CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 16/10/2023, 19MA03272, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SMA Vautubière a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public conclu le 28 août 2017 entre la métropole Aix-Marseille-Provence et la société Suez RV Méditerranée relatif au lot n° 2 des prestations de transport des emballages ménagers recyclables et journaux, revues et magazines collectés en porte-à-porte ainsi qu'au transport et au traitement des ordures ménagères résiduelles et, d'autre part, de condamner la métropole Aix-Marseille-Provence à lui verser une indemnité de 2 232 515 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché.

Par un jugement n° 1708898 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Marseille a résilié ce marché à compter du 11 mars 2020 et a condamné la métropole Aix-Marseille-Provence à verser une somme de 109 904,34 euros à la société SMA Vautubière.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit n° 19MA03272 du 7 décembre 2020 la Cour, statuant sur l'appel de la société SMA Vautubière, a ordonné une expertise avant de statuer sur ses conclusions indemnitaires.

L'expert a déposé son rapport le 23 février 2022, qui a été communiqué aux parties pour observations.

Par une ordonnance de la présidente de la Cour, du 14 avril 2022, les frais d'expertise ont été liquidés à la somme de 29 412,61 euros.

Par une ordonnance de la présidente de la Cour, du 10 mai 2022, une allocation provisionnelle à verser à l'expert d'un montant de 29 412,61 euros a été mise à la charge de la société SMA Vautubière.

Par un mémoire, enregistré le 11 avril 2022, la société SMA Vautubière, représentée par Me Caviglioli, demande à la Cour :

1°) d'annuler partiellement le jugement n° 1708898 du tribunal administratif de Marseille du 11 juin 2019 ;

2°) de condamner la métropole Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme d'1 742 190 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché contesté ;

3°) de mettre à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 9 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- les opérations d'expertise ne se sont pas déroulées de manière contradictoire lors des " réunions techniques " des 23, 24 et 28 juin 2021 ;
- elles ont aussi méconnu le secret des affaires protégé par l'article L. 611-1 du code de justice administrative et l'article L. 151-1 du code de commerce ;
- l'expert est allé au-delà de la mission qui lui avait été confiée en intégrant dans son calcul les " compensations " et effets de remplacement obtenus par la société du fait de la non-obtention du marché ;
- seule la marge nette sans compensation sera retenue ;
- l'expert ne pouvait pas intégrer dans son calcul du préjudice les coûts de sous-traitance annuelle qui sont transparents et dont le calcul est erroné, les pénalités pour dépassement de limites annuelles et l'impact de sous-productivité dont le calcul est théorique et erroné, ces trois charges étant nécessairement alternatives ;
- il ressort des calculs de l'expert que le marché aurait généré un chiffre d'affaires de 7 639 497 euros hors taxes, des coûts fixes et variables de 6 798 265 euros, et une " marge sur traitement " de 841 232 euros hors taxes, qui devra être portée à 1 222 728 euros hors taxes alors que la taxe communale n'avait pas à être provisionnée, une telle charge étant hypothétique ;
- les coûts de remise en état post-exploitation seront limités alors que ces travaux ne sont pas réalisés en fin mais en cours d'exploitation, compte tenu de la configuration du site.

Par ordonnance du 15 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juin 2022, puis reportée au 4 juillet 2022 à midi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2022, la métropole Aix-Marseille-Provence, représentée par Me Sindres, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société SMA Vautubière les frais d'expertise ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
- l'expertise n'a pas méconnu le contradictoire ;
- la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le rapport définitif de l'expert a méconnu le secret des affaires alors qu'il a été corrigé suite au courrier de la société du 23 septembre 2021 critiquant le pré-rapport ; en tout état de cause, le rapport d'expertise ne saurait être écarté ;
- il en est de même sur le fait que l'expert serait allé au-delà de sa mission, ce qui manque en outre en fait ;
- la société requérante, qui n'a pas produit de mémoire distinct, n'est pas recevable à demander à la Cour d'écarter certaines pièces en application des articles R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative ; sa demande n'est au demeurant pas fondée ;
- le calcul de la perte de gain ne peut être fait in abstracto ;
- compte tenu de ses autres engagements, la société SMA Vautubière n'était pas en capacité matérielle d'exécuter le marché, sauf recours massif à la sous-traitance qui n'était pas prévu par le marché ou sauf à outrepasser ses obligations résultant de la convention d'exploitation du site de la Vautubière et à s'acquitter de pénalités ; le montant des charges fixes et variables découlant de l'exécution du marché aurait largement dépassé le montant du chiffre d'affaires généré, supprimant ainsi toute marge bénéficiaire ;
- la société SMA Vautubière ne disposait pas des capacités d'enfouissement pour exécuter le marché en litige et les différents scénarios envisagés par l'expert aboutissent à un chiffrage de charges fixes et variables si différent que le caractère certain du préjudice peut être remis en question ; en outre, la SMA Vautubière n'a pas présenté de demande d'agrément d'un sous-traitant parallèlement au dépôt de son offre ; et si elle avait eu recours à la sous-traitance, elle aurait subi des pertes ;
- l'hypothèse envisagée par l'expert selon laquelle la société SMA Vautubière n'aurait pas exécuté ses contrats conclus avec des tiers est hypothétique et sera écartée ;
- la société SMA Vautubière n'est pas fondée à contester la provision correspondant à la part de la taxe communale ;
- contrairement à ce que soutient la société SMA Vautubière l'expert a tenu compte à bon droit d'une " sous-productivité ", compte tenu de la capacité d'enfouissement limitée ;
- la métropole ne saurait donc être condamnée à verser une indemnité afin de compenser le défaut d'exécution d'un marché qui ne pouvait générer de recettes pour le co-contractant au regard des contraintes réglementaires et contractuelles existantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Caviglioli, pour la société SMA Vautubière, et de Me Chavalarias, pour la métropole Aix-Marseille-Provence.

Une note en délibéré présentée pour la métropole Aix-Marseille-Provence a été enregistrée le 27 septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société SMA Vautubière a demandé au tribunal administratif de Marseille d'une part d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché public conclu le 28 août 2017 entre la métropole Aix-Marseille-Provence et la société Suez RV Méditerranée relatif au lot n° 2 des prestations de transport des emballages ménagers recyclables et journaux, revues et magazines collectés en porte-à-porte ainsi qu'au transport et au traitement des ordures ménagères résiduelles et, d'autre part, de condamner la métropole Aix-Marseille-Provence à lui verser une indemnité de 2 232 515 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché. Par un jugement n° 1708898 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Marseille a résilié ce marché à compter du 11 mars 2020 et a condamné la métropole Aix-Marseille-Provence à verser une somme de 109 904,34 euros à la société SMA Vautubière. Par un arrêt avant dire droit n° 19MA03272 du 7 décembre 2020, la Cour, statuant sur l'appel de la société SMA Vautubière, a estimé que c'était à bon droit que les premiers juges avaient déclaré irrégulière l'éviction de la société SMA Vautubière et a, en conséquence, résilié le marché attaqué, puis a ordonné une expertise, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société SMA Vautubière. L'expert a déposé son rapport le 23 février 2022.

Sur la régularité des opérations d'expertise :

En ce qui concerne le caractère contradictoire de l'expertise :

2. La société SMA Vautubière n'est pas fondée à soutenir que l'expert n'aurait pas respecté le principe du contradictoire alors qu'elle a été régulièrement convoquée aux réunions des 23, 24 et 28 juin 2021 par courriel du 3 juin 2021 et courrier du 10 juin 2021 adressé à son avocat. La seule circonstance que le courriel de convocation de l'expert ait mentionné qu'" a priori, et sauf erreur ou omission, la présence des avocats, pour ces réunions techniques ne [...] semble pas indispensable " n'est pas de nature à entacher la procédure d'irrégularité.

En ce qui concerne la méconnaissance du respect du secret des affaires :

3. Aux termes de l'article L. 611 -1 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 du présent code sont adaptées à celles de la protection du secret des affaires répondant aux conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre Ier du code de commerce. " Et selon l'article L. 151-1 du code de commerce : " Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ; / Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret... ".

4. La société SMA Vautubière soutient que l'expert aurait méconnu le secret des affaires dès lors, d'une part qu'il s'est fait remettre des informations confidentielles la concernant mais aussi concernant des sociétés tierces, informations que l'expert mentionne dans sa note de synthèse et, d'autre part, qu'il s'est fait communiquer par la métropole des données correspondantes au marché en litige tel qu'il a été exécuté par l'attributaire, qui ont été reprises dans les documents de l'expertise.

5. Toutefois, en communiquant à l'expert des éléments la concernant, la société requérante a délibérément levé le secret et elle ne peut, par suite, reprocher à l'expert d'avoir méconnu les dispositions combinées de l'article L. 151-1 du code de commerce et de l'article L. 611-1 du code de justice administrative sur ce point. Par ailleurs, à supposer que le secret des affaires ait été méconnu à l'égard de sociétés tierces ou de la société attributaire, ce seul fait ne saurait affecter la régularité de l'expertise à l'égard de la société SMA Vautubière qui ne peut, dès lors, utilement s'en prévaloir.


En ce qui concerne l'extension du champ de l'expertise :

6. La seule circonstance qu'un rapport d'expertise, à l'initiative de l'expert, se prononce sur des questions excédant le champ de l'expertise ordonnée par la juridiction, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher cette expertise d'irrégularité. Elle ne fait pas obstacle à ce que, s'ils ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance, les éléments de l'expertise par lesquels l'expert se prononce au-delà des termes de sa mission soient régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils ne sont pas infirmés par d'autres éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige.

7. La circonstance qu'au-delà des analyses des recettes et des charges du marché en litige, l'expert ait présenté une analyse financière et comptable de la société SMA Vautubière et de sa holding n'est pas, à elle seule, de nature à entacher l'expertise d'irrégularité.

8. Il résulte de ce qui précède, que ni les opérations d'expertise ni le rapport qui en découle remis le 23 février 2022 ne sont entachés d'irrégularité.

Sur le quantum du préjudice indemnisable :

9. La société SMA Vautubière a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner résultant pour elle de son éviction irrégulière du marché attaqué. Ainsi qu'il a été dit au point 11 de l'arrêt avant dire droit, dès lors qu'elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le marché en cause, elle a droit à être indemnisée de son manque à gagner incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

10. Le manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. Ce manque à gagner ne peut ainsi qu'être reconstitué à partir du chiffre d'affaires non réalisé duquel sont soustraits les seules charges variables économisées sans tenir compte des coûts fixes, à moins qu'il ne résulte de l'instruction qu'il s'agit de coûts fixes supplémentaires induits par l'obtention du marché.

En ce qui concerne la durée du contrat à retenir :

11. Il résulte des points 12 et 13 de l'arrêt avant dire droit que la marge nette correspond à l'exécution d'un montant annuel de prestations d'environ 3 663 477,47 euros pendant une durée ferme de trois ans, courant du 1er septembre 2017 au 31 août 2020, ainsi que le stipule l'article 1-3 du cahier des clauses administratives particulières du marché. Ce point n'est pas contesté par les parties.

En ce qui concerne les recettes à retenir :

12. Les prestations prévues par le contrat portaient sur le prétraitement, le transport et le traitement des ordures ménagères et des emballages ménagers recyclables Il ressort du rapport d'expertise, qui n'est pas contesté sur ce point par les parties, que la prestation de transport des emballages ménagers recyclables et journaux-revues magazines (EMR-JMR) et ordures ménagères résiduelles (OMR), est intégralement confiée à un sous-traitant et que le résultat sur cette partie transport est neutre. Pour la prestation de traitement des ordures ménagères résiduelles (OMR), le rapport d'expertise, non contesté également sur ce point, fait état en page 67 d'un volume annuel de déchets à traiter de 39 799 tonnes par an, pour un montant annuel de 2 387 940 euros, établi pro-rata temporis sur la durée d'exécution, du 1er septembre 2017 au 31 août 2020, ce qui correspond sur la durée d'ensemble du contrat à une somme totale de recettes de 7 163 820 euros.

En ce qui concerne les charges à déduire :

S'agissant de la capacité annuelle limitée de traitement des déchets sur site :

13. Afin de déterminer les charges de la société SMA Vautubière, l'expert propose à juste titre de tenir compte de la capacité effective annuelle limitée de traitement des déchets sur site qui est fixée dans le cadre de la délégation de service public pour le traitement des déchets ménagers et assimilés de la communauté d'agglomération par enfouissement et stockage " Agglopole Provence " établie en application de l'arrêté préfectoral du 16 septembre 2002, délégation qui comporte une convention d'exploitation signée le 15 décembre 2005 entre le président de l'Agglopole Provence et la SMA Environnement, dont la SMA Vautubière est une filiale, et a été créée exclusivement pour la gestion du centre de stockage des déchets ultimes de la Fare les Oliviers lieu-dit La Vautubière. Cette convention, modifiée par avenant du 12 octobre 2012, accorde l'exclusivité de l'exploitation du site à la SMA Vautubière pour le traitement des déchets et ordures ménagères et fixe à 132 504 tonnes par an la limite de capacité annuelle de traitement des déchets, seuil au-delà duquel des pénalités sont applicables.

14. Dans le tableau page 70 du rapport, en tenant compte du tonnage de l'appel d'offres fixé à 39 799 tonnes pour 2018 et 2019, à 13 266 tonnes (39 799 x 4/12e) pour les quatre derniers mois de 2017, et à 26 533 tonnes (39 799 x 8/12e) pour les huit premiers mois de 2020, l'expert déduit un dépassement de la limite annuelle si le contrat avait été effectivement exécuté par la société SMA Vautubière de 10 971 tonnes pour l'année 2017 (13 266 - 2 295 de tonnage disponible restant) et 30 539 tonnes (39 799 - 9 260 de tonnage disponible restant) pour l'année 2018. Ces chiffres ne sont pas sérieusement contestés par les parties.

15. L'expert envisage ensuite trois hypothèses résultant de ce dépassement de la capacité d'enfouissement annuelle. Il estime que la société SMA Vautubière avait alors la possibilité, soit de sous-traiter le traitement des déchets, soit de résilier les conventions conclues avec des sociétés tierces l'ayant conduite par ailleurs à atteindre le seuil, soit de s'acquitter des pénalités prévues au point 18.6 de la délégation de service public du 15 décembre 2005 modifiée en cas de dépassement des seuils contractuels de 132 500 tonnes par an (page 43 du rapport d'expertise).

16. Ainsi que le relève à bon droit la société requérante, c'est à tort que l'expert retient les trois hypothèses cumulées afin de déterminer le gain manqué, alors que le dépassement de la limite de capacité est seulement de nature à emporter alternativement l'une d'elle.

17. Il résulte du rapport d'expertise page 71 que le montant des pénalités actualisées applicables aurait dépassé le coût de la sous-traitance, et il y a donc lieu d'écarter cette hypothèse qui ne constitue pas un choix de gestion plausible. De même, ainsi que le relève à bon droit la métropole, il y a lieu d'écarter l'hypothèse d'une résiliation des contrats avec les tiers, comme non réaliste. Afin de déterminer les charges de la société SMA Vautubière, il y a donc lieu de retenir la première hypothèse de sous-traitance et de calculer le coût des charges de sous-traitance correspondant au dépassement de la limite annuelle autorisée par le contrat de délégation de service public pour les années 2017 et 2018.

18. A cet égard, la seule circonstance relevée par la métropole selon laquelle la société SMA Vautubière n'a pas présenté de demande d'agrément d'un sous-traitant parallèlement au dépôt de son offre n'est pas suffisante pour exclure la possibilité d'une sous-traitance, qui, comme l'admet d'ailleurs la métropole elle-même dans ses écritures, pouvait intervenir même en cours d'exécution du contrat.

S'agissant du coût de la sous-traitance :

19. L'expert fixe le prix unitaire net de la sous-traitance pour 2017 à 64,11 euros et à 64 euros pour 2018. Il y a donc lieu de retenir un coût de sous-traitance pour 10 971 tonnes qui, ainsi qu'il a été dit au point 14, auraient dues être sous-traitées compte tenu du dépassement de la limite annuelle pour l'année 2017 à 703 350,81 euros (64,11 x 10 971). De même, au titre de l'année 2018, le coût de la sous-traitance sera fixé à 1 954 496 euros pour 30 539 tonnes qui auraient dues être sous-traitées comme dit au point 14 (30 539 x 64 euros). L'expert n'ayant pas relevé de dépassement de la limite annuelle pour les années 2019 et 2020, le coût total de la sous-traitance pourra donc être estimé à 2 657 846,81 euros (703 350,81 + 1 954 496 euros) pour l'ensemble de la durée du marché retenue au point 11.

S'agissant de la sous-productivité induisant une sous-imputation des frais fixes :

20. Il y a lieu d'écarter le raisonnement tenu par l'expert au point 5.4.2 de son rapport d'expertise visant à démontrer une sous-productivité induisant une sous-imputation des frais fixes, alors d'une part que ce raisonnement est contesté par les parties et, d'autre part, qu'ainsi qu'il a été dit au point 10, il n'y a pas lieu de tenir compte des coûts fixes dans les charges, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il s'agirait de coûts fixes supplémentaires induits par l'obtention du marché.

S'agissant de l'effet de compensation et de remplacement :

21. La réalisation par une entreprise, après qu'elle a été irrégulièrement évincée d'un marché, d'un chiffre d'affaires sur d'autres marchés est sans incidence sur l'évaluation du manque à gagner résultant de cette éviction irrégulière.

22. Par suite, il y a également lieu d'écarter le raisonnement de l'expert qui intègre un effet de compensation et de remplacement au motif que la société SMA Vautubière n'ayant pu réaliser le marché en litige a pu utiliser les capacités correspondantes pour réaliser des opérations profitables, une telle circonstance n'étant pas de nature à diminuer son préjudice pour le marché considéré.

S'agissant des charges variables à retenir pour les prestations réalisées en interne :

23. Pour les prestations de traitement réalisées en interne, l'expert détermine en page 85 de son rapport le coût variable hors taxes par tonne traitée, hors impact de provision et de coûts fixes, à 21,82 euros pour 2017, 22,28 euros pour 2018, 31,79 euros pour 2019 et 33,49 euros pour 2020. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que 2 295 tonnes de déchets auraient pu être traités sur place pour l'année 2017, ce qui représente des charges variables de 50 076,90 euros (2 295 x 21,82). Pour 2018, 9 260 tonnes restaient disponibles et auraient pu être traitées en interne, ce qui représente des charges variables d'un montant de 206 312,80 euros (9 260 x 22,28). Enfin, les charges variables correspondant aux 39 799 tonnes qui auraient pu être traitées sur place pour 2019 et à 26 533 tonnes en 2020 représentent respectivement 1 265 210,21 euros (39 799 x 31,79) et 888 590,17 euros (26 533 x 33,49) de charges variables. Le montant total des charges variables pour le traitement en interne pour la durée du contrat retenue peut donc être fixé à 2 410 190,08 euros (50 076,90 + 206 312,80 + 1 265 210,21 + 888 590,17 euros).

24. Il y a lieu d'ajouter à ce montant total des charges variables, le montant de la taxe communale de 1,50 euros par tonne, qui est elle-même une charge variable. Sur l'ensemble de la durée du marché, 77 887 tonnes auraient été traitées sur le site (ainsi qu'il a été dit au point précédent 2 295 en 2017, 9 260 en 2018, 39 799 en 2019 et 26 533 en 2020), soit un montant de taxe à acquitter par la SMA Vautubière de 116 830,50 euros (77 887 x 1,50).

25. En revanche, il n'y a pas lieu de prendre en compte d'éventuelles charges variables liées à l'augmentation de la redevance variable acquittée par la société SMA Vautubière dans le cadre de la délégation de service public du site alors qu'il ressort du rapport d'expertise, non contesté sur ce point par les parties, que cette redevance variable n'était pas applicable aux déchets de l'agglomération. De même, il y a lieu d'écarter le raisonnement de l'expert en page 86-87 de son rapport, contesté par les parties, qui consiste à intégrer des provisions parmi les charges, notamment de " remise en état post-exploitation ", alors que ces provisions constituent des éléments d'écritures comptables qui sont sans lien avec les charges variables à déterminer pour évaluer le gain manqué du candidat évincé irrégulièrement. Il résulte d'ailleurs du tableau page 85 du rapport d'expertise que le coût variable hors taxes par tonne traitée sur place retenu au point 23 est fixé hors impact de la provision et des coûts fixes.

26. Le montant total des charges variables de traitement en interne doit donc être établi à la somme de 2 527 020,58 euros (2 410 190,08 euros au point 23 + 116 830,50 euros au point 24).

27. Les charges variables de l'externalisation, autrement dit les charges résultant du coût de la sous-traitance, d'un montant de 2 657 846,81 euros telles que fixées au point 19 doivent être ajoutées au montant des charges internes de traitement de 2 527 020,58 euros fixé au point précédent pour calculer le montant global des charges variables. Ce montant peut donc être fixé à la somme de 5 184 867,39 euros. La métropole n'est à cet égard pas fondée à soutenir que les différents scénarios envisagés par l'expert sont si variables que le caractère certain du préjudice ne serait pas établi alors que les chiffres retenus sont seulement ceux issus des données d'exploitation issues de l'expertise qui ne sont pas contestées par les parties.

28. Il résulte ce qui précède que le gain manqué peut être reconstitué en déduisant du montant du chiffre d'affaires de 7 163 820 euros, ainsi qu'il a été dit au point 12, le montant total des charges de sous-traitance et des charges variables, fixé à 5 184 867,39 euros ainsi qu'il a été dit au point précédent.

29. Le manque à gagner de la société SMA Vautubière doit donc être établi à la somme de 1 978 952,61 euros. Toutefois, la société ayant dans le dernier état de ses écritures limité sa demande à la somme de 1 742 190 euros, il y a lieu de lui accorder la somme de 1 742 190 euros au titre de son gain manqué.

30. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que la métropole Aix-Marseille-Provence doit être condamnée à verser à la société SMA Vautubière doit être portée à 1 742 190 euros.

Sur les frais liés au litige :

31. D'une part, comme le prévoit l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence, qui est la partie perdante dans la présente instance, les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 29 412,61 euros par ordonnance de la présidente de la Cour du 14 avril 2022.

32. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la société SMA Vautubière, qui n'est pas la partie tenue aux dépens, au titre des frais exposés par la métropole Aix-Marseille-Provence et non compris dans ces dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence, qui est la partie tenue aux dépens, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société SMA Vautubière et non compris dans les dépens.

D É C I D E :


Article 1er : La métropole Aix-Marseille-Provence est condamnée à verser à la société SMA Vautubière la somme de 1 742 190 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché contesté.
Article 2 : Le jugement n° 1708898 du tribunal administratif de Marseille du 11 juin 2019 est réformé en tant qu'il a limité la condamnation prononcée à l'encontre de la métropole Aix-Marseille-Provence à la somme de 109 904,34 euros.

Article 3 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 29 412,61 euros, sont mis à la charge définitive de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Article 4 : La métropole Aix-Marseille-Provence versera à la société SMA Vautubière une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société SMA Vautubière, à la métropole Aix-Marseille-Provence et à la société Suez RV Méditerranée.

Copie en sera adressée à M. B... A..., expert.


Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
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N° 19MA03272



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