CAA de NANCY, 2ème chambre, 13/04/2023, 22NC00335, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet du territoire de Belfort l'a obligé à quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et l'a assigné à résidence et la décision du même jour refusant de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2100942 du 17 juin 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté les conclusions de M. C... dirigé contre les décisions du 10 juin 2021 par lesquelles le préfet du territoire de Belfort l'a obligé à quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et l'a assigné à résidence et a renvoyé le surplus des conclusions de la demande de M. C... devant une formation collégiale du tribunal.

Par un jugement n° 2100942 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. C....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2022, M. C..., représenté par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 juin 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation des décisions du 10 juin 2021 par lesquelles le préfet du territoire de Belfort l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et l'a assigné à résidence

2°) d'enjoindre au préfet du territoire de Belfort de procéder sans délai à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen et de réexaminer sa situation administrative dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir en lui délivrant cet examen une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail,

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Il soutient que :
- le préfet ne pouvait légalement prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il avait déposé une demande de titre de séjour le 8 mars 2021 et se maintenait donc régulièrement sur le territoire français le temps de l'instruction de cette demande ;
- le préfet, saisi d'éléments suffisamment précis et circonstanciés pour établir que son état de santé était susceptible de faire obstacle à l'édiction d'une obligation de quitter le territoire français, a entaché sa décision d'un vice de procédure en s'abstenant de saisir le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en méconnaissance de l'article R. 611-1 3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire au motif qu'il avait présenté de faux documents d'état civil ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation en l'interdisant de retour sur le territoire français au motif qu'il avait présenté de faux documents d'état civil ;
- la décision d'assignation à résidence doit être annulée par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2022, le préfet du territoire de Belfort conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.


M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picque, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.



Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant malien, est entré irrégulièrement en France au début de l'année 2019 et a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 20 octobre 2020. Par un arrêté du 10 juin 2021, le préfet du Territoire de Belfort l'a obligé à quitter le territoire français sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, a refusé de lui accorder un départ volontaire, a fixé le pays de destination, l'a interdit de retour sur le territoire d'une durée de six mois et l'a assigné à résidence dans le département. M. C... relève appel du jugement du 17 juin 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur l'arrêté attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". L'article R. 611-2 ajoute que cet avis " est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu : 1° D'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier ; 2° Des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article 9 de l'arrêté du 27 décembre 2016 : " L'étranger qui, dans le cadre de la procédure prévue aux titres I et II du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sollicite le bénéfice des protections prévues au 10° de l'article L. 511-4 (...) est tenu de faire établir le certificat médical mentionné au deuxième alinéa de l'article 1er. (...) ". Et en vertu de l'article 1er de cet arrêté : " L'étranger qui dépose une demande de délivrance ou de renouvellement d'un document de séjour pour raison de santé est tenu, pour l'application des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de faire établir un certificat médical relatif à son état de santé par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier. / A cet effet, le préfet du lieu où l'étranger a sa résidence habituelle lui remet un dossier comprenant une notice explicative l'informant de la procédure à suivre et un certificat médical vierge, dont le modèle type figure à l'annexe A du présent arrêté ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un ressortissant étranger dont la demande d'asile a été rejetée, le préfet doit s'assurer que la situation de l'intéressé n'entre dans aucun des cas listés à l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En particulier, lorsque des éléments sérieux relatifs à l'état de santé de l'intéressé ont été portés à sa connaissance, il appartient au préfet d'examiner ces éléments en vue de mettre en œuvre la procédure prévue par les dispositions précitées pour faire constater cet état de santé notamment en délivrant le dossier contenant la notice explicative de la procédure et le certificat médical vierge devant être transmis au collège de médecins de l'OFII.

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de l'arrêté en litige que, le 10 mars 2021, le préfet du territoire de Belfort, a été saisi d'une demande de titre de séjour " vie privée familiale " présentée par M. C..., motivée par l'état de santé de ce dernier. M. C... fait valoir qu'à l'appui de cette demande, il avait produit un certificat médical du 26 décembre 2020 du chef du service d'hépato-gastro-entérologie de l'hôpital Nord Franche-Comté. Ce certificat indique que le requérant est atteint d'une hépatite B qui nécessite un traitement prolongé qui, à la connaissance du médecin signataire, ne serait pas disponible dans son pays d'origine et dont le défaut serait, " d'une exceptionnelle gravité (...) à l'échelle de peu d'années ". Le préfet du territoire de Belfort ne conteste pas que ce certificat médical, suffisamment précis sur la nature et la gravité de l'état de santé de M. C..., avait été porté à sa connaissance à la date de la mesure d'éloignement en litige survenue le 10 juin 2021. Dans ces conditions, le préfet du territoire de Belfort ne pouvait légalement obliger M. C... à quitter le territoire français sans avoir préalablement mis en œuvre de la procédure prévue pour faire constater l'état de santé d'un étranger qui sollicite le bénéfice de la protection prévue par le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, à l'article 2 du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juin 2021 par laquelle le préfet du territoire de Belfort l' a obligé quitter le territoire français et, par voie de conséquences, les décisions concomitantes refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays à destination duquel il serait renvoyé, l'interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et l'assignant à résidence.

Sur l'injonction et l'astreinte :

6. Le présent arrêt, par lequel la cour fait droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par M. C..., a pour conséquence d'obliger le préfet du Territoire de Belfort à statuer à nouveau sur la situation de M. C... en tendant compte des motifs énoncés au point 4 qui impliquent nécessairement de recueillir préalablement l'avis du collège de médecin de l'OFII. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans cette attente, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il y a également lieu d'enjoindre au préfet de délivrer immédiatement à M. C... une autorisation provisoire de séjour, valable jusqu'à ce qu'il ait de nouveau statué sur sa demande. En revanche, les dispositions de l'article R. 431-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, font obstacle à ce qu'il soit enjoint au préfet d'assortir cette autorisation provisoire de séjour d'une autorisation d'exercer une activité professionnelle. Enfin, l'annulation de la décision interdiction de retour implique également d'enjoindre au préfet de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés à l'instance :

7. M. C... obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Dravigny conseil de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.



D E C I D E :


Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2100942 du jugement du 17 juin 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Besançon et l'arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet du territoire de Belfort l'a obligé à quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il serait renvoyé, l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois et l'a assigné à résidence sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Territoire de Belfort de délivrer immédiatement à M. C... une autorisation provisoire de séjour, de mettre en œuvre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt la procédure d'effacement du signalement de M. C... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen et, enfin, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, de réexaminer la situation de M. C... selon les modalités fixées au point 6 de l'arrêt qui impliquent notamment de recueillir l'avis du collège de médecin de l'OFII.

Article 3 : L'Etat versera à Me Dravigny, avocate de M. C..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., Me Dravigny et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Territoire de Belfort.


Délibéré après l'audience du 7 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Agnel, président,
- Mme Picque, première conseillère,
- Mme Barrois, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.


La rapporteure,
Signé : A.-S. PicqueLe président,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,
La greffière,


C. Schramm.
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N° 22NC00335



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