Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 29/11/2023, 469111

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Polyclinique Les Fleurs a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'Etablissement français du sang a rejeté sa demande du 30 septembre 2019 tendant au paiement d'une indemnité correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée de janvier 2015 à décembre 2018 pour la livraison de produits sanguins labiles et, d'autre part, de condamner cet établissement à lui verser la somme de 23 373,48 euros correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle estime avoir indument acquittée au cours de cette période. Par une ordonnance n° 2001833 du 18 février 2021, le magistrat désigné par la présidente de ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21MA01486 du 22 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Polyclinique Les Fleurs, d'une part, annulé l'ordonnance du 18 février 2021 en tant qu'elle rejette ses conclusions en restitution d'un indu et, d'autre part, condamné l'établissement à lui verser la somme de 23 373,48 euros.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 novembre 2022 et les 23 février et 26 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Etablissement français du sang demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Polyclinique Les Fleurs ;

3°) de mettre à la charge de la société Polyclinique Les Fleurs la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de l'Etablissement français du sang et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Polyclinique Les Fleurs ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'Etablissement français du sang, chargé du service public transfusionnel, a vendu à la société Polyclinique Les Fleurs, au cours des années 2015 à 2018, des produits dérivés du sang humain, dits " produits sanguins labiles ", en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable. La société Polyclinique Les Fleurs a demandé en 2019 à l'Etablissement français du sang de lui rembourser la taxe qu'elle estimait avoir supporté à tort sur ces livraisons. Sa demande ayant été rejetée, la société Polyclinique Les Fleurs a porté le litige devant le tribunal administratif de Toulon. Par une ordonnance du 18 février 2021, le magistrat désigné par la présidente de ce tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 22 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a fait droit à l'appel formé par la société Polyclinique Les Fleurs contre cette ordonnance et condamné l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 23 373,48 euros en restitution de l'indu correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort.

Sur l'assujettissement des livraisons de produits sanguins labiles à la taxe sur la valeur ajoutée :

2. Les dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, transposées par les dispositions du 2° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, prévoient que les livraisons de sang humain sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment de l'arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15 que sont inclus dans le champ de cette exonération les livraisons de produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

3. Par suite, les dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021, aux termes desquelles : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (...) sur les produits visés au 1° (...) de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique. (...) ", c'est-à-dire les " produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n'intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d'origine humaine ", étaient contraires aux dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 en tant qu'elles assujettissaient à la taxe sur la valeur ajoutée les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

Sur le droit à restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort :

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, jusqu'au mois de décembre 2018, l'Etablissement français du sang a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu'il livrait en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts, dans leur rédaction alors en vigueur, et de celles de l'article 4 de l'arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 26 décembre 2018. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 et n'est pas contesté que cette taxe sur la valeur ajoutée a été facturée en méconnaissance du droit de l'Union européenne.

5. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1302 du code civil : " (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ". Aux termes de l'article 1302-1 du même code : " Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ".

6. D'autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que, lorsque l'acquéreur d'un bien a versé au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d'un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment supportée. Si la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

7. Conformément à ce qui a été dit au point 6, pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l'acquéreur doit prioritairement s'adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n'a pas pris l'initiative de lui rembourser l'indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l'administration fiscale si l'obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.

8. Par suite, en jugeant que la société Polyclinique Les Fleurs avait pu, par la voie d'une action civile en restitution de l'indu, demander à l'Etablissement français du sang le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort sur les livraisons de produits sanguins labiles, sans que puisse lui être opposées ni la correcte exécution du contrat, ni l'exception de recours parallèle de la procédure fiscale de restitution d'impositions indues prévue par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et sans préjudice d'une éventuelle action mettant en cause la responsabilité de l'Etat, la cour, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

9. Il résulte de ce qui précède que l'Etablissement français du sang n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent par suite être rejetées.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang la somme de 800 euros à payer à la société Polyclinique Les Fleurs au titre de l'article 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'Etablissement français du sang est rejeté.
Article 2 : L'Etablissement français du sang versera à la société Polyclinique Les Fleurs la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Etablissement français du sang et à la société Polyclinique Les Fleurs.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 novembre 2023 où siégeaient :
M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et
M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-.

Rendu le 29 novembre 2023.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la santé et de la prévention, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

ECLI:FR:CECHR:2023:469111.20231129
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