Conseil d'État, 5ème chambre, 17/03/2023, 453647, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 23 mars 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions présentées par Mme E... D... et M. A... D..., en leur nom propre et en qualité de représentants de leurs filles mineures B... et C..., dirigées contre l'arrêt n° 18NC02933, 18NC03327 du 15 avril 2021 de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il procède à l'évaluation des préjudices B... D... au titre du besoin d'assistance par tierce personne.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés le 25 août 2022 et le 15 février 2023, le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) demandent au Conseil d'Etat de rejeter le pourvoi de Mme D... et autres et, par la voie du pourvoi incident, d'annuler l'arrêt en tant qu'il a fixé à treize euros le taux horaire de l'indemnité accordée au titre du besoin d'assistance par une tierce personne B... D....



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme D... et autres, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et de la société hospitalière d'assurances mutuelles.




Considérant ce qui suit :

1. Mme E... D... et M. A... D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants de leurs filles mineures B... et C... et de la société Jade, ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du retard de diagnostic de la méningite néonatale de leur fille B.... Par un jugement du 9 octobre 2018, le tribunal administratif a condamné solidairement le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et la SHAM à verser les sommes de 266 289, 38 euros à B... D..., 55 956 euros à M. et Mme D... et 27 000 euros à la société Jade, ainsi qu'une rente trimestrielle revalorisable à B... D... d'un montant de 106 euros par jour en cas de prise en charge à domicile et de 37 euros par jour en cas d'accueil dans une institution spécialisée. Par une décision du 23 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a admis les conclusions du pourvoi de Mme D... et autres dirigées contre l'arrêt du 15 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement, qu'en tant qu'il procède à l'évaluation des préjudices B... D... au titre du besoin d'assistance par tierce personne. Par la voie du pourvoi incident, le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et la SHAM demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il fixe à treize euros le taux horaire de l'indemnité accordée au titre du besoin d'assistance par une tierce personne B... D....

Sur le pourvoi principal de Mme D... et autres :

2. En premier lieu, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

3. Les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

4. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnité ou de la rente allouée à B... D... au titre de l'assistance par tierce personne le montant perçu de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément éventuel et la prestation de compensation du handicap, sans rechercher si le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnisation mise à la charge du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne excédait le montant total des frais d'assistance B... D..., la cour a, dans l'exercice de son office et, ainsi que le soutiennent les requérants par un moyen qui ne présente dès lors pas le caractère d'un moyen nouveau en cassation, commis une première erreur de droit.

5. En second lieu, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

6. Il résulte de ce qui précède qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré de ce que le taux horaire de treize euros fixé pour la prise en charge par tierce personne était insuffisant, sur la seule circonstance que les requérants n'établissaient ni même n'alléguaient avoir eu recours à des prestataires extérieurs à un coût horaire plus élevé, la cour a commis une seconde erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme D... et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il procède à l'évaluation des préjudices B... D... au titre de son besoin d'assistance par tierce personne.

Sur le pourvoi incident du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et de la SHAM :

8. L'annulation, sur le pourvoi principal, de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il procède à l'évaluation des préjudices B... D... au titre du besoin d'assistance par tierce personne, prive d'objet le pourvoi incident du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et de la SHAM qui contestent la fixation par la cour du taux horaire au titre de l'assistance par tierce personne requise par l'état de la victime.

Sur les frais du litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et de la SHAM la somme de 3 000 euros à verser à Mme E... D... et à M. A... D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants de leurs filles mineurs B... et C..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 15 avril 2021 est annulé en tant qu'il procède à l'évaluation des préjudices B... D... au titre du besoin d'assistance par tierce personne.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident du centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et de la société hospitalière d'assurance mutuelle.
Article 4 : Le centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et la société hospitalière d'assurance mutuelle verseront solidairement à M. et Mme D..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants de leurs filles mineurs B... et C..., une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme E... D..., à M. A... D..., au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et à la société hospitalière d'assurance mutuelle.
Copie en sera adressée à la caisse de prévoyance et de retraite de la société nationale des chemins de fer français et à la société immobilière Jade.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Fabienne Lambolez, assesseure, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 17 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Fabienne Lambolez
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras

ECLI:FR:CECHS:2023:453647.20230317
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