Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 01/03/2023, 462648
Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 01/03/2023, 462648
Conseil d'État - 1ère - 4ème chambres réunies
- N° 462648
- ECLI:FR:CECHR:2023:462648.20230301
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
01 mars 2023
- Rapporteur
- Mme Agnès Pic
- Avocat(s)
- SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B... A... et la société à responsabilité limitée Cabinet A... Assurances ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la délibération du 12 octobre 2017 par laquelle le conseil municipal de Bailleul a décidé d'exercer le droit de préemption de la commune pour acquérir un bien immobilier en autorisant son maire à signer tout acte à cet effet et, d'autre part, l'arrêté du maire de Bailleul du 13 octobre 2017 par lequel il a exercé le droit de préemption sur ce bien immobilier. Par un jugement n° 1709458 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 20DA01362 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Douai a, sur l'appel de la commune de Bailleul, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A... et le Cabinet A... Assurances devant le tribunal administratif de Lille.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 23 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et le Cabinet A... Assurances demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bailleul la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. A... et de la Société et de la société Cabinet A... Assurances et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la commune de Bailleul ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 12 octobre 2017, le conseil municipal de Bailleul a décidé d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir un bien immobilier et a autorisé le maire à signer tout acte à cet effet. Par un arrêté du 13 octobre 2017, le maire de Bailleul a exercé ce droit de préemption. Par un jugement du 2 juillet 2020, à la demande de M. A... et de la société Cabinet A... Assurances, le tribunal administratif de Lille a annulé cette délibération et cet arrêté. M. A... et autre se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Douai ayant annulé ce jugement et rejeté leur demande d'annulation des décisions litigieuses.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé, au point 4 de cet arrêt, que la nature du projet ayant motivé la mise en œuvre du droit de préemption était décrite avec une précision suffisante dans les décisions attaquées. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêt attaqué serait irrégulier faute pour la cour d'avoir répondu à leur moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions litigieuses.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En tant que l'arrêt attaqué porte sur la délibération du 12 octobre 2017 :
3. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire peut, (...) par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / (...) 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal (...) ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 2122-23 du même code : " Le conseil municipal peut toujours mettre fin à la délégation ". L'article L. 211-2 du code de l'urbanisme prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, (...) ainsi que celle de la métropole de Lyon en matière de plan local d'urbanisme, emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain. (...) " Le premier alinéa de l'article L. 213-3 du même code dispose que : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'État, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire ". Il résulte de ces dispositions que le conseil municipal a la possibilité de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, en conservant la faculté de prendre à tout moment une délibération mettant fin explicitement à cette délégation, l'exercice des droits de préemption dont la commune est titulaire ou délégataire afin d'acquérir des biens au profit de celle-ci.
4. Pour écarter le moyen tiré de l'incompétence entachant la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal décidant d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir un bien immobilier et d'autoriser le maire à signer tout acte à cet effet, la cour administrative d'appel a jugé que, sans qu'y fasse obstacle la délibération du 16 juin 2016 prise sur le fondement de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales déléguant au maire l'exercice du droit de préemption pour la durée de son mandat, le conseil municipal avait pu régulièrement décider, par la délibération du 12 octobre 2017, de se ressaisir de l'exercice de ce droit, qui lui avait été délégué pour l'opération litigieuse par une délibération du 29 septembre 2017 de la communauté de communes de Flandres intérieure, titulaire de ce droit.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les requérants sont fondés à soutenir, par un moyen qui n'est pas nouveau en cassation, qu'en jugeant, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du conseil municipal pour prendre la délibération litigieuse, que le conseil municipal s'était par cette délibération implicitement ressaisi de l'exercice du droit de préemption, alors qu'une décision de mettre fin à une délégation au maire du droit de préemption ne peut être prise que par une nouvelle délibération abrogeant de manière explicite la délégation consentie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
En tant que l'arrêt attaqué porte sur l'arrêté du 13 octobre 2017 :
6. En premier lieu, il résulte également de ce qui a été dit au point 3 que la circonstance que la délibération du 16 juin 2016 déléguant au maire l'exercice du droit de préemption soit antérieure à la délégation, le 29 septembre 2017, par la communauté de communes de Flandres intérieure, du droit de préempter le bien litigieux est sans incidence sur la compétence que le maire de Bailleul tenait de la délibération du 16 juin 2016 pour toute la durée de son mandat pour exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, pourvu que celle-ci en soit titulaire ou délégataire à la date de la préemption. Par suite, en l'absence de délibération ayant abrogé la délégation consentie par le conseil municipal au maire, celui-ci demeurait en tout état de cause compétent pour prendre l'arrêté du 13 octobre 2017, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que, comme il a été dit, le conseil municipal ait, à tort, par sa délibération du 12 octobre 2017, cru pouvoir exercer le droit de préemption au nom de la commune et devoir autoriser le maire à signer les actes nécessaires à cette fin.
7. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en ne recherchant pas d'office si la commune n'avait pas déjà renoncé à exercer le droit de préemption sur le bien en cause et si l'objet affiché de la décision de préemption ne devait pas conduire la commune à exercer exclusivement le droit de préemption de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme, qui s'exerce à l'intérieur du périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité que le conseil municipal peut délimiter.
8. En troisième lieu, si, dans le cadre d'une contestation d'un acte règlementaire par voie d'exception, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même.
9. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant comme inopérante l'invocation par voie d'exception d'un vice de procédure entachant la délibération du 29 septembre 2017 de la communauté de communes de Flandres intérieure ayant délégué à la commune de Bailleul l'exercice du droit de préemption urbain pour l'acquisition du bien en cause, alors même qu'à la date à laquelle le moyen a été soulevé, le délai de recours contentieux contre cette délibération n'était pas expiré.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme (...) ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
11. En jugeant que la commune de Bailleul justifiait, à la date à laquelle elle a exercé le droit de préemption urbain, de la réalité d'un projet, destiné à maintenir l'emploi et l'attractivité du centre-ville ainsi que le caractère historique de la librairie, dont la nature était précisée dans les décisions litigieuses et qui répondait, d'une part, à l'un des objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, à un intérêt général suffisant, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits de l'espèce.
12. En cinquième lieu, il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 13 octobre 2017 porte sur l'ensemble des parcelles correspondant à la description du bien détaillée dans la déclaration d'intention d'aliéner adressée à la commune. Par suite, la cour n'a en tout état de cause pas commis d'erreur de droit en ne recherchant pas si les conditions de l'article L. 213-2-1 du code de l'urbanisme étaient satisfaites pour permettre à la commune de n'acquérir qu'une fraction de l'unité foncière.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et autre sont seulement fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'à son article 1er, il annule le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul et qu'à son article 2, il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de cette délibération.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.
15. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le conseil municipal de Bailleul, qui ne peut être regardé comme s'étant ressaisi de la compétence qu'il avait préalablement déléguée au maire pour exercer le droit de préemption, en l'absence de délibération expresse y mettant fin, n'était pas compétent pour prendre, le 12 octobre 2017, la décision de préempter le bien litigieux et d'autoriser le maire à signer tout acte à cet effet. Par suite, la commune de Bailleul n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul.
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'à son article 1er, il annule le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul et qu'à son article 2, il rejette les conclusions présentées par M. A... et la société Cabinet A... Assurances tendant à l'annulation de cette délibération.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bailleul devant la cour administrative d'appel de Douai tendant à l'annulation du jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Bailleul au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Bailleul.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 1er mars 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
ECLI:FR:CECHR:2023:462648.20230301
M. B... A... et la société à responsabilité limitée Cabinet A... Assurances ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la délibération du 12 octobre 2017 par laquelle le conseil municipal de Bailleul a décidé d'exercer le droit de préemption de la commune pour acquérir un bien immobilier en autorisant son maire à signer tout acte à cet effet et, d'autre part, l'arrêté du maire de Bailleul du 13 octobre 2017 par lequel il a exercé le droit de préemption sur ce bien immobilier. Par un jugement n° 1709458 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 20DA01362 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Douai a, sur l'appel de la commune de Bailleul, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A... et le Cabinet A... Assurances devant le tribunal administratif de Lille.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 23 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et le Cabinet A... Assurances demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bailleul la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. A... et de la Société et de la société Cabinet A... Assurances et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la commune de Bailleul ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 12 octobre 2017, le conseil municipal de Bailleul a décidé d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir un bien immobilier et a autorisé le maire à signer tout acte à cet effet. Par un arrêté du 13 octobre 2017, le maire de Bailleul a exercé ce droit de préemption. Par un jugement du 2 juillet 2020, à la demande de M. A... et de la société Cabinet A... Assurances, le tribunal administratif de Lille a annulé cette délibération et cet arrêté. M. A... et autre se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Douai ayant annulé ce jugement et rejeté leur demande d'annulation des décisions litigieuses.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a jugé, au point 4 de cet arrêt, que la nature du projet ayant motivé la mise en œuvre du droit de préemption était décrite avec une précision suffisante dans les décisions attaquées. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêt attaqué serait irrégulier faute pour la cour d'avoir répondu à leur moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions litigieuses.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En tant que l'arrêt attaqué porte sur la délibération du 12 octobre 2017 :
3. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Le maire peut, (...) par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / (...) 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal (...) ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 2122-23 du même code : " Le conseil municipal peut toujours mettre fin à la délégation ". L'article L. 211-2 du code de l'urbanisme prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, (...) ainsi que celle de la métropole de Lyon en matière de plan local d'urbanisme, emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain. (...) " Le premier alinéa de l'article L. 213-3 du même code dispose que : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'État, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire ". Il résulte de ces dispositions que le conseil municipal a la possibilité de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, en conservant la faculté de prendre à tout moment une délibération mettant fin explicitement à cette délégation, l'exercice des droits de préemption dont la commune est titulaire ou délégataire afin d'acquérir des biens au profit de celle-ci.
4. Pour écarter le moyen tiré de l'incompétence entachant la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal décidant d'exercer le droit de préemption urbain en vue d'acquérir un bien immobilier et d'autoriser le maire à signer tout acte à cet effet, la cour administrative d'appel a jugé que, sans qu'y fasse obstacle la délibération du 16 juin 2016 prise sur le fondement de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales déléguant au maire l'exercice du droit de préemption pour la durée de son mandat, le conseil municipal avait pu régulièrement décider, par la délibération du 12 octobre 2017, de se ressaisir de l'exercice de ce droit, qui lui avait été délégué pour l'opération litigieuse par une délibération du 29 septembre 2017 de la communauté de communes de Flandres intérieure, titulaire de ce droit.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les requérants sont fondés à soutenir, par un moyen qui n'est pas nouveau en cassation, qu'en jugeant, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du conseil municipal pour prendre la délibération litigieuse, que le conseil municipal s'était par cette délibération implicitement ressaisi de l'exercice du droit de préemption, alors qu'une décision de mettre fin à une délégation au maire du droit de préemption ne peut être prise que par une nouvelle délibération abrogeant de manière explicite la délégation consentie, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
En tant que l'arrêt attaqué porte sur l'arrêté du 13 octobre 2017 :
6. En premier lieu, il résulte également de ce qui a été dit au point 3 que la circonstance que la délibération du 16 juin 2016 déléguant au maire l'exercice du droit de préemption soit antérieure à la délégation, le 29 septembre 2017, par la communauté de communes de Flandres intérieure, du droit de préempter le bien litigieux est sans incidence sur la compétence que le maire de Bailleul tenait de la délibération du 16 juin 2016 pour toute la durée de son mandat pour exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, pourvu que celle-ci en soit titulaire ou délégataire à la date de la préemption. Par suite, en l'absence de délibération ayant abrogé la délégation consentie par le conseil municipal au maire, celui-ci demeurait en tout état de cause compétent pour prendre l'arrêté du 13 octobre 2017, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que, comme il a été dit, le conseil municipal ait, à tort, par sa délibération du 12 octobre 2017, cru pouvoir exercer le droit de préemption au nom de la commune et devoir autoriser le maire à signer les actes nécessaires à cette fin.
7. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en ne recherchant pas d'office si la commune n'avait pas déjà renoncé à exercer le droit de préemption sur le bien en cause et si l'objet affiché de la décision de préemption ne devait pas conduire la commune à exercer exclusivement le droit de préemption de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme, qui s'exerce à l'intérieur du périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité que le conseil municipal peut délimiter.
8. En troisième lieu, si, dans le cadre d'une contestation d'un acte règlementaire par voie d'exception, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même.
9. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant comme inopérante l'invocation par voie d'exception d'un vice de procédure entachant la délibération du 29 septembre 2017 de la communauté de communes de Flandres intérieure ayant délégué à la commune de Bailleul l'exercice du droit de préemption urbain pour l'acquisition du bien en cause, alors même qu'à la date à laquelle le moyen a été soulevé, le délai de recours contentieux contre cette délibération n'était pas expiré.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme (...) ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
11. En jugeant que la commune de Bailleul justifiait, à la date à laquelle elle a exercé le droit de préemption urbain, de la réalité d'un projet, destiné à maintenir l'emploi et l'attractivité du centre-ville ainsi que le caractère historique de la librairie, dont la nature était précisée dans les décisions litigieuses et qui répondait, d'une part, à l'un des objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, à un intérêt général suffisant, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits de l'espèce.
12. En cinquième lieu, il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 13 octobre 2017 porte sur l'ensemble des parcelles correspondant à la description du bien détaillée dans la déclaration d'intention d'aliéner adressée à la commune. Par suite, la cour n'a en tout état de cause pas commis d'erreur de droit en ne recherchant pas si les conditions de l'article L. 213-2-1 du code de l'urbanisme étaient satisfaites pour permettre à la commune de n'acquérir qu'une fraction de l'unité foncière.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et autre sont seulement fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'à son article 1er, il annule le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul et qu'à son article 2, il rejette leurs conclusions tendant à l'annulation de cette délibération.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée.
15. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le conseil municipal de Bailleul, qui ne peut être regardé comme s'étant ressaisi de la compétence qu'il avait préalablement déléguée au maire pour exercer le droit de préemption, en l'absence de délibération expresse y mettant fin, n'était pas compétent pour prendre, le 12 octobre 2017, la décision de préempter le bien litigieux et d'autoriser le maire à signer tout acte à cet effet. Par suite, la commune de Bailleul n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul.
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'à son article 1er, il annule le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul et qu'à son article 2, il rejette les conclusions présentées par M. A... et la société Cabinet A... Assurances tendant à l'annulation de cette délibération.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Bailleul devant la cour administrative d'appel de Douai tendant à l'annulation du jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il annule la délibération du 12 octobre 2017 du conseil municipal de Bailleul sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Bailleul au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Bailleul.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 1er mars 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber