Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 12/06/2023, 464470, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 mai et 24 octobre 2022 et le 2 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Coordination Handicap et Autonomie - Vie Autonome France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 mars 2022 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles et l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les montants maximaux attribuables au titre des éléments de la prestation de compensation ;

2°) d'enjoindre au ministre chargé des personnes handicapées de prendre un nouvel arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New York le 30 mars 2007 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;





Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles : " La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. / Cette compensation consiste à répondre à ses besoins (...) ". Aux termes du I de l'article L. 245-1 du même code : " Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine, dans les collectivités mentionnées à l'article L. 751-1 du code de la sécurité sociale ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l'importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces (...) ". Enfin, l'article L. 245-3 de ce code dispose que : " La prestation de compensation peut être affectée, dans des conditions définies par décret, à des charges : / 1° Liées à un besoin d'aides humaines (...) " et l'article L. 245-4 dispose que : " L'élément de la prestation relevant du 1° de l'article L. 245-3 est accordé à toute personne handicapée soit lorsque son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les actes essentiels de l'existence ou requiert une surveillance régulière, soit lorsque l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une fonction élective lui impose des frais supplémentaires. / Le montant attribué à la personne handicapée est évalué en fonction du nombre d'heures de présence requis par sa situation et fixé en équivalent-temps plein, en tenant compte du coût réel de rémunération des aides humaines en application de la législation du travail et de la convention collective en vigueur ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles : " La prestation de compensation est accordée, pour une durée d'attribution unique et renouvelable, sur la base de tarifs et de montants fixés par nature de dépense, dans la limite de taux de prise en charge qui peuvent varier selon les ressources du bénéficiaire. Les montants maximums, les tarifs et les taux de prise en charge sont fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées. Les modalités et la durée d'attribution de cette prestation sont définies par décret (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article R. 245-41 du même code : " Le montant mensuel attribué au titre de l'élément lié à un besoin d'aides humaines est égal au temps d'aide annuel multiplié par le tarif applicable et variable en fonction du statut de l'aidant et divisé par 12, dans la limite du montant mensuel maximum fixé à l'article R. 245-39 ". Enfin, le premier alinéa de l'article R. 245-42 de ce code dispose que : " Les montants attribués au titre des divers éléments de la prestation de compensation sont déterminés dans la limite des frais supportés par la personne handicapée. Ils sont établis à partir de tarifs fixés par arrêtés du ministre chargé des personnes handicapées ".

3. Par deux arrêtés du 28 décembre 2005, le ministre chargé des personnes handicapées a, d'une part, fixé les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles et, d'autre part, fixé les montants maximaux attribuables au titre des éléments de la prestation de compensation. L'association Coordination Handicap et Autonomie - Vie Autonome France demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 mars 2022 de la secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, modifiant ces deux arrêtés.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles : " L'élément mentionné au 1° de l'article L. 245-3 peut être employé, selon le choix de la personne handicapée, à rémunérer directement un ou plusieurs salariés (...) ou à rémunérer un service prestataire d'aide à domicile. (...) ". Il s'ensuit que lorsque la personne handicapée choisit de rémunérer directement un ou plusieurs salariés, elle entre dans le champ d'application des dispositions du second alinéa de l'article L. 7221-1 du code du travail, aux termes desquelles : " Le particulier employeur emploie un ou plusieurs salariés à son domicile privé (...) sans poursuivre de but lucratif et afin de satisfaire des besoins relevant de sa vie personnelle, notamment familiale, à l'exclusion de ceux relevant de sa vie professionnelle ". La relation de travail qui unit le particulier employeur et son salarié est, dès lors, régie notamment par la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile du 15 mars 2021, étendue par arrêté du 6 octobre 2021, qui s'est substituée à compter de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2022, à celle des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999. L'annexe VII à cette convention procède à une classification en emplois-repères répartis dans cinq domaines d'activités comprenant notamment l'accompagnement d'une personne dans le maintien de son autonomie ou en situation de handicap. Ces emplois-repères sont positionnés sur une grille sur laquelle les assistants de vie sont répertoriés dans des catégories A à D associées aux minimums salariaux conventionnels applicables. Dans la rédaction issue de l'arrêté attaqué, en vigueur à compter du 1er avril 2022, l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit que : " a) En cas de recours à une aide à domicile employée directement, le tarif est égal à 140 % du salaire horaire brut d'un(e) assistant(e) de vie C, au sens de la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile du 15 mars 2021 / Lorsqu'un ou plusieurs gestes liés à des soins prescrits par un médecin sont confiés à l'assistant(e) de vie (...), le tarif est égal à 140 % du salaire horaire brut d'un(e) assistant(e) de vie D, au sens de la convention collective précitée. / (...) Ces tarifs sont majorés de 10 % en cas de recours à un service mandataire ". Ces tarifs étaient précédemment fixés à 130 % du salaire horaire brut d'un assistant de vie C ou D dans la classification de la convention collective du 24 novembre 1999.

5. Si le salaire brut minimum conventionnel prévu par la convention collective des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile est un salaire brut avant déduction des seules contributions et cotisations salariales, de sorte qu'il n'intègre pas l'ensemble des charges pouvant peser sur le particulier employeur, il n'en résulte pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, que la fixation d'un tarif consistant en une majoration du salaire brut minimum conventionnel par application d'un taux fixe, dont l'arrêté attaqué s'est au demeurant borné à rehausser le niveau de 130 % à 140 %, serait par elle-même impropre à assurer le respect des dispositions législatives citées aux points 1 et 2. Il ne ressort pas, par ailleurs, des pièces du dossier que le niveau du tarif retenu par l'arrêté attaqué ne permettrait pas que le montant attribué soit regardé comme assurant la prise en compte, conformément à ces dispositions législatives, du coût réel de rémunération des aides humaines en application de la législation du travail et de la convention collective en vigueur, nonobstant les différentes charges susceptibles de peser sur le bénéficiaire de la prestation en sa qualité d'employeur, et alors même que certaines de ces charges s'ajoutent au salaire brut minimum conventionnel retenu comme base de calcul du tarif et peuvent fluctuer selon les situations et évoluer dans le temps. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le droit à la compensation du handicap tel qu'il résulte notamment du deuxième alinéa de l'article L. 245-4 du code de l'action sociale et des familles.

6. En deuxième lieu, il ne ressort en tout état de cause des pièces du dossier ni que le tarif résultant de l'arrêté attaqué, pris pour l'application de dispositions légales prévoyant le principe de la compensation du handicap dans la limite de montants maximums, de tarifs et de taux de prise en charge, conduirait à laisser systématiquement aux bénéficiaires particuliers employeurs un reste à charge, ni que celui-ci, quand il existe, atteindrait un niveau tel que les exigences des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 seraient susceptibles d'être méconnues.

7. En troisième lieu, si les arrêtés du 28 décembre 2005 se référaient, jusqu'à leur modification par l'arrêté du 28 mars 2022, aux dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, l'entrée en vigueur de la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile le 1er janvier 2022 n'a pas eu pour objet ou pour effet de rendre inapplicables les tarifs et montants maximaux qui étaient en vigueur à cette date. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué, qui n'aurait en tout état de cause pu légalement revêtir un caractère rétroactif, serait entaché d'illégalité faute de s'appliquer à la prestation de compensation du handicap due aux bénéficiaires sur la période allant du 1er janvier au 31 mars 2022.

8. En dernier lieu, les stipulations des articles 19 et 20 de la convention relative aux droits des personnes handicapées signée à New York le 30 mars 2007, par lesquelles les Etats signataires s'engagent à prendre " des mesures efficaces " pour faciliter l'autonomie de vie des personnes handicapées et leur inclusion dans la société, ainsi que leur mobilité personnelle, requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d'effet direct. Dès lors, leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée à l'encontre de l'arrêté attaqué.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Coordination Handicap et Autonomie - Vie Autonome France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Coordination Handicap et Autonomie -Vie autonome France est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Coordination Handicap et Autonomie - Vie autonome France et au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 12 juin 2023.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber

ECLI:FR:CECHR:2023:464470.20230612
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