Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 31/05/2024, 469791

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 469791, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 décembre 2022, 20 février 2023 et 16 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, l'association Comité de sauvegarde des sites de Meudon et l'association Vivre à Meudon demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre des domaines nationaux en tant qu'il porte délimitation du domaine national de Meudon (Hauts-de-Seine), ainsi que les décisions de la Première ministre et de la ministre de la culture rejetant leurs recours gracieux contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 469820, par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre des domaines nationaux en tant qu'il porte délimitation du domaine national de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), ainsi que la décision implicite de la Première ministre rejetant son recours gracieux contre ce décret.


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3° Sous le n° 469822, par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, la Société historique de Soissons et l'association des parcs et jardins de l'Aisne demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre des domaines nationaux en tant qu'il porte délimitation du domaine national du château de Villers-Cotterêts (Aisne), ainsi que les décisions de la Première ministre et de la ministre de la culture rejetant leur recours gracieux contre ce décret.


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4° Sous le n° 469825, par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, l'association Garches est à vous et l'association Coteaux de Seine Associations demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre des domaines nationaux en tant qu'il porte délimitation du domaine national du château de Malmaison (Hauts-de-Seine), ainsi que les décisions de la Première ministre et de la ministre de la culture rejetant leurs recours gracieux contre ce décret.


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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'accord du 25 avril 1969 entre le Gouvernement de la République française et le comité international des poids et mesures, relatif au siège du Bureau international des poids et mesures et à ses privilèges et immunités sur le territoire français, tel que modifié par l'accord du 7 juin 2005 ;
- le code du patrimoine ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- l'arrêté du 17 janvier 2019 fixant le règlement intérieur de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

1. Par la requête enregistrée sous le n° 469791, les associations Sites et Monuments, Comité de sauvegarde des sites de Meudon et Vivre à Meudon demandent l'annulation du décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre des domaines nationaux en tant qu'il porte délimitation du domaine national de Meudon. Par la requête enregistrée sous le n° 469820, l'association Sites et Monuments demande l'annulation du même décret en tant qu'il porte délimitation du domaine national de Saint-Cloud. Par la requête enregistrée sous le n° 469822, l'association Sites et Monuments, la Société historique de Soissons et l'association des parcs et jardins de l'Aisne demandent l'annulation du même décret en tant qu'il porte délimitation du domaine national du château de Villers-Cotterêts. Enfin, par la requête enregistrée sous le n° 469825, les associations Sites et Monuments, Garches est à vous et Coteaux de Seine Associations demandent l'annulation du même décret en tant qu'il porte délimitation du domaine national du château de Malmaison.

2. Ces requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, l'article 18 du règlement intérieur de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture, tel que fixé par un arrêté du 17 janvier 2019 du ministre de la culture, ne comporte pas de règles encadrant la présentation des dossiers relatifs à la délimitation des périmètres des domaines nationaux. Par suite, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que le décret serait entaché d'un vice de procédure né de la méconnaissance de cet article.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'article R. 611-5 du code du patrimoine que la section " protection des immeubles au titre des monuments historiques, domaines nationaux et aliénation du patrimoine de l'Etat " de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture comprend vingt-six membres et de l'article 13 du règlement intérieur de cette commission que le quorum, qui est atteint lorsqu'au moins la moitié des membres composant la section de la commission est présente ou représentée, s'apprécie à l'ouverture de la séance et au moment du vote sur chaque dossier examiné. Il ressort des pièces du dossier que vingt membres étaient présents ou représentés à l'ouverture de la séance du 20 janvier 2022 durant laquelle a été examiné le projet de délimitation du domaine national de Meudon. Par suite, alors que l'association requérante ne soutient pas que des membres de la commission seraient partis au cours de cette séance, ni que le procès-verbal n'aurait pas été dressé correctement sur ce point, le moyen tiré de ce que le décret a été adopté au terme d'une procédure irrégulière à ce titre doit être écarté.

5. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que le décret serait entaché d'un vice de procédure en tant qu'il a été pris après un avis de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture rendu, en ce qui concerne la délimitation des domaines nationaux de Saint-Cloud, du château de Villers-Cotterêts et du château de Malmaison, dans une composition irrégulière au regard de ce que prévoit l'article R. 611-5 du code du patrimoine ne sont pas assortis de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

6. En quatrième et dernier lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite par la ministre de la culture, que le décret attaqué, en ce qui concerne la délimitation des domaines nationaux de Saint-Cloud, du château de Villers-Cotterêts et du château de Malmaison, ne comporte pas de dispositions qui diffèreraient du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'adoption des décrets dont les projets sont examinés par le Conseil d'Etat ne peuvent qu'être écartés.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

7. Aux termes de l'article L. 621-34 du code du patrimoine : " Les domaines nationaux sont des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation et dont l'Etat est, au moins pour partie, propriétaire. / Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l'Etat dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique ". L'article L. 621-35 du même code prévoit que : " La liste des domaines nationaux et leur périmètre sont déterminés par décret en Conseil d'Etat sur proposition du ministre chargé de la culture, après avis de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture et du ministre chargé des domaines (...) / Les domaines nationaux peuvent comprendre des biens immobiliers appartenant à l'Etat, à des collectivités territoriales, à des établissements publics ou à des personnes privées ".

8. En ce qui concerne les parties d'un domaine national qui appartiennent à l'Etat ou à l'un de ses établissements publics, l'article L. 621-36 du code du patrimoine prévoit qu'elles sont inaliénables et imprescriptibles. L'article L. 621-37 du même code ajoute qu'elles sont de plein droit intégralement classées au titre des monuments historiques dès l'entrée en vigueur du décret délimitant le domaine national et qu'elles sont inconstructibles, à l'exception des bâtiments ou structures nécessaires à leur entretien ou à leur visite par le public ou s'inscrivant dans un projet de restitution architecturale, de création artistique ou de mise en valeur.

9. En ce qui concerne les parties d'un domaine national qui appartiennent à une autre personne publique que l'Etat ou l'un de ses établissements publics ou à une personne privée, l'article L. 621-38 du code du patrimoine prévoit qu'à l'exception de celles qui sont classées au titre des monuments historiques, elles sont, sans préjudice de la possibilité d'un tel classement ultérieur, intégralement inscrites de plein droit au titre des monuments historiques dès l'entrée en vigueur du décret délimitant le domaine national. L'article L. 621-39 du même code prévoit par ailleurs que l'Etat est informé avant toute cession de l'une de ces parties et peut exercer à ce titre un droit de préemption.

10. Enfin, l'article L. 621-40 du code du patrimoine prévoit que lorsqu'ils font partie de domaines nationaux, les bois et forêts qui appartiennent à l'Etat, ou sur lesquels l'Etat a des droits de propriété indivis, ne peuvent faire l'objet d'aucune aliénation, même sous forme d'échange.

11. Le décret attaqué du 17 juin 2022, pris en application de l'article L. 621-35 du code du patrimoine, a complété la liste des domaines nationaux prévue à l'article R. 621-98 du même code, en y ajoutant le domaine du château de Villers-Cotterêts (Aisne), le domaine du château de Compiègne (Oise), le domaine de Meudon (Hauts-de-Seine), le domaine du château de Malmaison (Hauts-de-Seine) et le domaine de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Ce même décret a défini à l'annexe 7 du même code les périmètres respectifs de chaque domaine, à travers un plan et des précisions introduites dans un tableau.

12. Lorsqu'il est saisi d'un décret délimitant le périmètre d'un domaine national pris en application de l'article L. 621-35 du code du patrimoine, auquel il est reproché de ne pas inclure dans ce périmètre des parcelles qui devraient l'être au regard de l'objet défini à l'article L. 621-34 du même code, qui est de conserver et restaurer les ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation, il appartient au Conseil d'Etat de rechercher si, en excluant les parcelles contestées, l'autorité compétente a fait une inexacte application de ces dispositions et, dans l'affirmative, d'annuler le décret attaqué en tant qu'il s'abstient de les classer. Il lui appartient, en particulier, de vérifier que l'autorité compétente n'a pas exclu des parcelles présentant un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient l'ensemble immobilier considéré avec l'histoire de la Nation ou dont l'omission affecterait la cohérence de la protection que le décret entend instituer. N'est pas à elle seule de nature à caractériser un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation, la circonstance que des souverains français ou leur famille aient été propriétaires de telles parcelles ou qu'elles auraient été mises, notamment au titre du domaine de la Couronne ou des différentes listes civiles, à leur disposition.

En ce qui concerne la délimitation du domaine national de Saint-Cloud :

13. En premier lieu, l'association Sites et Monuments soutient que le périmètre retenu par l'autorité compétente pour la délimitation du domaine national de Saint-Cloud serait insuffisant en ce qu'il exclut l'ancienne caserne Sully, dite aussi caserne des Gardes du corps de Charles X, édifiée entre 1825 et 1827, puis rétrocédée au ministère de de la guerre en 1834 pour être transformée en caserne, avant d'être désaffectée en 2008 et d'avoir aujourd'hui pour vocation d'accueillir le futur musée du " Grand Siècle ".

14. Toutefois, d'une part, les éléments précédents ne suffisent pas à établir que ce bâtiment tient un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient le domaine national de Saint-Cloud avec l'histoire de la Nation, alors qu'il n'a été construit puis affecté que tardivement et pour une brève période au château de Saint-Cloud. D'autre part, si l'association requérante soutient que ce bâtiment constitue l'une des rares dépendances du domaine de Saint-Cloud à ne pas avoir été incendiée lors de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, il ressort des pièces du dossier qu'il ne présente pas d'intérêt patrimonial en tant que tel et que son exclusion du périmètre du domaine national n'affecte pas la cohérence de la protection que le décret entend instituer. Il en résulte que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur d'appréciation en n'incluant pas la caserne Sully dans le périmètre de ce domaine national.

15. En deuxième lieu, l'association requérante soutient que le périmètre retenu serait également insuffisant en ce qu'il exclut l'édifice dit du " Grand Commun ", ancien couvent des Ursulines sous l'Ancien Régime ayant ensuite servi de commun au château de Saint-Cloud puis de lieu où a été conservé, pendant près d'un siècle, le " Double du grand livre de la dette publique ".

16. Toutefois les éléments précédents ne suffisent pas à établir que ce bâtiment tient un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient le domaine national de Saint-Cloud avec l'histoire de la Nation et si l'association requérante soutient également que le " Grand commun " constitue aussi l'une des rares dépendances de ce domaine à ne pas avoir été détruite à la fin du Second Empire, il ressort des pièces du dossier qu'elle l'a été en partie et que seuls quelques éléments, bénéficiant déjà d'une protection au titre des monuments historiques, présentent un intérêt sur le plan patrimonial. Par ailleurs, ces bâtiments se trouvant sur une parcelle séparée aujourd'hui du reste du domaine par l'autoroute A 13, leur exclusion n'affecte pas la cohérence de la protection que le décret entend instituer. Il en résulte que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur d'appréciation en n'incluant pas le " Grand Commun " dans le périmètre de ce domaine national, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que l'autorité compétente ait fait le choix, par le décret attaqué, d'y intégrer des bâtiments situés à l'immédiate proximité de cet immeuble.

17. En troisième lieu, l'association requérante soutient que le périmètre retenu serait également insuffisant en ce qu'il exclut le pavillon de Breteuil, l'un des premiers trianons construits après celui de Versailles et qui constitue, depuis 1875, le siège du Bureau international des poids et mesures, en dernier lieu dans le cadre de l'accord de siège passé entre la France et le comité international des poids et mesures le 25 avril 1969, tel que modifié par un accord du 7 juin 2005. En ce qu'il symbolise la place que la France a occupée dans la construction d'un système international d'unités de mesure basé sur le mètre, qui a joué lui-même un rôle de premier plan au niveau national, ce bâtiment présente par lui-même un lien exceptionnel avec l'histoire de la Nation. En outre, sa dissociation du reste du domaine national de Saint-Cloud entraîne la formation d'une enclave d'une taille substantielle.

18. Aux termes de l'article 1er de l'accord du 25 avril 1969 : " Le Gouvernement de la République française reconnaît la personnalité civile du Bureau international des poids et mesures (...) et sa capacité de contracter, d'acquérir et d'aliéner les biens mobiliers et immobiliers nécessaires à son activité, et d'ester en justice ". Son article 2 stipule en outre : " Le siège du Bureau comprend les terrains concédés à celui-ci par la République française dans l'enceinte du domaine national de Saint-Cloud, ainsi que les bâtiments construits ou qui viendraient à être construits sur lesdits terrains ". Il ne résulte d'aucune de ces stipulations que le Bureau international des poids et mesures tiendrait de cet accord un droit à construire autre que celui conféré, le cas échéant, par les règles de droit interne en vigueur.

19. Pour justifier de cette exclusion du périmètre du domaine national de Saint-Cloud, les ministres se contentent de soutenir que l'intégration de l'ensemble de la parcelle en cause, composée du pavillon de Breteuil et de plusieurs bâtiments construits pour l'exercice des activités du Bureau international des poids et mesures, dont un observatoire, des laboratoires, une bibliothèque et un pavillon, entraînerait la méconnaissance par la France de ses engagements résultant de l'accord de siège du 25 avril 1969, dès lors que la règle interdisant toute construction au sein des parties d'un domaine national qui appartiennent à l'Etat ou à l'un de ses établissements publics, prévue au second alinéa de l'article L. 621-37 du code du patrimoine, serait incompatible avec les stipulations de cet accord. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que ce moyen ne peut qu'être écarté.

20. Par suite, c'est par une inexacte application de l'article L. 621-34 du code du patrimoine que l'autorité compétente a exclu cet ensemble du périmètre du domaine national de Saint-Cloud.

21. En quatrième et dernier lieu, l'association requérante soutient que le périmètre retenu pour la délimitation du domaine national de Saint-Cloud serait également insuffisant en ce qu'il exclut les étangs dits " de C... ", situés à Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine) et qui servent depuis le XVIIe siècle de réservoir pour l'approvisionnement en eaux du domaine de Saint-Cloud et l'alimentation des bassins et cascades du parc, auquel ils sont reliés par un réseau hydraulique encore fonctionnel. Il ressort ainsi des pièces du dossier que ces étangs, qui ont par ailleurs constitué au XIXe siècle une source d'inspiration pour le peintre D... C..., sont indissociables du domaine de Saint-Cloud pour des raisons à la fois historiques, artistiques et écologiques.

22. Nonobstant l'absence d'achèvement à la date du décret attaqué des travaux programmés afin de garantir la rétention des eaux en cas d'intempéries exceptionnelles, en n'intégrant pas ces étangs, l'autorité compétente s'est abstenue de classer un espace qui n'est pas dissociable du reste du domaine national malgré son éloignement géographique et qui, au regard de l'objet de la législation sur les domaines nationaux, affecte la cohérence de la protection que le législateur a entendu instituer. Il en résulte que l'association requérante est fondée à soutenir que c'est par une inexacte application de l'article L. 621-34 du code du patrimoine que l'autorité compétente a exclu les " étangs de C... " du périmètre du domaine national de Saint-Cloud.

En ce qui concerne la délimitation du domaine national de Meudon :

23. En premier lieu, les associations requérantes soutiennent que le périmètre retenu par l'autorité compétente pour la délimitation du domaine national de Meudon serait insuffisant en ce qu'il exclut une entrave trapézoïdale d'une surface de 4 874 mètres carré jouxtant le " Hangar Y " et située sur le côté nord-ouest de l'étang de Chalais, à cheval sur les parcelles cadastrées sections AO nos 1 et 25. Or, il ressort des pièces du dossier que l'exclusion de cette parcelle, sur laquelle ont été construits un restaurant et un pavillon destiné à l'accueil d'expositions, de conférences et de séminaires, est contradictoire avec l'objectif que poursuit l'Etat de reconstituer la " Grande Perspective " initialement aménagée au XVIIe siècle sous la direction du jardinier André Le Nôtre, alors que des cartes et gravures datant de cette époque et produites au dossier attestent que cet étang se situait alors dans l'axe de l'ancien château de Meudon.

24. La circonstance que l'intégration de cet espace aurait conduit, en raison de son appartenance à l'Etat, à son classement de plein droit au titre des monuments historiques et à le rendre potentiellement inconstructible, sous réserve des exceptions mentionnées au second alinéa de l'article L. 621-37 du code du patrimoine, alors que des autorisations d'urbanisme avaient été accordées et des travaux engagés pour la construction d'un restaurant et d'un pavillon, est inopérante pour apprécier la légalité du décret contesté. Il en est de même de la circonstance alléguée par les ministres selon laquelle cette intégration pourrait être envisagée dans le futur, comme le proposait au demeurant la commission nationale du patrimoine et de l'architecture dans son avis du 20 janvier 2022, alors qu'il incombait à l'autorité compétente d'inclure l'ensemble des parcelles devant être comprises dans le périmètre du domaine national sur le fondement de la règle mentionnée au point 12.

25. En second lieu, les associations requérantes soutiennent que le périmètre retenu serait également insuffisant en ce qu'il exclut les parcelles affectées au ministère des armées et qu'occupe actuellement l'Office national d'études et de recherches aérospatiales. Toutefois, contrairement à la précédente parcelle en cause, cet espace n'est pas situé dans l'axe de la " Grande Perspective ", tandis que seuls quelques bâtiments, bénéficiant d'ailleurs déjà d'une protection au titre des monuments historiques, présentent un intérêt sur le plan patrimonial, en sorte que l'autorité compétente n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 621-34 du code du patrimoine en décidant de les exclure.

26. Par ailleurs, au regard de ce qui est dit au point précédent, la circonstance alléguée selon laquelle l'autorité compétente se serait fondée, pour exclure ce dernier espace du périmètre du domaine national de Meudon, sur un motif d'ordre financier, en raison d'un projet de cession de ce site à des tiers, et non sur des motifs d'ordre exclusivement patrimonial, n'est pas de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué.

En ce qui concerne la délimitation du domaine national du château de Villers-Cotterêts :

27. Les associations requérantes soutiennent que le périmètre du domaine national du château de Villers-Cotterêts devrait comprendre, au-delà du château et de son parc historique, les anciens parcs de chasse du roi François Ier et du duc d'Orléans, situés pour partie dans l'actuelle forêt domaniale de Retz, dès lors que le château aurait dû son développement à l'intérêt porté par les rois de France pour la chasse. Elles soutiennent que leur intégration contribuerait à ce que leur gestion par l'Office national des forêts soit infléchie pour assurer une conservation plus respectueuse de leur caractère paysager et écologique, conformément à l'objectif de protection prévu au second alinéa de l'article L. 621-34 du code du patrimoine.

28. Toutefois, en excluant du périmètre du domaine national du château de Villers-Cotterêts ces espaces, l'autorité compétente n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 621-34 du code du patrimoine, dès lors que leur exclusion n'affecte pas la cohérence de la protection que le décret entend instituer et qu'ils ne présentent pas un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient ce domaine national avec l'histoire de la Nation, notamment fondé sur la signature de l'ordonnance d'août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts. Est sans incidence à cet égard la circonstance que le classement de ces espaces permettrait, selon les requérantes, une protection, organisée conformément aux dispositions de l'article L. 621-40 du même code, plus adéquate des bois et forêts s'y trouvant. Au surplus, ainsi qu'il a été dit au point 12, la circonstance que des souverains français ou des membres de la famille royale aient eu à disposition ces parcs de chasse ne justifie pas, à elle seule, leur intégration dans le périmètre de ce domaine national.

En ce qui concerne la délimitation du domaine national du château de Malmaison :

29. Les associations requérantes soutiennent que le périmètre du domaine national du château de Malmaison devrait comprendre la partie de la " rivière anglaise " qui se situe en dehors du parc du château, ainsi que le parc naturel des Gallicourts et le bois de Saint-Cucufa.

30. En premier lieu, en ce qui concerne ce premier espace, situé entre le château de Malmaison et celui de la Petite Malmaison, il ressort des pièces du dossier qu'il ne présente pas un intérêt particulier sur le plan patrimonial. Il ressort par ailleurs des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article 75 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine qu'en instituant le régime des domaines nationaux, le législateur n'a pas entendu inclure les espaces qui auraient subi des transformations trop profondes ou irréversibles, à l'instar de cette zone qui intègre des habitations résidentielles.

31. Par suite, en excluant du périmètre du domaine national du château de Villers-Cotterêts cet espace, l'autorité compétente n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 621-34 du code du patrimoine, dès lors que son exclusion n'affecte pas la cohérence de la protection que le décret entend instituer et qu'il ne présente pas un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient le domaine national du château de Malmaison avec l'histoire de la Nation.

32. En second lieu, en ce qui concerne le parc naturel des Gallicourts et le bois de Saint-Cucufa, les associations requérantes soutiennent que leur intégration contribuerait à ce que leur gestion par l'Office national des forêts soit infléchie pour assurer une conservation plus respectueuse de leur caractère paysager et écologique, conformément à l'objectif de protection prévu au second alinéa de l'article L. 621-34 du code du patrimoine.

33. Néanmoins, en excluant du périmètre du domaine national du château de Malmaison ces espaces, l'autorité compétente n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 621-34 du code du patrimoine, dès lors que leur exclusion n'affecte pas la cohérence de la protection que le décret entend instituer et qu'ils ne présentent pas un rôle particulier dans le lien, exceptionnel, qu'entretient ce domaine national avec l'histoire de la Nation. Est sans incidence à cet égard la circonstance que le classement de ces espaces permettrait, selon les requérantes, une protection, organisée conformément aux dispositions de l'article L. 621-40 du même code, plus adéquate des bois et forêts s'y trouvant. Au surplus, ainsi qu'il a été dit au point 12, la circonstance que des souverains français ou des membres de la famille impériale, en l'espèce Joséphine de Beauharnais puis Napoléon III, aient été propriétaires des espaces dans lesquels sont compris le parc naturel des Gallicourts et le bois de Saint-Cucufa ne justifie pas, à elle seule, leur intégration dans le périmètre de ce domaine national.

34. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir dirigées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et la ministre de la culture exclusivement contre les requêtes relatives aux domaines nationaux du château de Villers-Cotterêts et du château de Malmaison, que les associations requérantes sont uniquement fondées à demander l'annulation du décret du 17 juin 2022, ainsi que des décisions par lesquelles la Première ministre et la ministre de la culture ont rejeté leurs recours gracieux contre ce décret, en tant qu'il n'inclut pas, d'une part, dans le périmètre du domaine national de Saint-Cloud, le pavillon de Breteuil et les étangs de Ville-d'Avray, dits " étangs de C... ", et, d'autre part, dans le périmètre du domaine national de Meudon, l'enclave trapézoïdale de 4 874 mètres carré située sur le côté nord-ouest de l'étang de Chalais, à cheval sur les parcelles cadastrées sections AO nos 1 et 25.

35. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser aux associations Sites et Monuments, Comité de sauvegarde des sites de Meudon et Vivre à Meudon au titre de la requête n° 469791 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 du décret du 17 juin 2022 complétant la liste de l'article R. 621-98 du code du patrimoine et délimitant le périmètre de domaines nationaux et les décisions de la Première ministre et de la ministre de la culture rejetant les recours gracieux formés contre ce décret sont annulés en tant que ce dernier exclut, d'une part, du périmètre du domaine national de Saint-Cloud le pavillon de Breteuil et les étangs de Ville-d'Avray, dits " étangs de C... " et, d'autre part, du domaine national de Meudon l'entrave trapézoïdale mentionnée au point 23 de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera solidairement aux associations Sites et Monuments, Comité de sauvegarde des sites de Meudon et Vivre à Meudon une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les surplus des conclusions des requêtes enregistrées sous les nos 469791 et 469820 de l'association Sites et Monuments et autres sont rejetés.
Article 4 : Les requêtes enregistrées sous les nos 469822 et 469825 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Sites et Monuments, première requérante de chacune des requêtes, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Vincent Mahé, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.

Rendu le 31 mai 2024.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle


ECLI:FR:CECHR:2024:469791.20240531
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