CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 18/12/2020, 20MA01495, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Blue Boats a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les décisions du maire de la commune de Palavas-les-Flots du 24 mai 2017 et du 1er août 2017 prononçant la résiliation de la convention d'occupation du domaine public qu'ils avaient conclue le 8 juillet 2014, de prononcer la reprise des relations contractuelles et de l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis.

Par un jugement nos 1703389, 1704695 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 24 mai 2017 et a rejeté le surplus des conclusions de la société.

Par un arrêt n° 18MA02718 du 29 avril 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Blue Boats, annulé ce jugement et prononcé la reprise immédiate des relations contractuelles entre la commune de Palavas-les-Flots et la société Blue Boats dans le cadre de la convention conclue le 8 juillet 2014.

Par une décision n° 432076 du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur demande de la commune de Palavas-les-Flots, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt du 29 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille et, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la Cour.



Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 12 juin 2018, le 12 novembre 2018, le 3 juillet 2020 et le 10 novembre 2020, la société Blue Boats, représentée en dernier lieu par la SELARL C... Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler la décision du maire de la commune de Palavas-les-Flots prononçant la résiliation de la convention d'occupation du domaine public qu'ils avaient conclue le 8 juillet 2014 ;

2°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles à la suite du constat de l'illégalité de la décision du maire de Palavas-les-Flots du 1er août 2017 ;

3°) d'enjoindre à la commune de libérer la dépendance en cause de toute entrave, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner la commune de Palavas-les-Flots à lui verser une indemnité de 98 euros par jour en réparation de ses pertes d'exploitation au titre de la période courant de la date de résiliation de la convention à celle de reprise des relations contractuelles et une indemnité de 5 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Palavas-les-Flots une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la convention du 8 juillet 2014 lui a conféré des droits réels sur le domaine public ;
- le maire a méconnu l'article R. 2122-18 du code général des collectivités territoriales ;
- la commune ne justifie d'aucun motif d'intérêt général pouvant valablement fonder la résiliation du contrat litigieux ;
- ses demandes indemnitaires sont fondées.

Par des mémoires enregistrés le 1er octobre 2018, le 26 novembre 2018, le 25 avril 2019 et le 3 novembre 2020, la commune de Palavas-les-Flots, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Blue Boats en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Coutier, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Blue Boats, et de Me A..., représentant la commune de Palavas-les-Flots.




Considérant ce qui suit :


1. La commune de Palavas-les-Flots a conclu, le 8 juillet 2014, avec la société Blue Boats une convention l'autorisant à occuper, pour une durée de quinze ans, une dépendance du domaine public communal constituée par un terre-plein situé sur le quai de l'île Cazot, en vue d'y exploiter une activité de location de bateaux sans permis et une activité de restauration. Par une décision du 24 mai 2017, le maire de la commune de Palavas-les-Flots a informé la société Blue Boats de sa décision de résilier cette convention. Après avoir retiré cette décision, le maire de la commune a de nouveau informé la société, par un courrier du 1er août 2017, de sa décision de résilier la convention à compter du 10 août 2017. Par un jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions relatives à la première résiliation et a, d'autre part, rejeté les conclusions de la société Blue Boats contestant la validité de la seconde résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi. Par un arrêt du 29 avril 2019, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a prononcé la reprise immédiate des relations contractuelles dans le cadre de la convention conclue le 8 juillet 2014 et rejeté le surplus des conclusions de la requête de cette société. Par une décision n° 432076 du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la commune de Palavas-les-Flots, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt de la Cour du 29 avril 2019 et lui a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire.


Sur les conclusions dirigées contre le courrier du maire de Palavas-les-Flots du 12 mai 2017 et sa décision du 24 mai 2017 :


2. Par une décision du 26 juillet 2017, le maire de Palavas-les-Flots a rapporté sa décision du 24 mai 2017 portant résiliation de la convention d'occupation temporaire du domaine public du 8 juillet 2014. Quand bien même cette mesure de résiliation aurait produit des effets, les conclusions de la société Blue Boats tendant à son annulation comme à celle d'une prétendue décision contenue dans le courrier du 12 mai 2017 avaient perdu leur objet à la date du jugement attaqué. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré, par l'article 1er de ce jugement, qu'il n'y avait pas lieu d'y statuer.


Sur les conclusions dirigées contre la décision de résiliation du 1er août 2017 et celles tendant à la reprise des relations contractuelles :


3. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-3 du même code " L'autorisation mentionnée à l'article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques inséré à la section II du Chapitre II du Titre II du même code: " La présente section fixe les conditions de constitution, sur tout ou partie de la dépendance domaniale dont l'occupation est autorisée, du droit réel prévu par les articles L. 2122-6 à L. 2122-19 ainsi que les conditions de transmission totale ou partielle de ce droit ". L'article R. 2122-18 inséré à cette même section II précise que : " Dans le cas où l'autorité qui a délivré le titre constitutif de droit réel envisage, pour quelque motif que ce soit, de le retirer en totalité ou en partie avant le terme fixé, le titulaire du titre à cette date en est informé par pli recommandé avec demande d'avis de réception, deux mois au moins avant le retrait, sauf respect, en cas de concession, du délai particulier prévu par le contrat (...) ". L'article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques auquel renvoie l'article R. 2122-9 confère au titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat, sauf prescription contraire de son titre, " un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre ".


5. Enfin, aux termes du 2° de l'article L. 2122-20 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics peuvent délivrer des autorisations d'occupation constitutives de droit réel dans les conditions déterminées par les articles L. 1311-5 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales ". Aux termes du I de l'article L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales : " Les collectivités territoriales peuvent délivrer sur leur domaine public des autorisations d'occupation temporaire constitutives de droits réels ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de leur compétence. Le titulaire de ce titre possède un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice de cette activité. / Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans la présente section, les prérogatives et obligations du propriétaire ". Le II du même article précise que : " Dans les ports et les aéroports, sont considérées comme satisfaisant à la condition d'intérêt public local mentionnée au premier alinéa du I les activités ayant trait à l'exploitation du port ou de l'aéroport ou qui sont de nature à contribuer à leur animation ou à leur développement ". Enfin l'article L. 1311-7 du même code dispose que " (...) en cas de retrait de l'autorisation avant le terme prévu, pour un motif autre que l'inexécution de ses clauses et conditions, le titulaire est indemnisé du préjudice direct, matériel et certain né de l'éviction anticipée. Les règles de détermination de l'indemnité peuvent être précisées dans le titre d'occupation (...) ".


6. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. La demande de la société Blue Boats présentée devant le tribunal administratif doit être regardée, à titre principal, comme contestant la validité de la résiliation de la convention 8 juillet 2014 et tendant à la reprise des relations contractuelles.


7. Il incombe en principe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, de rechercher si cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé et, dans cette hypothèse, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Toutefois, dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles.


8. En, premier lieu, les disposions précitées de l'article R. 2122-18 du code général de la propriété des personnes publiques ne sont applicables qu'aux seules autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat constitutives de droit réel sur ce domaine. La convention d'occupation du domaine public qui liait la commune de Palavas-les-Flots avec la société Blue Boats a été conclue par le maire sur le domaine public communal en vertu des dispositions des articles L. 1311-5 et suivants du code général des collectivités territoriales. La résiliation de la convention du 8 juillet 2014 n'était dès lors pas soumise à l'accomplissement préalable des formalités énoncées à l'article R. 2122-18 précité. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en l'espèce, ces formalités n'auraient pas été respectées est en tout état de cause inopérant.


9. En second lieu, il résulte de l'instruction que postérieurement à la conclusion de la convention du 8 juillet 2014, le conseil municipal a, en novembre 2016, dû généraliser sur l'ensemble du territoire communal, pendant la saison estivale, le principe du stationnement payant approuvé quelques mois plus tôt. Il en a résulté des difficultés de stationnement pour le personnel d'une maison de retraite relevant du centre communal d'action sociale, implantée à proximité de la dépendance qui faisait l'objet de la convention domaniale, qui s'en est plaint aux autorités communales. Pour prononcer la résiliation de la convention, le maire de Palavas-les-Flots s'est fondé sur la volonté de la commune d'utiliser cette dépendance en vue de créer un espace de stationnement en centre-ville pour les besoins du personnel de cette maison de retraite. Un tel motif, compte tenu du contexte local, caractérise un motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation d'une convention par laquelle la commune avait accordé une autorisation, précaire et révocable en vertu de l'article L. 2122-3 du code général de la propriété des personnes publiques, en vue de l'occupation privative de la dépendance à des fins d'activité commerciale. Si la société Blue Boats fait valoir qu'un tel motif ne pouvait légalement justifier la résiliation de la convention, dès lors que la commune dispose déjà d'un parc de stationnement municipal à proximité au sein duquel dix-sept places de stationnement ont été prévues à l'usage exclusif de la maison de retraite, que les difficultés de stationnement rencontrées par le personnel de la maison de retraite ne sont pas établies et qu'en outre, aucun élément ne permet d'établir une modification significative de la fréquentation touristique du quartier depuis 2014, les circonstances alléguées sont inopérantes dès lors qu'il n'appartient pas à la Cour de porter une appréciation sur les besoins de stationnement dans la commune, ni sur la pertinence des choix des autorités municipales.


10. Ainsi, la mesure de résiliation de la convention du 8 juillet 2014 n'est entachée ni de vices relatifs à sa régularité ni à son bien-fondé. Il suit de là que la société la société Blue Boats n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles.

Sur les conclusions indemnitaires :


11. Si l'autorité domaniale peut mettre fin avant son terme à un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour un motif d'intérêt général et en l'absence de toute faute de son cocontractant, ce dernier est toutefois en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant de cette résiliation unilatérale dès lors qu'aucune stipulation contractuelle n'y fait obstacle.


12. En l'espèce, il résulte de l'instruction que si l'article 7-1 de la convention du 8 juillet 2014 prévoyait que la commune pouvait la résilier pour un motif d'intérêt général, le même article stipulait que " dans ce cas l'occupant ne pourra pas prétendre à une indemnité correspondant au préjudice éventuel ". Au regard de ces stipulations contractuelles, dépourvues de toute ambiguïté, la société Blue Boats n'est pas fondée à demander à être indemnisée de ses pertes d'exploitation alléguées.


13. La mesure de résiliation prononcée n'étant pas fautive, la société Blue Boats n'est, en tout état de cause, pas davantage fondée à demander, à raison de cette mesure, le versement d'une indemnité de 5 000 euros au titre des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence et de son préjudice moral.


14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Blue Boats n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.


Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :


15. Le présent arrêt, qui rejette la requête de la société Blue Boats, n'appelle, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Dans ces conditions, la demande présentée par la société Blue Boats, tendant à ce que la Cour enjoigne à la commune de Palavas-les-Flots de libérer la dépendance en cause de toute entrave et prononce une astreinte pour assurer l'exécution de cet arrêt, ne peut qu'être rejetée.


Sur les frais liés au litige :


16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Palavas-les-Flots qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Blue Boats une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Palavas-les-Flots au même titre.




D É C I D E :


Article 1er : La requête de la société Blue Boats est rejetée.

Article 2 : La société Blue Boats versera à la commune de de Palavas-les-Flots, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Blue Boats et à la commune de Palavas-les-Flots.

Délibéré après l'audience 4 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.

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