CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 13/06/2024, 22BX01699, Inédit au recueil Lebon
CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 13/06/2024, 22BX01699, Inédit au recueil Lebon
CAA de BORDEAUX - 2ème chambre
- N° 22BX01699
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
13 juin 2024
- Président
- M. le Pdt. DEREPAS
- Rapporteur
- M. Olivier COTTE
- Avocat(s)
- MAATEIS AVOCATS ASSOCIES
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société GMF Assurances a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 156 537,21 euros correspondant aux indemnisations qu'elle a servies pour le compte de son assuré, M. G..., aux ayants droit de M. E..., victime d'un accident de la circulation le 7 juin 2016.
Par un jugement n° 2001430 du 4 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Biganos à verser à la société GMF Assurances la somme de 156 537,21 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin et 21 décembre 2022, la commune de Biganos et la société SMACL Assurances, représentées par la SCP CGCB Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2022 ;
2°) de rejeter la demande de la société GMF Assurances, ainsi que ses conclusions tendant au remboursement des frais de procédure ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire l'indemnisation due à de plus justes proportions et de retenir une faute de la victime exonératoire pour moitié.
Elles soutiennent que :
- la demande de première instance était irrecevable à hauteur de 9 444 euros, dès lors que la société GMF Assurances ne justifiait pas avoir versé cette somme en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 11 décembre 2020 ;
- les fautes commises par M. E... sont de nature à réduire son droit à indemnisation ainsi que celui de ses proches à hauteur de 50 % au minimum, et la juridiction administrative n'est pas liée à cet égard par l'appréciation portée par le juge judiciaire ; il a été établi par l'expert judiciaire et reconnu par la société GMF Assurances dans l'instance relative aux intérêts civils, qu'il circulait à une vitesse excessive de 59 km/h alors que la vitesse autorisée était de 50 km/h, ce que ne remettent pas sérieusement en cause l'expertise privée et les attestations de témoins ; il ressort également de différents témoignages qu'il avait une conduite dangereuse et inadaptée, et a procédé à des dépassements de véhicules dangereux voire interdits, ce que reconnaissait d'ailleurs la société GMF dans l'instance civile, et qu'il circulait à contre-sens de la circulation, ce qui a contribué à diminuer sa visibilité pour les autres usagers de la route ; en outre, la victime connaissait particulièrement bien les lieux pour emprunter cette voie quotidiennement ;
- le juge administratif n'est pas lié par l'appréciation du quantum des préjudices par le juge judiciaire et doit apprécier souverainement l'étendue de la réparation qui incombe à la collectivité publique;
- les souffrances endurées par M. E... peuvent être évaluées à 3 200 euros ; le préjudice d'angoisse de mort imminente n'est pas caractérisé puisqu'aucun élément n'est apporté sur l'état de conscience de la victime au-delà de la prise en charge par les pompiers jusqu'à son décès trois heures plus tard ;
- les préjudices de Mme C..., sa mère, peuvent être fixés à 15 000 euros au titre du préjudice d'affection, 3 269,52 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire (sur la base de 16,66 euros par jour d'incapacité totale), 5 000 euros pour les souffrances endurées et 16 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent ; il n'y a pas lieu de majorer le déficit fonctionnel temporaire dès lors qu'en l'espèce, il n'y a pas de préjudice d'agrément ou de préjudice sexuel dont il conviendrait de tenir compte ; aucune indemnisation n'est due au titre des dépenses de santé futures dès lors qu'il n'est pas établi que la thérapie EMDR mise en place en janvier 2021 alors que l'état de Mme C... est consolidé depuis le 25 juillet 2018 et qu'elle souffrait déjà d'une pathologie dépressive sérieuse, serait en lien avec l'accident ; en outre, aucun devis ou facture n'est produit à l'appui de la demande ; il n'est pas davantage démontré que cette dépense n'aurait pas été prise en charge par un organisme de sécurité sociale ou la complémentaire santé ;
- les liens affectifs de la victime avec l'épouse de son grand-père, son oncle et sa tante ne sont pas établis par la seule production d'attestations du frère et de la sœur de la victime ; à le supposer établi, le préjudice subi par chacun d'eux ne saurait excéder 1 500 euros ;
- le préjudice d'affection subi par son père, ses frère et sœur et son grand-père peut être fixé, respectivement, à 15 000 euros, 6 000 euros et 4 500 euros ;
- la société GMF Assurances n'est pas fondée à lui réclamer les frais de procédure judiciaire qu'elle a dû exposer du fait de l'action engagée par les victimes, procédure à laquelle la commune ne pouvait être partie ; à supposer que ces sommes puissent être mises à la charge de la commune, il convient de leur appliquer le taux de 50 % résultant de la faute de la victime ;
- sa condamnation au titre des frais de procédure n'est pas justifiée en l'espèce.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 août 2022 et 5 mai 2023, la société GMF Assurances, représentée par la SCP Maatéis, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Biganos la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle est subrogée dans les droits et actions de l'assuré dès le versement de l'indemnité et à concurrence des sommes versées, en application de l'article L. 121-12 du code des assurances ; la commune a été reconnue coupable d'homicide involontaire de manière définitive ;
- le versement de la somme de 9 444 euros est établi par les mouvements financiers au sein du compte ouvert à la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ;
- la responsabilité de la commune est engagée pour défaut d'entretien de la voie publique, dès lors que son assuré, M. G..., ne pouvait sortir de sa propriété sans risque pour les usagers de la voie et lui-même, ce qui a conduit à sa relaxe définitive par le juge pénal ; la commune, qui avait été informée de cet état de fait par M. G..., était tenue de mettre en place la signalisation nécessaire afin de garantir la sécurité des lieux ; elle n'a pourtant mis en place aucune réglementation de la vitesse, ni posé un miroir dans des conditions réglementaires résultant de l'arrêté du 7 juin 1977, ni remédié à la présence de potelets et d'arceaux qui masquaient la visibilité à la sortie de la propriété de M. G... ;
- l'autorité de la chose jugée de la décision pénale s'attache aux faits matériels de nature à retenir la responsabilité de la commune, à l'acquisition du droit à indemnisation des victimes et au montant de leur indemnisation ;
- c'est par un raisonnement particulièrement motivé que la juridiction judiciaire a limité à 10 % la faute exonératoire de la victime en ne retenant que l'inadaptation de la vitesse aux conditions de circulation et en excluant un dépassement des vitesses réglementaires au vu des témoignages divergents ; les premiers juges ont fait de même et ne se sont pas bornés à rappeler le taux retenu par le juge judiciaire ; il n'est pas établi que M. E... avait une particulière connaissance de la dangerosité des lieux, ou savait que le miroir n'était pas conforme ; au moment de l'impact, M. E... se trouvait dans l'axe de circulation dans lequel il devait se trouver ;
- si la commune se prévaut de l'évolution de la position de la société qui la conduirait à se contredire, cette évolution n'est pas due à une modification de son appréciation de la situation mais à la prise en compte des éléments motivés retenus par la juridiction pénale ;
- la condamnation de la commune doit porter sur la somme de 156 537,21 euros qu'elle a versée aux victimes ; à titre subsidiaire, le montant de chaque préjudice est justifié par les circonstances de l'espèce et cohérent avec ce que peut allouer le juge administratif ; les relations familiales entre la victime et ses proches sont suffisamment établies pour justifier la réparation du préjudice d'affection des victimes par ricochet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Triantafilidis, représentant la commune de Biganos et la SMACL Assurances, et de Me Lecomte, représentant la société GMF Assurances.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 juin 2016, un accident de la circulation s'est produit sur la route des Lacs, sur la commune de Biganos, entre M. E... qui circulait en moto et le véhicule de M. G... qui sortait de sa propriété et s'engageait sur la voie. Heurtant le véhicule par le côté, le motocycliste a été projeté sur la voie opposée, où il a heurté un deuxième véhicule arrivant en sens inverse. Il a été éjecté et a chuté sur des potelets métalliques empêchant le stationnement. Il est décédé à l'hôpital de Bordeaux trois heures plus tard des suites de ses blessures. Par un jugement correctionnel du 3 juillet 2018, devenu définitif, le tribunal de grande instance de Bordeaux a relaxé M. G... des fins de la poursuite pour homicide involontaire et condamné la commune de Biganos, pour les faits d'homicide involontaire par personne morale, au versement d'une amende de 30 000 euros. Par deux arrêts des 11 décembre 2020 et 7 janvier 2022, la cour d'appel de Bordeaux a partiellement censuré le jugement du 9 avril 2019 par lequel le tribunal correctionnel a statué sur intérêts civils. La cour a ainsi infirmé les condamnations prononcées à l'encontre de la commune de Biganos en accueillant l'exception d'incompétence opposée par la commune sur les questions de sa responsabilité civile et sur la répartition des responsabilités entre coauteurs, dans leurs rapports entre eux, et a confirmé le jugement en tant qu'il a retenu une faute de la victime exonératoire à hauteur de 10 %. Réformant l'évaluation de certains préjudices, la cour a condamné M. G... et son assureur, la société GMF Assurances, à verser à la mère de la victime une indemnité de 77 237,21 euros, à son père, son frère et sa sœur des indemnités d'un montant total de 45 900 euros, et aux grands-parents, oncle et tante des indemnités d'un montant global de 25 200 euros, outre les frais de procédure. Après avoir adressé à la commune de Biganos une demande indemnitaire préalable restée vaine, la société GMF Assurances, subrogée dans les droits de la victime par le double effet de la subrogation dans les droits du conducteur responsable et dans ceux de la victime dont elle a bénéficié lorsque la dette à l'égard de cette dernière a été acquittée, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin d'obtenir la condamnation de la commune de Biganos à lui rembourser la somme de 156 537,21 euros versée pour le compte de M. G... aux proches de M. E.... Par un jugement du 4 mai 2022 dont la commune relève appel, le tribunal a fait droit à la demande de la société GMF Assurances.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le versement par l'assureur de l'indemnité à laquelle il est tenu en vertu du contrat d'assurance le liant à son assuré le subroge, dès cet instant et à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de son assuré contre le tiers responsable du dommage. Par suite, l'assureur a, seul, qualité pour agir et obtenir, s'il l'estime opportun, la réparation du préjudice qu'il a indemnisé.
3. Il résulte de l'instruction que la société GMF Assurances a justifié, par la production d'une lettre de son conseil à l'avocat des consorts E..., avoir versé le 1er septembre 2021 la somme de 9 444 euros en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 11 décembre 2020, ce que confirme la production, en appel, d'un extrait de l'historique du compte ouvert auprès de la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) retraçant ce mouvement financier. Par suite, la commune de Biganos n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance serait irrecevable à hauteur d'un tel montant faute de justificatifs de la dépense.
En ce qui concerne la responsabilité de la commune :
4. En premier lieu, il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. Une collectivité publique peut en principe s'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt à l'égard des usagers d'un ouvrage public si elle apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
5. Il résulte de l'instruction que la route des lacs sur laquelle a eu lieu l'accident mortel de M. E... est la route départementale n° 3 qui, en application de l'article L. 131-1 du code de la voirie routière, relève du domaine public routier départemental. Par suite, la société GMF Assurances n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune de Biganos, qui n'est pas le maître de l'ouvrage, serait engagée pour défaut d'entretien normal de la voie.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation. (...) ". Aux termes de l'article L. 2213-1-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Sans préjudice de l'article L. 2213-1, le maire peut, par arrêté motivé, fixer pour tout ou partie des voies de l'agglomération ouvertes à la circulation publique une vitesse maximale autorisée inférieure à celle prévue par le code de la route, eu égard à une nécessité de sécurité et de circulation routières, de mobilité ou de protection de l'environnement. "
7. Il résulte de l'instruction que, le 7 juin 2016, M. E... circulait sur la route des lacs à Biganos en direction de Mios. A la sortie du passage souterrain situé à proximité de la gare, il a fait un écart afin d'éviter le véhicule de M. G... qui venait de quitter sa propriété et s'était engagé dans le même sens de circulation. Sa moto ayant toutefois heurté le véhicule de M. G..., M. E... a été déstabilisé et est entré en collision avec le véhicule arrivant en sens inverse. Il résulte des pièces produites, notamment du rapport d'expertise judiciaire et du procès-verbal de gendarmerie cité par le juge pénal, que la sortie de la propriété de M. G... n'offre qu'une faible visibilité sur les usagers de la route venant de la gauche, en raison de la configuration des lieux en sortie de tunnel et en pente, ainsi que de la présence sur le trottoir d'arceaux et de potelets de protection des piétons, masquant les véhicules remontant la pente. Informée depuis de nombreuses années, notamment depuis une pétition de riverains en 2004 à propos de la dangerosité des lieux, la commune a fait installer un miroir courant 2012-2013, dont il n'est pas contesté que son implantation n'est toutefois pas conforme à la réglementation dès lors qu'elle ne permet pas d'anticiper suffisamment la survenue d'un véhicule. La commune a été à nouveau interpellée sur la dangerosité des lieux en février 2016, quelques semaines avant l'accident, lorsque M. G... l'a informée qu'un accident avait été évité de peu. Si les services de la voirie de la commune ont évoqué, à cette occasion, la possibilité de réaliser un coussin berlinois ou un plateau surélevé afin de réduire la vitesse des automobilistes, aucune mesure n'avait été mise en œuvre avant la survenue de l'accident. Dans ces conditions, le maire de Biganos a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, en n'usant pas de son pouvoir de police de la circulation en vue d'assurer la sécurité de la circulation routière au débouché de la propriété de M. G....
8. Pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité, la commune, qui ne conteste pas que M. G... n'a commis aucune faute, fait valoir que M. E... circulait à une vitesse excessive, à contre-sens, et qu'il avait ainsi une conduite dangereuse et inadaptée. Les constatations des gendarmes démontrent toutefois que les traces de freinage de la moto se situent au milieu de la voie de circulation en direction de Mios, sur environ 15 mètres, remettant ainsi en cause les déclarations du témoin indiquant que la moto circulait à contre-sens. Si un autre témoin, entendu par la gendarmerie, a indiqué que le conducteur faisait preuve d'une conduite agressive, ses déclarations sont contredites par d'autres témoignages. Il résulte en revanche du rapport d'expertise judiciaire et des conclusions d'un autre expert en accidentologie que M. E... circulait à une vitesse supérieure à la vitesse autorisée de 50 km/h, estimée à 59 km/h par l'expert judiciaire et à 53 km/h par le second expert consulté par la famille, et que son pneu arrière était usé à 100 %. Il résulte également de l'instruction que M. E..., qui connaissait les lieux pour emprunter cette route tous les jours afin de se rendre à son travail, n'a pas adapté sa vitesse au caractère accidentogène des lieux. Dans ces conditions, M. E... a lui-même commis une faute de nature à exonérer la commune de Biganos à hauteur de 30 %.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
9. La nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique du chef d'un accident dont la responsabilité lui est imputée ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige où elle n'a pas été partie et n'aurait pu l'être, mais doivent être déterminées par le juge administratif, compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des personnes morales de droit public et indépendamment des sommes qui ont pu être exposées par le requérant à titre d'indemnité ou d'intérêts.
10. En l'occurrence, si la commune de Biganos a été partie à l'instance introduite par les consorts E... devant le juge correctionnel, la cour d'appel de Bordeaux a, dans son arrêt du 11 décembre 2020 statuant sur intérêts civils, accueilli l'exception d'incompétence opposée par la commune pour procéder à une répartition des responsabilités entre coauteurs, dans leurs rapports entre eux. Par suite, la somme due à la société GMF Assurances, assureur de M. G..., condamnée à indemniser les consorts E..., ne peut dépendre de l'évaluation faite par le juge judiciaire.
S'agissant du préjudice de M. F... E... :
11. Bien qu'ayant perdu brièvement connaissance après le choc, M. E... était conscient à l'arrivée des secours. Il est décédé à l'hôpital plus de trois heures après, à 20h30. Alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait subi l'angoisse d'une mort imminente, il peut être fait une juste appréciation des souffrances endurées en évaluant le préjudice subi à 7 200 euros.
S'agissant des préjudices de Mme C... :
12. M. E..., bien que majeur, résidait au domicile de sa mère. La perte brutale de son fils a causé à Mme C... divorcée E... un préjudice d'affection qui peut être fixé à 20 000 euros.
13. Il résulte de l'instruction que le décès de M. E... a eu des conséquences sur l'état de santé de sa mère, qui souffrait de problèmes psychologiques et présentait une problématique clinique de " deuil compliqué " selon l'expert psychiatre qui l'a examinée le 19 septembre 2018. Les troubles dans les conditions d'existence qui en ont résulté pour Mme C... peuvent être évalués à 15 000 euros.
14. Si Mme C... a suivi à compter de janvier 2021 une psychothérapie, il n'est pas démontré, alors qu'une expertise médicale a estimé son état de santé consolidé le 25 juillet 2018, que ce traitement soit en lien certain avec le décès de son fils. Au demeurant, il n'est pas établi que cette dépense n'a pas été prise en charge par un organisme de sécurité sociale ou une complémentaire santé.
15. Mme C... n'est pas fondée à demander réparation de souffrances endurées, dès lors que ce préjudice n'est pas distinct du préjudice d'affection que peut subir le proche d'une personne décédée.
16. L'intéressée a exposé des frais d'obsèques que le juge judiciaire a admis, au vu des pièces justificatives présentées, à hauteur de 4 555,01 euros. Par suite, la société GMF Assurances est fondée à en demander le remboursement par la commune de Biganos.
S'agissant des préjudices des autres membres de la famille :
17. Le préjudice d'affection des membres de la famille de M. E... peut être fixé, dans les circonstances de l'espèce, à 6 500 euros pour M. A... E..., son père, à 3 000 euros pour M. D... C..., son grand-père et à 6 500 euros chacun pour Mme B... E... et M. H... E..., ses frère et sœur.
18. Le préjudice d'affection subi par l'épouse du grand-père, par l'oncle et par la tante de la victime n'est pas établi par les seules attestations des frère et sœur de
M. F... E....
S'agissant des frais de procédure judiciaire :
19. La société GMF Assurances demande également réparation à la commune pour les frais qu'elle a dû exposer lors de l'instance judiciaire. Contrairement à ce que la commune de Biganos et la SMACL font valoir, la requérante, subrogée dans les droits de l'assuré et de la victime, est fondée à demander que ces frais d'un montant de 8 200 euros, qui doivent être comptés au nombre des préjudices résultant directement de l'accident, soient mis à la charge de la collectivité publique, à hauteur de sa part de responsabilité.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice dont peut se prévaloir la société GMF Assurances en raison des sommes versées en conséquence de la procédure judiciaire d'indemnisation des consorts E... s'élève à 77 455,01 euros, et la part imputable à la commune de Biganos correspond à 54 218,50 euros.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que la commune de Biganos et la société SMACL Assurances ont été condamnées à verser à la société GMF Assurances doit être ramenée de 156 537,21 euros à 54 218,50 euros.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Biganos, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société GMF Assurances demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Biganos et la société SMACL Assurances ont été condamnées à verser à la société GMF Assurances est ramenée de 156 537,21 euros à 54 218,50 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Biganos, à la société SMACL Assurances et à la société GMF Assurances.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01699
Procédure contentieuse antérieure :
La société GMF Assurances a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune de Biganos à lui verser la somme de 156 537,21 euros correspondant aux indemnisations qu'elle a servies pour le compte de son assuré, M. G..., aux ayants droit de M. E..., victime d'un accident de la circulation le 7 juin 2016.
Par un jugement n° 2001430 du 4 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Biganos à verser à la société GMF Assurances la somme de 156 537,21 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin et 21 décembre 2022, la commune de Biganos et la société SMACL Assurances, représentées par la SCP CGCB Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2022 ;
2°) de rejeter la demande de la société GMF Assurances, ainsi que ses conclusions tendant au remboursement des frais de procédure ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire l'indemnisation due à de plus justes proportions et de retenir une faute de la victime exonératoire pour moitié.
Elles soutiennent que :
- la demande de première instance était irrecevable à hauteur de 9 444 euros, dès lors que la société GMF Assurances ne justifiait pas avoir versé cette somme en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 11 décembre 2020 ;
- les fautes commises par M. E... sont de nature à réduire son droit à indemnisation ainsi que celui de ses proches à hauteur de 50 % au minimum, et la juridiction administrative n'est pas liée à cet égard par l'appréciation portée par le juge judiciaire ; il a été établi par l'expert judiciaire et reconnu par la société GMF Assurances dans l'instance relative aux intérêts civils, qu'il circulait à une vitesse excessive de 59 km/h alors que la vitesse autorisée était de 50 km/h, ce que ne remettent pas sérieusement en cause l'expertise privée et les attestations de témoins ; il ressort également de différents témoignages qu'il avait une conduite dangereuse et inadaptée, et a procédé à des dépassements de véhicules dangereux voire interdits, ce que reconnaissait d'ailleurs la société GMF dans l'instance civile, et qu'il circulait à contre-sens de la circulation, ce qui a contribué à diminuer sa visibilité pour les autres usagers de la route ; en outre, la victime connaissait particulièrement bien les lieux pour emprunter cette voie quotidiennement ;
- le juge administratif n'est pas lié par l'appréciation du quantum des préjudices par le juge judiciaire et doit apprécier souverainement l'étendue de la réparation qui incombe à la collectivité publique;
- les souffrances endurées par M. E... peuvent être évaluées à 3 200 euros ; le préjudice d'angoisse de mort imminente n'est pas caractérisé puisqu'aucun élément n'est apporté sur l'état de conscience de la victime au-delà de la prise en charge par les pompiers jusqu'à son décès trois heures plus tard ;
- les préjudices de Mme C..., sa mère, peuvent être fixés à 15 000 euros au titre du préjudice d'affection, 3 269,52 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire (sur la base de 16,66 euros par jour d'incapacité totale), 5 000 euros pour les souffrances endurées et 16 000 euros pour le déficit fonctionnel permanent ; il n'y a pas lieu de majorer le déficit fonctionnel temporaire dès lors qu'en l'espèce, il n'y a pas de préjudice d'agrément ou de préjudice sexuel dont il conviendrait de tenir compte ; aucune indemnisation n'est due au titre des dépenses de santé futures dès lors qu'il n'est pas établi que la thérapie EMDR mise en place en janvier 2021 alors que l'état de Mme C... est consolidé depuis le 25 juillet 2018 et qu'elle souffrait déjà d'une pathologie dépressive sérieuse, serait en lien avec l'accident ; en outre, aucun devis ou facture n'est produit à l'appui de la demande ; il n'est pas davantage démontré que cette dépense n'aurait pas été prise en charge par un organisme de sécurité sociale ou la complémentaire santé ;
- les liens affectifs de la victime avec l'épouse de son grand-père, son oncle et sa tante ne sont pas établis par la seule production d'attestations du frère et de la sœur de la victime ; à le supposer établi, le préjudice subi par chacun d'eux ne saurait excéder 1 500 euros ;
- le préjudice d'affection subi par son père, ses frère et sœur et son grand-père peut être fixé, respectivement, à 15 000 euros, 6 000 euros et 4 500 euros ;
- la société GMF Assurances n'est pas fondée à lui réclamer les frais de procédure judiciaire qu'elle a dû exposer du fait de l'action engagée par les victimes, procédure à laquelle la commune ne pouvait être partie ; à supposer que ces sommes puissent être mises à la charge de la commune, il convient de leur appliquer le taux de 50 % résultant de la faute de la victime ;
- sa condamnation au titre des frais de procédure n'est pas justifiée en l'espèce.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 août 2022 et 5 mai 2023, la société GMF Assurances, représentée par la SCP Maatéis, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Biganos la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle est subrogée dans les droits et actions de l'assuré dès le versement de l'indemnité et à concurrence des sommes versées, en application de l'article L. 121-12 du code des assurances ; la commune a été reconnue coupable d'homicide involontaire de manière définitive ;
- le versement de la somme de 9 444 euros est établi par les mouvements financiers au sein du compte ouvert à la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ;
- la responsabilité de la commune est engagée pour défaut d'entretien de la voie publique, dès lors que son assuré, M. G..., ne pouvait sortir de sa propriété sans risque pour les usagers de la voie et lui-même, ce qui a conduit à sa relaxe définitive par le juge pénal ; la commune, qui avait été informée de cet état de fait par M. G..., était tenue de mettre en place la signalisation nécessaire afin de garantir la sécurité des lieux ; elle n'a pourtant mis en place aucune réglementation de la vitesse, ni posé un miroir dans des conditions réglementaires résultant de l'arrêté du 7 juin 1977, ni remédié à la présence de potelets et d'arceaux qui masquaient la visibilité à la sortie de la propriété de M. G... ;
- l'autorité de la chose jugée de la décision pénale s'attache aux faits matériels de nature à retenir la responsabilité de la commune, à l'acquisition du droit à indemnisation des victimes et au montant de leur indemnisation ;
- c'est par un raisonnement particulièrement motivé que la juridiction judiciaire a limité à 10 % la faute exonératoire de la victime en ne retenant que l'inadaptation de la vitesse aux conditions de circulation et en excluant un dépassement des vitesses réglementaires au vu des témoignages divergents ; les premiers juges ont fait de même et ne se sont pas bornés à rappeler le taux retenu par le juge judiciaire ; il n'est pas établi que M. E... avait une particulière connaissance de la dangerosité des lieux, ou savait que le miroir n'était pas conforme ; au moment de l'impact, M. E... se trouvait dans l'axe de circulation dans lequel il devait se trouver ;
- si la commune se prévaut de l'évolution de la position de la société qui la conduirait à se contredire, cette évolution n'est pas due à une modification de son appréciation de la situation mais à la prise en compte des éléments motivés retenus par la juridiction pénale ;
- la condamnation de la commune doit porter sur la somme de 156 537,21 euros qu'elle a versée aux victimes ; à titre subsidiaire, le montant de chaque préjudice est justifié par les circonstances de l'espèce et cohérent avec ce que peut allouer le juge administratif ; les relations familiales entre la victime et ses proches sont suffisamment établies pour justifier la réparation du préjudice d'affection des victimes par ricochet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Triantafilidis, représentant la commune de Biganos et la SMACL Assurances, et de Me Lecomte, représentant la société GMF Assurances.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 juin 2016, un accident de la circulation s'est produit sur la route des Lacs, sur la commune de Biganos, entre M. E... qui circulait en moto et le véhicule de M. G... qui sortait de sa propriété et s'engageait sur la voie. Heurtant le véhicule par le côté, le motocycliste a été projeté sur la voie opposée, où il a heurté un deuxième véhicule arrivant en sens inverse. Il a été éjecté et a chuté sur des potelets métalliques empêchant le stationnement. Il est décédé à l'hôpital de Bordeaux trois heures plus tard des suites de ses blessures. Par un jugement correctionnel du 3 juillet 2018, devenu définitif, le tribunal de grande instance de Bordeaux a relaxé M. G... des fins de la poursuite pour homicide involontaire et condamné la commune de Biganos, pour les faits d'homicide involontaire par personne morale, au versement d'une amende de 30 000 euros. Par deux arrêts des 11 décembre 2020 et 7 janvier 2022, la cour d'appel de Bordeaux a partiellement censuré le jugement du 9 avril 2019 par lequel le tribunal correctionnel a statué sur intérêts civils. La cour a ainsi infirmé les condamnations prononcées à l'encontre de la commune de Biganos en accueillant l'exception d'incompétence opposée par la commune sur les questions de sa responsabilité civile et sur la répartition des responsabilités entre coauteurs, dans leurs rapports entre eux, et a confirmé le jugement en tant qu'il a retenu une faute de la victime exonératoire à hauteur de 10 %. Réformant l'évaluation de certains préjudices, la cour a condamné M. G... et son assureur, la société GMF Assurances, à verser à la mère de la victime une indemnité de 77 237,21 euros, à son père, son frère et sa sœur des indemnités d'un montant total de 45 900 euros, et aux grands-parents, oncle et tante des indemnités d'un montant global de 25 200 euros, outre les frais de procédure. Après avoir adressé à la commune de Biganos une demande indemnitaire préalable restée vaine, la société GMF Assurances, subrogée dans les droits de la victime par le double effet de la subrogation dans les droits du conducteur responsable et dans ceux de la victime dont elle a bénéficié lorsque la dette à l'égard de cette dernière a été acquittée, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin d'obtenir la condamnation de la commune de Biganos à lui rembourser la somme de 156 537,21 euros versée pour le compte de M. G... aux proches de M. E.... Par un jugement du 4 mai 2022 dont la commune relève appel, le tribunal a fait droit à la demande de la société GMF Assurances.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le versement par l'assureur de l'indemnité à laquelle il est tenu en vertu du contrat d'assurance le liant à son assuré le subroge, dès cet instant et à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de son assuré contre le tiers responsable du dommage. Par suite, l'assureur a, seul, qualité pour agir et obtenir, s'il l'estime opportun, la réparation du préjudice qu'il a indemnisé.
3. Il résulte de l'instruction que la société GMF Assurances a justifié, par la production d'une lettre de son conseil à l'avocat des consorts E..., avoir versé le 1er septembre 2021 la somme de 9 444 euros en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 11 décembre 2020, ce que confirme la production, en appel, d'un extrait de l'historique du compte ouvert auprès de la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) retraçant ce mouvement financier. Par suite, la commune de Biganos n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance serait irrecevable à hauteur d'un tel montant faute de justificatifs de la dépense.
En ce qui concerne la responsabilité de la commune :
4. En premier lieu, il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. Une collectivité publique peut en principe s'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt à l'égard des usagers d'un ouvrage public si elle apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
5. Il résulte de l'instruction que la route des lacs sur laquelle a eu lieu l'accident mortel de M. E... est la route départementale n° 3 qui, en application de l'article L. 131-1 du code de la voirie routière, relève du domaine public routier départemental. Par suite, la société GMF Assurances n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la commune de Biganos, qui n'est pas le maître de l'ouvrage, serait engagée pour défaut d'entretien normal de la voie.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation. (...) ". Aux termes de l'article L. 2213-1-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Sans préjudice de l'article L. 2213-1, le maire peut, par arrêté motivé, fixer pour tout ou partie des voies de l'agglomération ouvertes à la circulation publique une vitesse maximale autorisée inférieure à celle prévue par le code de la route, eu égard à une nécessité de sécurité et de circulation routières, de mobilité ou de protection de l'environnement. "
7. Il résulte de l'instruction que, le 7 juin 2016, M. E... circulait sur la route des lacs à Biganos en direction de Mios. A la sortie du passage souterrain situé à proximité de la gare, il a fait un écart afin d'éviter le véhicule de M. G... qui venait de quitter sa propriété et s'était engagé dans le même sens de circulation. Sa moto ayant toutefois heurté le véhicule de M. G..., M. E... a été déstabilisé et est entré en collision avec le véhicule arrivant en sens inverse. Il résulte des pièces produites, notamment du rapport d'expertise judiciaire et du procès-verbal de gendarmerie cité par le juge pénal, que la sortie de la propriété de M. G... n'offre qu'une faible visibilité sur les usagers de la route venant de la gauche, en raison de la configuration des lieux en sortie de tunnel et en pente, ainsi que de la présence sur le trottoir d'arceaux et de potelets de protection des piétons, masquant les véhicules remontant la pente. Informée depuis de nombreuses années, notamment depuis une pétition de riverains en 2004 à propos de la dangerosité des lieux, la commune a fait installer un miroir courant 2012-2013, dont il n'est pas contesté que son implantation n'est toutefois pas conforme à la réglementation dès lors qu'elle ne permet pas d'anticiper suffisamment la survenue d'un véhicule. La commune a été à nouveau interpellée sur la dangerosité des lieux en février 2016, quelques semaines avant l'accident, lorsque M. G... l'a informée qu'un accident avait été évité de peu. Si les services de la voirie de la commune ont évoqué, à cette occasion, la possibilité de réaliser un coussin berlinois ou un plateau surélevé afin de réduire la vitesse des automobilistes, aucune mesure n'avait été mise en œuvre avant la survenue de l'accident. Dans ces conditions, le maire de Biganos a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, en n'usant pas de son pouvoir de police de la circulation en vue d'assurer la sécurité de la circulation routière au débouché de la propriété de M. G....
8. Pour s'exonérer partiellement de sa responsabilité, la commune, qui ne conteste pas que M. G... n'a commis aucune faute, fait valoir que M. E... circulait à une vitesse excessive, à contre-sens, et qu'il avait ainsi une conduite dangereuse et inadaptée. Les constatations des gendarmes démontrent toutefois que les traces de freinage de la moto se situent au milieu de la voie de circulation en direction de Mios, sur environ 15 mètres, remettant ainsi en cause les déclarations du témoin indiquant que la moto circulait à contre-sens. Si un autre témoin, entendu par la gendarmerie, a indiqué que le conducteur faisait preuve d'une conduite agressive, ses déclarations sont contredites par d'autres témoignages. Il résulte en revanche du rapport d'expertise judiciaire et des conclusions d'un autre expert en accidentologie que M. E... circulait à une vitesse supérieure à la vitesse autorisée de 50 km/h, estimée à 59 km/h par l'expert judiciaire et à 53 km/h par le second expert consulté par la famille, et que son pneu arrière était usé à 100 %. Il résulte également de l'instruction que M. E..., qui connaissait les lieux pour emprunter cette route tous les jours afin de se rendre à son travail, n'a pas adapté sa vitesse au caractère accidentogène des lieux. Dans ces conditions, M. E... a lui-même commis une faute de nature à exonérer la commune de Biganos à hauteur de 30 %.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
9. La nature et l'étendue des réparations incombant à une collectivité publique du chef d'un accident dont la responsabilité lui est imputée ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par l'autorité judiciaire dans un litige où elle n'a pas été partie et n'aurait pu l'être, mais doivent être déterminées par le juge administratif, compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des personnes morales de droit public et indépendamment des sommes qui ont pu être exposées par le requérant à titre d'indemnité ou d'intérêts.
10. En l'occurrence, si la commune de Biganos a été partie à l'instance introduite par les consorts E... devant le juge correctionnel, la cour d'appel de Bordeaux a, dans son arrêt du 11 décembre 2020 statuant sur intérêts civils, accueilli l'exception d'incompétence opposée par la commune pour procéder à une répartition des responsabilités entre coauteurs, dans leurs rapports entre eux. Par suite, la somme due à la société GMF Assurances, assureur de M. G..., condamnée à indemniser les consorts E..., ne peut dépendre de l'évaluation faite par le juge judiciaire.
S'agissant du préjudice de M. F... E... :
11. Bien qu'ayant perdu brièvement connaissance après le choc, M. E... était conscient à l'arrivée des secours. Il est décédé à l'hôpital plus de trois heures après, à 20h30. Alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait subi l'angoisse d'une mort imminente, il peut être fait une juste appréciation des souffrances endurées en évaluant le préjudice subi à 7 200 euros.
S'agissant des préjudices de Mme C... :
12. M. E..., bien que majeur, résidait au domicile de sa mère. La perte brutale de son fils a causé à Mme C... divorcée E... un préjudice d'affection qui peut être fixé à 20 000 euros.
13. Il résulte de l'instruction que le décès de M. E... a eu des conséquences sur l'état de santé de sa mère, qui souffrait de problèmes psychologiques et présentait une problématique clinique de " deuil compliqué " selon l'expert psychiatre qui l'a examinée le 19 septembre 2018. Les troubles dans les conditions d'existence qui en ont résulté pour Mme C... peuvent être évalués à 15 000 euros.
14. Si Mme C... a suivi à compter de janvier 2021 une psychothérapie, il n'est pas démontré, alors qu'une expertise médicale a estimé son état de santé consolidé le 25 juillet 2018, que ce traitement soit en lien certain avec le décès de son fils. Au demeurant, il n'est pas établi que cette dépense n'a pas été prise en charge par un organisme de sécurité sociale ou une complémentaire santé.
15. Mme C... n'est pas fondée à demander réparation de souffrances endurées, dès lors que ce préjudice n'est pas distinct du préjudice d'affection que peut subir le proche d'une personne décédée.
16. L'intéressée a exposé des frais d'obsèques que le juge judiciaire a admis, au vu des pièces justificatives présentées, à hauteur de 4 555,01 euros. Par suite, la société GMF Assurances est fondée à en demander le remboursement par la commune de Biganos.
S'agissant des préjudices des autres membres de la famille :
17. Le préjudice d'affection des membres de la famille de M. E... peut être fixé, dans les circonstances de l'espèce, à 6 500 euros pour M. A... E..., son père, à 3 000 euros pour M. D... C..., son grand-père et à 6 500 euros chacun pour Mme B... E... et M. H... E..., ses frère et sœur.
18. Le préjudice d'affection subi par l'épouse du grand-père, par l'oncle et par la tante de la victime n'est pas établi par les seules attestations des frère et sœur de
M. F... E....
S'agissant des frais de procédure judiciaire :
19. La société GMF Assurances demande également réparation à la commune pour les frais qu'elle a dû exposer lors de l'instance judiciaire. Contrairement à ce que la commune de Biganos et la SMACL font valoir, la requérante, subrogée dans les droits de l'assuré et de la victime, est fondée à demander que ces frais d'un montant de 8 200 euros, qui doivent être comptés au nombre des préjudices résultant directement de l'accident, soient mis à la charge de la collectivité publique, à hauteur de sa part de responsabilité.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice dont peut se prévaloir la société GMF Assurances en raison des sommes versées en conséquence de la procédure judiciaire d'indemnisation des consorts E... s'élève à 77 455,01 euros, et la part imputable à la commune de Biganos correspond à 54 218,50 euros.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que la commune de Biganos et la société SMACL Assurances ont été condamnées à verser à la société GMF Assurances doit être ramenée de 156 537,21 euros à 54 218,50 euros.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Biganos, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société GMF Assurances demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Biganos et la société SMACL Assurances ont été condamnées à verser à la société GMF Assurances est ramenée de 156 537,21 euros à 54 218,50 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Biganos, à la société SMACL Assurances et à la société GMF Assurances.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01699