CAA de PARIS, 1ère chambre, 02/02/2023, 22PA04179, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 31 mars 2021 A... lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

A... un jugement n° 2109084 du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

A... une requête enregistrée le 13 septembre 2022, Mme B... C..., représentée A...
Me Semak, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2109084 du 17 juin 2022 du tribunal administratif de Montreuil;

2°) d'annuler l'arrêté du 31 mars 2022 A... lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre à toute autorité administrative compétente de lui renouveler son titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 150 euros A... jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) à défaut, d'enjoindre à toute autorité administrative compétente de réexaminer sa demande dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 100 euros A... jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros HT sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de celles de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé, s'agissant de la réponse apportée aux moyens tirés du défaut de motivation de la décision contestée, du défaut d'examen et de la méconnaissance des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen au regard de la fraude alléguée, de sa vie privée et familiale et de son intégration professionnelle et sociale ;
- elle méconnait les dispositions des articles L. 312-2 et R. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du même code, notamment dès lors que la fraude n'est pas établie ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle méconnait les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du même code.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale A... une décision du
8 août 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C..., ressortissante ivoirienne, née le 16 novembre 1985, a sollicité le 25 janvier 2019 le renouvellement de son titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. A... un arrêté du 31 mars 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée. Mme C... relève appel du jugement du 17 juin 2022 A... lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2 du même code. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant.

3. En outre, dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée, et statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable aux demandes de titre de séjour présentées antérieurement au 1er mars 2019, en vertu de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 6° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (...) ".

5. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul A... le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ses compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. A... conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition A... l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues A... le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue A... les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée A... la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

6. Pour rejeter la demande de renouvellement du titre de de séjour de Mme C... sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité de parent d'enfant français, le préfet de la Seine-Saint-Denis a relevé que les éléments du dossier concordaient pour établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant, dès lors que l'identité du père déclarant apparaissait au fichier national des étrangers dans un dossier similaire de demande de titre de séjour, les enfants étant issus de mères différentes démunies de titre de séjour et demandant leur régularisation en qualité de parent d'enfant français du fait de leur lien de filiation avec cet homme, que la naissance de l'enfant était intervenue peu de temps après son entrée en France, que le père n'établissait pas assurer l'entretien et l'éducation de l'enfant, et que lors de l'audition libre à laquelle elle avait été invitée, elle avait déclaré qu'il n'y avait eu aucune communauté de vie entre elle et le père de l'enfant, qu'elle n'avait plus de contact avec ce dernier et qu'elle n'était pas en mesure de donner des précisions sur la date et les circonstances de leur rencontre ni sur la date de naissance, le domicile et les coordonnées téléphoniques du père.

7. Toutefois, outre que la naissance de l'enfant peu après l'entrée de Mme C... sur le territoire français n'est pas de nature à établir l'existence d'une fraude lors de la reconnaissance de l'enfant, la réalité de cette dernière ne saurait être remise en cause ni A... la circonstance que la reconnaissance d'un autre enfant A... le même père a permis à sa mère d'obtenir un titre de séjour sur le fondement des mêmes dispositions, ni A... l'absence d'entretien et d'éducation de l'enfant A... le père. Enfin, le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de défense devant la Cour, n'a fourni aucune information sur les suites apportées au signalement A... lui effectué auprès du procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, et alors, au demeurant, qu'il ressort des pièces du dossier qu'il a renouvelé la carte nationale d'identité de l'enfant, cet acte étant certes postérieur à la décision attaquée mais afférent à une situation antérieure. Dans ces conditions, et alors même que le père ne s'est pas présenté à l'audition libre organisée A... le préfet de la Seine-Saint-Denis, ce dernier n'établit pas que la reconnaissance de l'enfant était constitutive d'une fraude.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, A... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Dès lors, il y a lieu d'annuler tant ce jugement que l'arrêté du 31 mars 2021 A... lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit procédé au réexamen de la demande de Mme C.... Il y a lieu, A... suite, d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la demande de titre de séjour de l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :
10. La requérante a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Semak renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2109084 du 17 juin 2022 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 31 mars 2021 du préfet de la Seine-Saint-Denis A... lequel il a refusé de renouveler le titre de séjour de Mme B... C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la demande de titre de séjour de Mme B... C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) versera à Me Semak la somme de
1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Naudin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public A... mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. D... S. DIÉMERT
La greffière
C. POVSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04179



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