de la part de la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1 du code de commerce et de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu, d'une part, que, sous le couvert d'un grief infondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond qui, après avoir constaté que l'absence de formation particulière et d'expérience de Mme X... en matière de gestion de société n'était pas contestée et que la société dont elle avait cautionné les engagements venait d'être constituée, ont retenu que sa qualité de caution avertie ne saurait résulter de son seul statut de dirigeante de la société quand il n'était pas démontré qu'elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux réels et les risques liés à l'octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution, peu important qu'elle eût recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels ;

Attendu, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce régissent, dans le cas où le débiteur fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires, les conditions dans lesquelles peut être recherchée la responsabilité d'un créancier en vue d'obtenir la réparation des préjudices subis du fait des concours consentis ; qu'elles ne s'appliquent pas à l'action en responsabilité engagée contre une banque par une caution non avertie qui lui reproche de ne pas l'avoir mise en garde contre les risques de l'endettement né de l'octroi du prêt qu'elle cautionne, cette action tendant à obtenir, non la réparation d'un préjudice subi du fait du prêt consenti, lequel n'est pas nécessairement fautif, mais celle d'un préjudice de perte de chance de ne pas souscrire ledit cautionnement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de ce pourvoi, pris en sa première branche :

Attendu que la Caisse fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que le juge doit réparer le dommage sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en l'espèce, la Caisse soutenait que Mme X... ne pouvait se prévaloir, au mieux, que d'une perte de chance, laquelle était nulle puisque Mme X... ne démontrait pas que, même informée du risque d'endettement, elle n'aurait pas consenti les cautionnements litigieux, dans la mesure où elle avait un intérêt évident à garantir sa propre société ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que Mme X... avait perdu une chance de ne pas contracter du fait de la défaillance de la banque et d'éviter de se trouver ainsi débitrice de sommes envers la Caisse ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, même mise en garde, Mme X... aurait tout de même consenti les cautionnements litigieux afin de garantir la société KP Jade, dont elle était la gérante et l'unique associée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que Mme X... n'a pas été alertée par la banque sur le risque de non-remboursement du prêt excessif consenti, le 5 octobre 2010 à la société KP Jade et sur les conséquences qui allaient en découler sur sa situation patrimoniale et qu'elle a même souscrit un deuxième engagement de caution le 6 mai 2011 dans le cadre de la facilité de caisse accordée à la société KP Jade alors en difficulté financière importante, l'arrêt relève que Mme X... voulait initialement obtenir un financement bancaire d'un montant de 46 785 euros avec des immobilisations corporelles prévues pour un montant de 21 400 euros, mais que la société KP Jade a souscrit un prêt de 81 000 euros après avoir conclu un bail commercial, moyennant un loyer annuel fixé à 21 600 euros HT, dont la suspension était prévue jusqu'en janvier 2011 afin de lui permettre de réaliser des travaux de rénovation et d'aménagement, ce qu'elle a fait pour un montant de 62 341,64 euros, et qui ont profité à la Caisse, puisque le bailleur, qui était sa filiale, était intéressé à l'opération de rénovation des locaux ; que, par ces constatations et appréciations, faisant ressortir que si elle avait été mise en garde, Mme X... ne se serait pas nécessairement engagée, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, ni sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel :

REJETTE le pourvoi principal  ;

Condamne la caisse de Crédit mutuel Villeneuve-lès-Avignon aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la caisse de Crédit mutuel de Villeneuve-lès-Avignon, demanderesse au pourvoi principal


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon à payer à Mme Annie X... la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter du 15 mars 2013 et d'avoir condamné la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon à payer à Mme Annie X... la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Attendu que l'établissement bancaire qui consent un crédit est tenu d'une obligation de mise en garde envers la caution non avertie au regard des capacités financières de celui-ci et du risque de l'endettement excessif né de l'octroi du prêt ; Attendu qu'en l'espèce la société KP Jade venait d'être constituée ; que l'absence de formation particulière et d'expérience de Mme Annie X... en matière de gestion de société n'est pas contestée ; que sa qualité de caution avertie ne saurait résulter de son seul statut de dirigeante de la société alors qu'il n'est pas démontré qu'elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux réels et les risques liés à l'octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution ; que Mme Annie X... doit être considérée comme une dirigeante et une caution non avertie envers laquelle la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon était tenue d'un devoir de mise en garde lequel persistait nonobstant l'établissement de documents prévisionnels ; qu'en effet, le recours à un cabinet extérieur ne dispensait nullement la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon de son obligation ; que Mme Annie X... démontre sa volonté d'obtenir initialement un financement bancaire d'un montant de 46 785 euros avec des immobilisations corporelles prévues pour un montant de 21 400 euros (cf documents prévisionnels nº1) ; que le 21 septembre 2010, la Société Civile Immobilière Sud Europe Méditerranée représentée par son gérant, M. Léon Y..., a consenti à la société KP Jade un bail commercial concernant un local situé au rez-de-chaussée de l' immeuble situé [...]                        moyennant un loyer annuel fixé à 21 600 euros HT, étant observé que le bailleur acceptait le paiement des loyers à compter du 01 janvier 2011 pour permettre au preneur de réaliser des travaux d'aménagement ; qu'il résulte d'une correspondance électronique du 27 mai 2011 que M. Léon Y... est directeur général adjoint du Crédit Mutuel ; Que le prêt de 81 000 euros a été souscrit le 5 octobre 2010 ; que Mme Annie X... justifie, au moyen des factures versées aux débats, des travaux de rénovation du local loué (plomberie, maçonnerie, peinture, plafonds, sols, cloisons, électricité, climatisation, vitrages, rideaux métalliques) réalisés entre les mois d'octobre et de décembre 2010 pour un montant de 62 341,64 euros ; que les photographies produites attestent de la transformation des lieux et de leur occupation par le Crédit Mutuel après la cessation d'activité de la société KP Jade ; que l'endettement excessif lié à l'octroi du prêt de 81 000 euros est établi alors que s'ajoutait d'emblée le loyer de 1195 euros par mois aux échéances de remboursement du crédit de 1134,90 euros par mois ; que Mme Annie X... n'a pas été alertée par la banque sur le risque de non-remboursement de l'obligation principale et sur les conséquences qui allaient en découler sur sa situation patrimoniale ; qu'elle a même souscrit un deuxième engagement de caution le 6 mai 2011 dans le cadre de la facilité de caisse accordée à la société KP Jade en difficulté financière importante ; attendu que pour refuser un report de règlement des loyers le 27 mai 2011, M. Léon Y..., directeur de l'agence du Crédit Mutuel et gérant de la Société Civile Immobilière Sud Europe Méditerranée, bailleur, lui a en cette qualité donné un avis particulièrement négatif sur le chiffre d'affaires et les perspectives d'évolution de la société exprimé en ces termes : « Comme je vous l'avais clairement exprimé durant notre rencontre du 9 mai dernier, il est exclu que nous reconsidérions le montant de notre loyer. Dans le meilleur des cas, je m'étais engagé à examiner la possibilité d'un report de un à deux mois de loyer, sachant que je vous avais déjà offert trois mois de gratuité, lors de la mise à disposition des locaux, en septembre dernier. J'ai pris le temps avant de vous répondre, car j'avais besoin de tout bien peser et notamment d'essayer d'apprécier les perspectives et le calendrier de réalisation d'un chiffre d'affaires suffisant pour vous permettre de sortir de l'impasse actuelle. Pour cela, il y a lieu d'évaluer le chiffre d'affaires minimum qui vous permettrait de régler, vos fournisseurs, vos charges fixes et de vous servir un minimum de revenus. J'estime, pour ma part, que le point mort permettant de satisfaire à l'objectif énoncé ci-avant est de 15.000 €/mois de Chiffre d'Affaires. Cela signifie qu'il vous faut multiplier par trois le chiffre d'affaires actuel. .. alors même que l'on rentre dans la période estivale. Je crains que l'atteinte de cet objectif soit inaccessible dans un délai raisonnable et donc, que votre situation ne se dégrade encore plus. En conséquence de quoi, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de répondre favorablement à un quelconque report de règlement des loyers. J'en suis sincèrement désolé. » ; attendu que le manquement de la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon à son devoir de mise en garde est d'autant plus caractérisé que la banque, par le biais de sa filiale la Société Civile Immobilière Sud Europe Méditerranée, était intéressée à l'opération de rénovation des locaux ; Attendu que les travaux importants financés par le prêt ont finalement bénéficié au bailleur et à travers lui à la banque qui a pris possession des locaux rénovés après la défaillance de la société KP Jade placée en redressement judiciaire le 8 juin 2011 puis en liquidation judiciaire le 29 novembre 2011 » (cf. arrêt, p. 5 à 7) ;

ALORS en premier lieu QUE la banque n'est tenue d'un devoir de mise en garde relatif au risque d'endettement qu'envers la caution non avertie ; que la caution dirigeante du débiteur garanti doit être considérée comme avertie, sauf circonstances particulières ; qu'en l'espèce, la CCM faisait valoir que Mme X... dirigeait la société KP Jade, dont elle était l'unique associée, et qu'elle détenait toutes les informations nécessaires pour apprécier la portée des engagements souscrits comme en attestaient plusieurs documents comptables prévisionnels (concl., p. 7) ; que la cour d'appel a pourtant considéré que Mme X... était une caution non avertie en « l'absence de formation particulière et d'expérience [
] en matière de gestion de société » (arrêt, p. 5 dernier §) et dès lors qu'il n'était pas démontré « qu'elle disposait des compétences pour mesurer les enjeux réels et les risques liés à l'octroi du prêt ainsi que la portée de son engagement de caution » (arrêt, p. 6 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs généraux impropres à exclure la qualité de caution avertie, et tandis qu'elle avait constaté que Mme X... était dirigeante de la société cautionnée et qu'elle avait eu recours à un cabinet extérieur pour établir des documents prévisionnels, ce dont il résultait que Mme X... avait la qualité de caution avertie et que la CCM n'était redevable envers elle d'aucun devoir de mise en garde sur le risque d'endettement lié à la souscription du cautionnement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

ALORS en deuxième lieu, et subsidiairement, QUE le banquier n'est tenue d'un devoir de mise en garde envers la caution non avertie qu'à la condition de démontrer l'octroi par la banque cautionnée d'un crédit excessif au débiteur garanti ; que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci, que si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs ; qu'en l'espèce, la CCM faisait valoir que la société KP Jade avait été placée en redressement judiciaire le 8 juin 2011 et que Mme X... ne démontrait, ni le caractère fautif de l'octroi du prêt, ni l'un des cas d'ouverture prévu par l'article L. 650-1 du code de commerce (concl., p. 6) ; que la cour d'appel a considéré que « l'endettement excessif lié à l'octroi du prêt de 81.000 € est établi alors que s'ajoutait d'emblée le loyer de 1.195 € par mois aux échéances de remboursement du crédit de 1.1134,90 € par mois » (arrêt, p. 6 § 8), et relevé que Mme X... avait eu la volonté d'obtenir initialement un prêt de 46.875 € (arrêt, p. 6 § 3), qu'elle avait effectué des travaux pour un montant de 62.341,64 €, les lieux ayant été transformé par le CCM après le départ de la société KP Jade (arrêt, p. 6 § 7), qu'une facilité de caisse avait été octroyée à la société KP Jade alors « en difficulté financière importante » (arrêt, p. 6 § 10), que M. Y..., dirigeant de la SCI bailleresse avait, en cette dernière qualité, refusé un report de règlement des loyers après avoir donné un « avis particulièrement négatif sur le chiffre d'affaires et les perspectives d'évolution de la société » (arrêt, p. 6 § 11) et que la banque était « intéressée à l'opération de rénovation des locaux » (arrêt, p. 7 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser en quoi l'octroi du prêt et de la facilité de caisse aurait été en soi fautif, ni en quoi cet octroi, à le supposer fautif, aurait caractérisé une fraude ou une immixtion de la part de la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1 du code de commerce et de l'article 1147 du code civil ;

ALORS en troisième lieu, à titre également subsidiaire, QUE le banquier n'est tenu d'un devoir de mise en garde envers la caution non avertie qu'à la condition qu'elle démontre un risque d'endettement excessif à raison de ses capacités financières ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la CCM avait manqué à son devoir de mise en garde envers Mme X... en considération de l'endettement excessif lié à l'octroi du prêt de 81.000 € puis d'une facilité de caisse importante (arrêt, p. 6 § 8 et 10), et du fait que la CCM était « intéressée à l'opération de rénovation des locaux » par le biais de sa filiale, la SCI Sud Europe Méditerranée, bailleur des locaux loués par la société KP Jade (arrêt, p. 7 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs seulement relatifs à la situation de la société cautionnée, sans caractériser le risque d'endettement excessif encouru par la caution à raison de ses capacités financières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.


SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon à payer à Mme Annie X... la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter du 15 mars 2013 et d'avoir condamné la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon à payer à Mme Annie X... la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Mme Annie X... a perdu une chance de ne pas contracter du fait de la défaillance de la banque et d'éviter de se trouver débitrice de sommes envers la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon ; qu'il y a lieu de condamner la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice avec intérêts au taux légal à la date à laquelle elle a formulé sa demande pour la première fois, soit par conclusions du 15 mars 2013, ainsi qu'il résulte des termes du jugement » (cf. arrêt, p. 7 § 3 et 4) ;

ALORS en premier lieu QUE le juge doit réparer le dommage sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ; que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en l'espèce la CCM soutenait que Mme X... ne pouvait se prévaloir, au mieux, que d'une perte de chance, laquelle était nulle puisque Mme X... ne démontrait pas que, même informée du risque d'endettement, elle n'aurait pas consenti les cautionnements litigieux, dans la mesure où elle avait un intérêt évident à garantir sa propre société (concl., p. 7) ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que Mme X... avait « perdu une chance de ne pas contracter du fait de la défaillance de la banque et d'éviter de se trouver ainsi débitrice de sommes envers la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon » (arrêt, p. 7 § 3) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, même mise en garde, Mme X... aurait tout de même consenti les cautionnements litigieux afin de garantir la société KP Jade, dont elle était la gérante et l'unique associée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

ALORS en deuxième lieu, et subsidiairement, QUE la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'il appartient au juge de déterminer le quantum de la chance perdue pour l'appliquer ensuite aux postes de préjudice en rapport avec la chance ainsi perdue ; qu'en l'espèce, Mme X... sollicitait l'indemnisation du préjudice résultant selon elle d'un manquement de la CCM à son devoir de mise en garde en l'évaluant à la somme totale de 50.000 € (concl. adv., p. 13) ; que la CCM soutenait que Mme X... ne pouvait se prévaloir, au mieux, que d'une perte de chance (concl., p. 7 § 10 et s.) ; que la cour d'appel, tout en retenant que Mme X... avait « perdu une chance de ne pas contracter du fait de la défaillance de la banque et d'éviter de se trouver ainsi débitrice de sommes envers la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve-lès-Avignon » (arrêt, p. 7 § 3), a néanmoins octroyé à cette caution la somme de 50.000 € à titre indemnitaire, soit la totalité du préjudice allégué par Mme X... (arrêt, p. 7 § 4) ; qu'en allouant ainsi à Mme X... la totalité de l'avantage qui aurait résulté de la chance perdue, sans mesurer la réparation à l'aune de la seule perte de chance, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme X..., demanderesse au pourvoi incident


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement de première instance en ses dispositions relatives à la condamnation de Mme Annie X..., ès qualité de caution, en paiement des sommes dues au titre du prêt et du compte professionnel ;

AUX MOTIFS QUE sur la demande en paiement de la Caisse de Crédit Mutuel Villeneuve les Avignon : sur la nullité des cautionnements : qu'aux termes de l'article L.341-2 du code de la consommation : « Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « en me portant caution de X
, dans la limite de la somme de
couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de
, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X
n'y satisfait pas lui-même » ; > le cautionnement du 5 octobre 2010 : que Mme Annie X... soutient que l'engagement de caution du 5 octobre 2010 a été signé par Eric X... tandis que la Caisse de crédit mutuel Villeneuve les Avignon rétorque qu'elle a bien apposé sa signature ; que Mme Annie X... a paraphé chaque page du contrat de prêt qu'elle a signé en qualité de représentante légale de la société KP Jade ; que sa signature correspond à celle qui apparaît sur le cautionnement sous les mentions manuscrites exigées par la loi et écrites de sa main ; que quelle que soit la qualité – non précisé par l'appelante – en laquelle M. Eric X... est intervenu pour écrire la mention « bon pour accord sur le présent engagemet », il est incontestable que Mme Annie X... née Kilian est bien la signataire de l'acte de caution ; que son argumentation ne peut prospérer ; > le cautionnement du 6 mai 2011 : que Annie X... allègue que l'engagement de caution du 6 mai 2011, non paraphé, comporte une erreur sur la durée du cautionnement qui aurait dû être de 38 mois au lieu de 24 mois et que cette erreur affecte un élément déterminant de son consentement ; que la Caisse de crédit Mutuelle Villeneuve les Avignon invoque de son côté la validité du cautionnement ; que l'absence de paraphe n'est pas une cause de nullité de l'engagement de la caution ; que l'acte du 6 mai 2011 comporte l'ensemble des mentions manuscrites dont celle afférente à la durée de l'obligation en l'occurrence de 24 mois ; que Mme Annie X... a souscrit pour cette durée et ne démontre pas que son consentement a été vicié ; que la distorsion avec la clause dactylographiée figurant dans les conditions générales selon laquelle la caution est engagée pour la durée du prêt majorée de deux ans est sans conséquence ; que d'ailleurs, la banque ne remet pas en cause que le cautionnement est d'une durée inférieure aux prévisions du contrat et que cette modification est favorable à la caution qui ne subit de ce fait aucun préjudice ; qu'il convient de rejeter l'action en nullité des deux cautionnements ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Madame Annie X... n'est pas fondée à conclure à la nullité de son engagement en qualité de caution solidaire de la société KP Jade dès lors que : - s'agissant de son engagement dans la limite de la somme de 48 600 euros, son engagement résulte d'une mention manuscrite de sa part suivie de sa signature apposée au bas d'un acte sous seing privé en date du 5 octobre 2010, Madame X... soutenant à tort que seul Monsieur Eric X... est signataire de la convention en qualité de caution, - s'agissant de son engagement dans la limite de 8 400 euros, son engagement résulte d'une mention manuscrite de sa part suivie de sa signature apposée au bas d'un acte sous seing privé en date du 6 mai 2011, le défaut de paraphe invoqué et la modification de la durée de l'engagement n'étant en aucun cas susceptible d'entraîner la nullité du cautionnement dès lors qu'une sanction de cette nature n'est prévue par aucun texte ainsi que l'a fait plaider à juste titre la partie demanderesse ; que c'est à bon droit que la partie demanderesse a répliqué sur le défaut de mise en garde de la caution invoquée par Madame Annie X... ; que la banque n'est tenue d'une telle obligation qu'à l'égard d'une caution non avertie, ce qui n'est pas le cas de cette dernière alors qu'elle dirigeante de la société KP Jade et qu'elle détenait toutes les informations nécessaires pour apprécier la portée des engagements souscrits et qu'en tout état de cause, Madame X... n'est pas en mesure de justifier qu'elle n'aurait pas cautionné les dettes de la société dont elle était gérante si elle avait bénéficié de la mise en garde qu'elle revendique ; qu'enfin Madame X... ne justifie pas de l'existence du conflit d'intérêts dont elle entend se prévaloir entre la banque et la société bailleresse, la Caisse de crédit mutuel ayant soutenu à cet égard à bon escient que Madame X... n'est pas en mesure de rapporter la preuve qui lui incombe que le supposé conflit d'intérêts constituait une fraude ou une immixtion caractérisée de la banque dans la gestion de la société KP Jade au sens de l'article L.650-1 du code de commerce ; que dans ces conditions, Madame X..., qui ne justifie pas que son consentement ait été vicié, sera nécessairement condamné à payer à la Caisse de crédit mutuel Villeneuve Les Avignon les sommes principales de 8 400 euros, outre intérêts au taux légal, et de 40 832,28 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 7% l'an à compter du jour de la mise en demeure qui est en date du 15 février 2012 ;

ALORS QUE l'erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ; qu'en ne recherchant pas, au regard de ses propres constatations et ainsi qu'elle y était invitée, si la banque n'avait pas usé de manoeuvres frauduleuses ayant provoqué une erreur viciant le consentement de Madame X... aux actes de cautionnements en l'incitant à prendre à bail des locaux appartenant à l'une de ses filiales et dans lequel d'importants travaux étaient nécessaires, travaux que la banque financerait sous la garantie du cautionnement de Mme X..., tout en sachant qu'en raison de l'endettement excessif contracté par sa cliente le projet n'était pas viable mais qu'elle était assurée de récupérer les locaux ainsi rénovés, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1110 du code civil.  ECLI:FR:CCASS:2017:CO01045
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