CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 08/06/2023, 21TL20162, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ateliers des Graves a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires dus à raison de la restitution tardive de la créance de crédit d'impôt recherche au titre des années 2012, 2013 et 2014, assortis des intérêts au taux légal dus sur cette somme depuis le 8 septembre 2015.

Par un jugement n° 1903215 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2021 sous le n° 21BX00162 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL20162 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire enregistré le 28 février 2023, la société Ateliers des Graves, représentée par Me Forget, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les intérêts moratoires, à hauteur de 70 667,52 euros, dus à raison de la restitution tardive des créances de crédit d'impôt recherche au titre des années 2012, 2013 et 2014, assortis des intérêts au taux légal dus sur cette somme depuis le 8 septembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable sans l'avoir invitée à la régulariser et alors qu'elle était mandatée par sa société mère ;
- le remboursement des créances de crédit d'impôt recherche étant intervenu postérieurement au rejet, né du silence gardé par l'administration au-delà du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la demande formée à cette fin par sa société mère ouvre droit au versement d'intérêts moratoires à compter de la date de la demande de remboursement.

Par deux mémoires, enregistrés le 27 juillet 2021 et le 22 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête.

Par ordonnance du 3 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Restino,
- les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Wessel-Fronton, représentant la société Atelier des Graves.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ateliers des Graves fait partie d'un groupe fiscalement intégré à la tête duquel se trouve la société ADG Group. Le 8 septembre 2015, la société ADG Group a déposé, en son nom et celui de la société Ateliers des Graves, des déclarations de crédit d'impôt recherche au titre des années 2012, 2013 et 2014 à raison des dépenses de recherche exposées par sa filiale. Elle a également déposé une réclamation tendant au remboursement des créances correspondantes, soit 248 209 euros, 209 406 euros et 101 278 euros, respectivement au titre des années 2012, 2013 et 2014. La société Ateliers des Graves a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les crédits d'impôt recherche des années 2012, 2013 et 2014, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause les montants déclarés, à concurrence respectivement de 16 788 euros, 2 821 euros et 3 924 euros, par une proposition de rectification du 14 décembre 2018. Par une lettre datée du 14 janvier 2019, la société Ateliers des Graves a accepté ces rectifications. Elle a, en outre, demandé que le remboursement des créances de crédit d'impôt recherche soit assorti des intérêts moratoires. Par une décision du 9 avril 2019, l'administration a accepté la demande de remboursement de ces créances à concurrence de 231 421 euros au titre de l'année 2012, 206 585 euros au titre de l'année 2013 et 97 354 euros au titre de l'année 2014 mais a refusé d'assortir le paiement de ces sommes des intérêts moratoires. Les créances de crédit d'impôt recherche ont été remboursées à la société ADG Group le 31 juillet 2019. La société Ateliers des Graves relève appel du jugement du 17 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser les intérêts moratoires afférents aux créances de crédit d'impôt recherche remboursées le 31 juillet 2019, augmentés des intérêts légaux.

2. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés (...) ".
3. Aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables du groupe (...) / Chaque société du groupe est tenue solidairement au paiement de l'impôt sur les sociétés (...) et, le cas échéant, des intérêts de retard, majorations et amendes fiscales correspondantes, dont la société mère est redevable, à hauteur de l'impôt et des pénalités qui seraient dus par la société si celle-ci n'était pas membre du groupe ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une imposition a été acquittée par la société mère d'un groupe fiscalement intégré, la société filiale n'est plus susceptible de se voir réclamer le paiement de cette imposition en sa qualité de débiteur solidaire et qu'à défaut d'un mandat que lui aurait régulièrement confié la société mère, elle n'est, par suite, pas recevable à contester l'imposition dont il s'agit.

4. Aux termes de l'article 223 O du même code : " 1. La société mère est substituée aux sociétés du groupe pour l'imputation sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable au titre de chaque exercice : / (...) b. Des crédits d'impôt pour dépenses de recherche dégagés par chaque société du groupe en application de l'article 244 quater B ; l'article 199 ter B s'applique à la somme de ces crédits d'impôt (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'au sein d'un groupe fiscalement intégré, seule la société mère peut imputer, sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble du groupe dont elle est redevable, les crédits d'impôt pour dépenses de recherche dégagés par les sociétés du groupe en application de l'article 244 quater B de ce code. Il résulte également de ces dispositions, qui rendent l'article 199 ter B du code applicable à la somme de ces crédits d'impôt, que lorsque la créance correspondant à l'excédent de ces crédits d'impôt après imputation sur le résultat d'ensemble est immédiatement remboursable, elle ne peut être remboursée, au sein d'un tel groupe, qu'à la société mère. Il appartient par suite à cette société de demander à l'administration fiscale, par la présentation d'une réclamation contentieuse, le remboursement de cette créance.
5. Aux termes de l'article R. 197-3 du livre des procédures fiscales : " Toute réclamation doit à peine d'irrecevabilité : / a) Mentionner l'imposition contestée ; / b) Contenir l'exposé sommaire des moyens et les conclusions de la partie ; / c) Porter la signature manuscrite de son auteur ; à défaut l'administration invite par lettre recommandée avec accusé de réception le contribuable à signer la réclamation dans un délai de trente jours ; / d) Etre accompagnée soit de l'avis d'imposition, d'une copie de cet avis ou d'un extrait du rôle, soit de l'avis de mise en recouvrement ou d'une copie de cet avis, soit, dans le cas où l'impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou d'un avis de mise en recouvrement, d'une pièce justifiant le montant de la retenue ou du versement. / La réclamation peut être régularisée à tout moment par la production de l'une des pièces énumérées au d (...) ". Aux termes de l'article R. 197-4 du même livre : " Toute personne qui introduit ou soutient une réclamation pour autrui doit justifier d'un mandat régulier. Le mandat doit, à peine de nullité, être produit en même temps que l'acte qui l'autorise ou enregistré avant l'exécution de cet acte / Toutefois, il n'est pas exigé de mandat des avocats inscrits au barreau ni des personnes qui, en raison de leurs fonctions ou de leur qualité, ont le droit d'agir au nom du contribuable. Il en est de même si le signataire de la réclamation a été mis personnellement en demeure d'acquitter les impositions mentionnées dans cette réclamation (...) ". Aux termes de l'article R. 200-2 du même livre : " (...) Les vices de forme prévus aux a, b, et d de l'article R. 197-3 peuvent, lorsqu'ils ont motivé le rejet d'une réclamation par l'administration, être utilement couverts dans la demande adressée au tribunal administratif. / Il en est de même pour le défaut de signature de la réclamation lorsque l'administration a omis d'en demander la régularisation dans les conditions prévues au c du même article ". Il résulte de ces dispositions que si une réclamation présentée par une personne qui n'a ni qualité ni mandat pour le faire est irrecevable, ce vice de forme peut, en l'absence de demande de régularisation adressée par l'administration dans les conditions prévues au c de l'article R. 197-3, être régularisé par le contribuable dans sa demande devant le tribunal administratif. Cette régularisation est donc possible jusqu'à l'expiration du délai imparti au contribuable pour présenter cette demande. En revanche, après l'expiration de ce délai, l'irrecevabilité de la réclamation préalable présentée à l'administration et, par conséquent, celle de la demande contentieuse, ne peuvent plus être régularisées, quand bien même l'administration n'aurait pas invité le contribuable à le faire. Une telle irrecevabilité doit être relevée d'office par le juge, y compris pour la première fois en appel si elle n'a pas été relevée en première instance.
6. D'une part, il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de la société requérante comme irrecevable, après avoir informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative par une lettre du 22 octobre 2020, que le jugement était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité de la requête en raison du défaut d'intérêt pour agir de la société requérante, qui n'est pas la personne titulaire de la créance. La société requérante, qui ne conteste pas que la société ADG Group était seule recevable à demander le versement des intérêts moratoires afférents aux créances de crédit d'impôt recherche qui ont été remboursées à cette société le 31 juillet 2019, n'avait pas produit le mandat de sa société mère l'habilitant à présenter la demande avant l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite et contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal administratif de Toulouse n'était pas tenu d'inviter la société requérante à régulariser sa demande, dont l'irrecevabilité n'était pas susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours. D'autre part, si la société requérante soutient qu'elle était mandatée par sa société mère pour demander la condamnation de l'Etat à verser à cette dernière les intérêts moratoires afférents aux créances de crédit d'impôt recherche qui lui ont été remboursées, elle ne l'établit pas en se prévalant d'un mandat implicite tendant à obtenir le remboursement non pas des intérêts moratoires mais des créances de crédit d'impôt, qui aurait été admis par l'administration, et en produisant devant la cour un mandat de sa société mère en date du 28 décembre 2020, postérieur à l'expiration du délai de recours devant le tribunal administratif. Par suite, la demande de la société Ateliers des Graves était irrecevable et c'est à bon droit que les premiers juges l'ont rejetée pour ce motif.

7. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Ateliers des Graves est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ateliers des Graves et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, où siégeaient :

- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.
La rapporteure,
V. Restino
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21TL20162 2
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