Tribunal des Conflits, , 03/07/2023, C4279, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, enregistrée à son secrétariat le 11 avril 2023, l'expédition du jugement du 4 avril 2023 par laquelle le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par M. B... A... d'une requête tendant d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet de la préfète de la Gironde de sa demande du 18 août 2022 de sortie de l'unité pour malades difficiles (UMD) où il est hospitalisé et de transfert dans un établissement de santé ordinaire et, d'autre part, à la délivrance d'une injonction au préfet de procéder à la mainlevée de son placement en UMD, sous astreinte de 500 euros par jour, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Bordeaux du 17 juin 2022 infirmant l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 juin 2022 en ce qu'elle ordonne la mainlevée du placement en UMD de M. A... et se déclarant incompétent pour connaître de cette demande ;

Vu, enregistré le 12 mai 2023, le mémoire présenté pour la Ligue des droits de l'Homme, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente en application de l'article 66 de la Constitution ;

Vu, enregistrées le 31 mai 2023, les observations présentées par le ministère de la santé et de la prévention, s'en remettant à la décision du Tribunal ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. A... et son conseil, à la préfète de la Gironde et au ministre chargé de l'intérieur et des Outre-mer, qui n'ont pas produit de mémoire ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la santé publique et notamment ses articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1, L. 3222-5-1, L. 3216-1et R. 3222-1 à R. 3222-7 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Frédérique Agostini, membre du Tribunal,

- les observations de la SCP Spinosi pour M. B... A... et la Ligue des droits de l'Homme (LDH),

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du représentant de l'Etat du 31 janvier 2005 portant hospitalisation d'office, M. A... a été admis au sein de l'unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac. La mesure d'hospitalisation d'office, devenue mesure de soins psychiatriques sans consentement sous forme d'une hospitalisation complète, a été depuis renouvelée et s'est poursuivie au sein de la même UMD. Par requête enregistrée au greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux le 4 avril 2022, la préfète de la Gironde a sollicité la prolongation de la mesure d'hospitalisation complète. Dans le cadre de cette instance, M. A... a demandé qu'il soit fait droit à la requête en prolongation de la mesure de soins psychiatriques sans consentement mais que l'hospitalisation n'ait plus lieu au sein d'une UMD. Par ordonnance du 9 juin 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné la mainlevée du placement en UMD de M. A..., autorisé le maintien de l'hospitalisation complète et dit que sa poursuite se fera hors l'UMD. Par ordonnance du 17 juin 2022, le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en ce qu'elle a ordonné la mainlevée du placement en UMD et a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de cette demande, confirmant pour le surplus l'ordonnance déférée. Par requête enregistrée le 20 octobre 2022, M. A... a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande du 18 août 2022 de sortie de l'UMD pour une poursuite de ses soins psychiatriques sans consentement dans un établissement de santé ordinaire et, d'autre part, à ce qu'injonction soit faite à la préfète de la Gironde, sous astreinte, de procéder à la mainlevée de son placement en UMD. Par jugement du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux, a renvoyé au Tribunal des conflits, sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence.

Sur l'intervention de la Ligue des droits de l'Homme

2. Eu égard à son objet social, la Ligue des droits de l'Homme justifie d'un intérêt à intervenir dans la présente affaire. Son intervention est donc recevable.

Sur la compétence

3. Aux termes des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique, le juge des libertés et de la détention a compétence pour contrôler de manière régulière et systématique ainsi que de manière facultative, à la demande notamment des personnes et de leur entourage, la poursuite des mesures de soins sans consentement prononcée et en ordonner la mainlevée. Le juge des libertés et de la détention a également compétence pour ordonner la mainlevée d'une mesure d'isolement et de contention dont peuvent faire l'objet, en application de l'article L. 3222-5-1 du même code, les patients admis en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète et pour contrôler, de manière régulière et systématique ainsi que de manière facultative, à la demande notamment des personnes et de leur entourage, le renouvellement de ces mesures et en ordonner la mainlevée. Aux termes de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique : " La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. / Lorsque le tribunal de grande instance statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées ".

4. Il résulte de ces dispositions que toute action relative à la régularité et au bien-fondé d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d'une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire.

5. En vertu de l'article R. 3222-1 du code de la santé publique, seules peuvent être admis dans une UMD, les patients faisant l'objet d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète prononcée soit par le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police en application des chapitres III et IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du même code, soit par une juridiction pénale en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale.

6. Il s'ensuit que la juridiction judiciaire est également compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet compétent admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatrique sans son consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, ou refuse sa sortie d'une telle unité.

7. Le litige opposant M. A... à la préfète de la Gironde relatif au rejet de sa demande de sortie de l'UMD et de transfert dans un autre établissement de santé ressortit donc à la compétence de la juridiction judiciaire.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Ligue des droits de l'Homme est admise.

Article 2 : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant M. A... à la préfète de la Gironde.

Article 3 : L'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Bordeaux du 17 juin 2022 est déclarée nulle et non avenue en tant qu'elle infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bordeaux du 9 juin 2022 en ce qu'elle a ordonné la mainlevée du placement en unité pour malades difficiles de M. A... et déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande de M. A... de mainlevée de son placement en unité pour malades difficiles. La cause et les parties sont renvoyées devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Bordeaux.

Article 4 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Bordeaux est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 4 avril 2023.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A..., à la préfète de la Gironde, à la Ligue des droits de l'Homme, au ministre chargé de la santé et de la prévention et au ministre chargé de l'intérieur et des Outre-mer.


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