CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 26/01/2023, 21TL21398, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2019 de la préfète de l'Ariège portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de destination et obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie.
Par un jugement n° 2000289 du 17 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2021 sous le n° 21BX01398 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et ensuite sous le n° 21TL01398 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. B..., représenté par Me Pather, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2019 de la préfète de l'Ariège ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Ariège, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros, à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer sur les moyens tirés de l'absence d'examen réel et sérieux de sa situation, de la méconnaissance par la décision de refus de séjour de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile, et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation ;
- la décision portant refus de séjour émane d'une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée dès lors, premièrement, qu'elle ne cite ni même ne vise l'article 47 du code civil relatif à la présomption d'authenticité des actes d'état-civil étrangers et l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, deuxièmement, qu'elle ne mentionne ni le jugement du 13 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de A... a annulé la précédente mesure d'éloignement édictée à son encontre ni le jugement du tribunal correctionnel de A... du 21 janvier 2019 se déclarant incompétent pour statuer sur des faits d'usage de faux documents qui confirment son identité et son âge et, troisièmement, qu'elle ne mentionne pas son parcours scolaire et son intégration professionnelle ;
- cette décision n'a pas été prise à l'issue d'un examen réel et sérieux de sa situation ;
- cette décision méconnaît les dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit et de fait dès lors qu'il n'a pas produit de faux documents d'état-civil ;
- il ressort notamment du jugement du tribunal correctionnel de A... du 21 janvier 2019, qui a autorité de la chose jugée, qu'il était mineur lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit au regard de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation dès lors qu'elle n'est pas fondée sur les critères d'appréciation prévus par cet article ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences manifestement disproportionnées sur sa situation ;
- l'obligation de quitter le territoire français émane d'une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour, cette décision est dépourvue de fondement légal ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision l'obligeant à se présenter une fois par semaine au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie émane d'une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- cette décision est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2021, la préfète de l'Ariège conclut au rejet de la requête et fait valoir qu'aucun des moyens n'est fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 mars 2021.

Par ordonnance du 24 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2022.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Virginie Restino, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen, déclare être entré sur le territoire français en novembre 2017. Le 15 février 2018 il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance des Pyrénées-Atlantiques, par ordonnance du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Foix. Le préfet des Pyrénées-Atlantiques a toutefois, après avoir fait procéder à un contrôle des documents d'état-civil en possession de l'intéressé, décidé le 20 mars suivant de prononcer une mesure d'éloignement à son encontre. Par un jugement du 13 septembre 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de A... a annulé cette décision. La mesure de placement de l'intéressé ayant été rapportée, il a de nouveau été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance des Pyrénées-Atlantiques le 24 avril 2019 par un jugement du tribunal des enfants de A.... Le 25 juin 2019, M. B... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 12 décembre 2019, la préfète de l'Ariège a refusé de lui délivrer ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie. M. B... relève appel du jugement du 17 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir statuant sur la légalité des décisions prises en matière de séjour ou d'obligation de quitter le territoire français, de tenir compte de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux constatations de fait mentionnées dans une décision définitive du juge pénal statuant sur le fond de l'action publique et qui sont le support nécessaire de son dispositif.

4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. B... le bénéfice de la carte de séjour temporaire prévue par les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile, la préfète de l'Ariège s'est fondée sur le fait qu'il ne justifiait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.

5. Toutefois, par un jugement du 21 janvier 2019, devenu définitif, le tribunal correctionnel de A... a considéré que M. B... était né le 14 mai 2001 et s'est, par suite, déclaré incompétent pour statuer sur le chef de détention frauduleuse de plusieurs faux documents administratifs et sur le chef d'usage de faux documents administratifs constatant un droit, une identité ou une qualité accordant une autorisation, tous deux commis le 6 mars 2018 à A....

6. Dès lors que M. B... a été confié à l'aide sociale à l'enfance du département des Pyrénées-Atlantiques, une première fois par une ordonnance du 15 février 2018 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Foix puis, une seconde fois par un jugement du tribunal pour enfants de A... du 24 avril 2019, la préfète de l'Ariège n'a pu lui refuser légalement le bénéfice de la carte de séjour temporaire sollicitée, en se fondant sur la circonstance qu'il ne justifiait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans. Par suite, la décision du 12 décembre 2019 refusant à M. B... le titre de séjour qu'il avait sollicité, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays à destination duquel il pourrait être éloigné et l'obligeant à se présenter une fois par semaine au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie doivent être annulées.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, ni de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

8. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ". En outre, en vertu de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".

9. Le motif d'annulation retenu n'implique pas nécessairement que la préfète de l'Ariège délivre à M. B... le titre de séjour qu'il a sollicité, mais seulement que cette autorité réexamine sa demande. Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Pather, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pather de la somme de 1 200 euros.

D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 17 décembre 2020 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 12 décembre 2019, par lequel la préfète de l'Ariège a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait obligation de se présenter une fois par semaine au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l'Ariège de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois suivant notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus de conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'État versera à Me Pather une somme de 1 200 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Selvinah Pather et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ariège.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
M. Barthez, président,
M. Lafon, président assesseur,
Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023.
La rapporteure,
V. Restino
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°21TL21398



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