Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 21/10/2024, 491665

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

La société SMDR a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du contrat de concession portant sur l'exploitation de l'établissement de plage " Les Salins " à Hyères à compter de la phase de sélection des candidatures et d'enjoindre à la commune de Hyères de réunir à nouveau la commission de délégation de service public.

Par une ordonnance n° 2304189 du 29 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a annulé la procédure de passation du contrat en litige.

1° Sous le n° 491665, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 et 27 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Hyères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société SMDR ;

3°) de mettre à la charge de la société SMDR la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 491708, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 27 février et 19 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les Voiles d'Or demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la société SMDR la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Hyères, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société SMDR et à la SCP Richard, avocat de la société Les Voiles D'or ;



Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la commune de Hyères et de la société Les Voiles d'Or sont dirigés contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public (...) / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Selon le I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel à la concurrence publié le 31 mars 2023, la commune de Hyères a lancé une consultation en vue de l'attribution d'une concession portant sur l'aménagement et l'exploitation d'un établissement de plage. Par un courrier du 18 décembre 2023, la commune a informé la société SMDR du rejet de son offre et de l'attribution de la concession à la société Les Voiles d'Or. La société SMDR a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon d'annuler la procédure de passation au stade de l'examen des candidatures et d'enjoindre à la commune de Hyères de réunir à nouveau la commission de délégation de service public. Par une ordonnance du 29 janvier 2024, contre laquelle la commune de Hyères et la société Les Voiles d'Or se pourvoient en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a annulé la procédure de passation du contrat dans son ensemble.

Sur le pourvoi de la société Les Voiles d'Or :

4. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative, aux termes duquel : " Toute personne peut former tierce-opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ".

5. Il résulte des règles générales de procédure applicables devant les juridictions administratives, d'une part, que la voie du recours en cassation est réservée aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée et, d'autre part, qu'une personne qui n'a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits, y compris lorsque cette décision fait déjà l'objet d'un pourvoi en cassation.

6. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon que le tribunal, après avoir sollicité les coordonnées de l'attributaire du contrat litigieux auprès de la commune de Hyères, a expédié le courrier contenant la demande en référé de la société SMDR et l'avis d'audience à la future adresse de la société en cours de constitution Les Voiles d'Or, et non à l'adresse indiquée par la commune comme étant celle de la personne représentant cette société dans le cadre de l'instance suivie devant le tribunal administratif de Toulon. L'avis de réception de ce courrier a été retourné à la juridiction revêtu de la mention " Destinataire inconnu à l'adresse ". La société Les Voiles d'Or, qui ne peut ainsi être regardée comme ayant été régulièrement mise en cause par le juge des référés du tribunal administratif, n'a produit aucun mémoire et n'était pas présente à l'audience. Il suit de là qu'elle n'avait pas la qualité de partie dans l'instance s'étant tenue devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon et n'est, dès lors, pas recevable à se pourvoir en cassation contre l'ordonnance rendue par celui-ci.

7. En revanche, la société Les Voiles d'Or s'étant vue attribuer le contrat dont la passation a été annulée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, l'ordonnance attaquée préjudicie à ses droits. Elle est dès lors recevable à former tierce opposition contre l'ordonnance du 29 janvier 2024. Le pourvoi qu'elle a formé doit dès lors être regardé comme une requête en tierce opposition contre cette ordonnance, qui relève de la compétence du juge des référés du tribunal administratif de Toulon, auquel il y a lieu de la renvoyer.

Sur le pourvoi de la commune de Hyères :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3123-19 du code de la commande publique : " Après examen des capacités et aptitudes des candidats, l'autorité concédante élimine les candidatures incomplètes ou irrecevables et dresse la liste des candidats admis à participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession ". Selon l'article L. 3123-20 du même code : " Est irrecevable une candidature présentée par un candidat qui ne peut participer à la procédure de passation en application des articles L. 3123-1 à L. 3123-14, L. 3123-16 et L. 3123-17 ou qui ne possède pas les capacités ou les aptitudes exigées en application de la présente section ".

9. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulon a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, qu'aucun document n'établissait que Mme A..., présentée dans le dossier de candidature de la future société Les Voiles d'Or comme l'une de ses deux fondateurs, n'aurait pris un engagement ferme fixant le montant de son éventuelle participation au capital de cette société et, d'autre part, que, contrairement à ce qu'exigeait l'article 6.2 du règlement de la consultation, Mme A... n'avait pas signé le dossier de candidature. En déduisant de ces constatations que la candidature de cette société ne satisfaisait pas à toutes les exigences du règlement de la consultation et aurait dû, à ce titre, être écartée par la commune, le juge des référés, dont l'ordonnance est suffisamment motivée sur ce point, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

10. En second lieu, le choix d'une offre présentée par un candidat irrégulièrement retenu était susceptible d'avoir lésé la société SMDR, quel qu'ait été son propre rang de classement à l'issue du jugement des offres. Par conséquent, le motif par lequel le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a jugé que la candidature de la société Les Voiles d'Or aurait dû être écartée par l'autorité concédante comme incomplète justifiait nécessairement, à lui seul, l'annulation de la procédure de passation litigieuse. Il s'ensuit que les motifs de son ordonnance relatifs à l'appréciation par l'autorité concédante des capacités de cette société et de celles d'une autre candidate sont surabondants et que les moyens du pourvoi dirigés contre eux doivent être écartés comme inopérants.

11. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la commune de Hyères doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Hyères la somme de 3 000 euros à verser à la société SMDR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement de la requête de la société Les Voiles d'Or est attribué au juge des référés du tribunal administratif de Toulon.

Article 2 : Le pourvoi de la commune de Hyères est rejeté.
Article 3 : La commune de Hyères versera une somme de 3 000 euros à la société SMDR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Hyères, à la société Les Voiles d'Or, à la société SMDR et au président du tribunal administratif de Toulon.

ECLI:FR:CECHR:2024:491665.20241021
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