CAA de NANCY, 1ère chambre, 17/07/2023, 22NC02520, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 juin 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2203696 du 12 septembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Airiau demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 septembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 juin 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur l'obligation de quitter le territoire :
- la décision est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle méconnaît les articles R. 521-4, L. 541-1 et L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que n'a pas été prise en compte sa volonté exprimée lors de son audition du 3 juin 2022 de déposer une demande d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur le refus de délai de départ volontaire :
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision fixant le pays de destination ;
- elle méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;


Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.


M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2023.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Barrois, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant algérien né le 10 septembre 1991, est entré sur le territoire français selon ses déclarations en 2021 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Il a été interpellé et placé en retenue pour vérification du droit au séjour le 3 juin 2022. Par un arrêté du même jour, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... fait appel du jugement du 12 septembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 3 juin 2022 :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ", de l'article L. 521-1 du même code, " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. (...) / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. (...) / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211 1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention. " et de l'article R. 521-4 de ce code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. (...) / Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile et dispensent pour cela la formation adéquate à leurs personnels. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que lors de son audition par les services de police le 3 juin 2022, M. B... a déclaré être entré en France de façon irrégulière depuis un an, être en train de monter un dossier pour demander l'asile en préfecture de Paris et ne pas vouloir retourner en Algérie où il est en danger invoquant des difficultés avec le gouvernement. Il a ainsi manifesté, sans équivoque, sa volonté de demander l'asile lors de cette audition. Toutefois, il ne ressort pas des motifs de la décision que l'autorité administrative aurait examiné cette demande et le préfet ne soutient pas que l'intéressé se trouverait dans l'un des cas où l'attestation prévue à l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devrait ou pourrait lui être refusée. A cet égard, la circonstance qu'il n'ait pas entamé de démarche de régularisation avant son audition par les services de police et n'ait pas réitéré sa demande d'asile après son interpellation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Ainsi, dès lors que M. B... bénéficiait du droit de se maintenir sur le territoire français dès le moment où il avait manifesté sa volonté de demander l'asile lors de son audition du 3 juin 2022 par les services de police et qu'il ne pouvait pas, en l'espèce, faire l'objet d'une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa demande d'asile, M. B... est fondé à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la préfète du Bas-Rhin du 3 juin 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et, par voie de conséquence, des décisions du même jour fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

5. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Airiau avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau de la somme de 1 200 euros.


D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2203696 du 12 septembre 2022 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté en date du 3 juin 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Airiau, avocat de M. B..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Airiau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Airiau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.


Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 juillet 2023.


La rapporteure,
Signé : M. BarroisLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,




S. Robinet
2
N° 22NC02520



Retourner en haut de la page