CAA de BORDEAUX, 4ème chambre, 10/01/2023, 21BX00401, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ledoux Finances a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1901932 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2021, et un mémoire non communiqué enregistré le 2 octobre 2022, la société Ledoux Finances, représentée par Me Richard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 décembre 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration a considéré que le prêt à taux zéro pour l'innovation (PTZI) contractualisé avec la société BPI France est une subvention publique indirecte au sens du III de l' article 244 quater B du code général des impôts qui doit être déduite des bases pour le calcul du crédit d'impôt recherche et innovation; à la différence d'une subvention, le prêt doit être remboursé ; ce contrat de prêt consenti par une personne publique a un caractère synallagmatique et administratif contrairement à une subvention qui est un acte administratif unilatéral pris par l'administration seule dans un but d'intérêt général ; selon l'article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 une subvention publique suppose un octroi facultatif résultant de la volonté de l'administration et la convention de subvention n'est pas un contrat administratif ; les subventions sont en principe un produit imposable rattaché aux résultats de l'exercice au cours duquel elles sont acquises par l'entreprise alors que le prêt n'est pas imposable dans le résultat de la société ; l'administration ne peut en 2017 proposer une définition différente de la notion de subvention dans la prise en compte du crédit impôt recherche sans méconnaitre l'article L 80 A du code général des impôts qui garantit le contribuable contre les changements de doctrine ; le prêt à taux zéro est une aide publique au sens des dispositions de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'union européenne et seul le montant des intérêts non réclamés par la société BPI France pourrait, le cas échéant, être considéré comme une subvention publique, et ce à partir du taux effectif pratiqué par les établissements bancaires à la date de la signature du contrat (2,89 %).
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2022, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 5 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 5 octobre 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... A...,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.


Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de son projet de " développement d'une riveteuse et d'un positionneur à clé fixe ", la société Cybermeca a obtenu, le 11 juillet 2014, un prêt à taux zéro pour l'innovation (PTZI) d'un montant de 750 000 euros de la société BPI France Financement au titre des exercices 2014 et 2015. Par proposition de rectification du 30 mai 2017, l'administration a rectifié l'assiette de calcul du crédit d'impôt recherche et innovation dont avait bénéficié la société Cybermeca en déduisant les sommes perçues dans le cadre du PTZI au titre des exercices 2014 et 2015. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondantes ont été mises en recouvrement au nom de la société Ledoux Finances en sa qualité de société intégrante pour un montant de 70 169 euros au titre de 1'exercice clos en 2014 et de 91 131 euros au titre de 1'exercice clos en 2015. La société Ledoux Finances relève appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et en 2015.

2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...). Il. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) / k) Les dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises (...) et définies comme suit : (...)./ III. Les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables. (...) Lorsque ces subventions sont remboursables, elles sont ajoutées aux bases de calcul du crédit d'impôt de l'année au cours de laquelle elles sont remboursées à l 'organisme qui les a versées (...) ". En application du III de l'article 244 quater B de ce code, les subventions publiques reçues par les entreprises, devant être entendues comme des aides qu'elles soient remboursables ou non, doivent ainsi être déduites de la base de calcul du crédit d'impôt recherche. Les prêts et les avances remboursables consentis par les organismes contrôlés par l'Etat constituent des subventions publiques au sens de ces dispositions.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la SA BPI France financement, banque publique pour les entreprises qui a pour objet d'exercer des missions d'intérêt général, notamment la promotion de la croissance par l'innovation et le transfert de technologies, et qui était détenue en 2014 à près de 90 % par la SA BPI-Groupe, elle-même détenue à parité par l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations, a versé à la société requérante un prêt à taux zéro de 750 000 euros au titre des exercices 2014 et 2015. Ce prêt constitue, quelles que soient ses clauses tenant à son remboursement (date, montant, terme, pénalités en cas de défaillance, exigibilité anticipée), son régime juridique et son traitement comptable, une subvention publique indirecte entrant dans le champ des dispositions de l'article 244 quater B III du code général des impôts qui devait être déduite de la base du crédit d'impôt recherche, l'année de son versement, et qui reste au demeurant éligible au crédit d'impôt recherche pour l'année au cours de laquelle il sera remboursé. La circonstance qu'une subvention ne puisse être assimilée à un prêt, comme le relève la lettre du Trésor public du mois de mai 2012, est dans ce cadre sans incidence sur la déductibilité d'une subvention publique remboursable, des bases de calcul dudit crédit d'impôt. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a déduit de l'assiette du crédit d'impôt pour les dépenses de recherches la somme de 750 000 euros au titre des années 2014 et 2015.
4. En deuxième lieu, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations repris par l'article 59 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire dès lors que l'assiette de calcul du crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche n'est pas gouvernée par ces dispositions.
5. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède et quelle que soit la définition donnée en droit interne et européen à la notion " d'aide publique " et le régime de notification de ces aides à la commission européenne, que la requérante n'est pas fondée à soutenir que seul le montant des intérêts non réclamés par la société Bpifrance peut être considéré comme une subvention publique et être déduit des bases pour le calcul du crédit d'impôt recherche et innovation, pour un montant de 65 025 euros à partir du taux effectif pratiqué par les établissements bancaires à la date de signature du contrat (2.89 %).
6. En quatrième lieu, le redressement en litige procède de la stricte application des dispositions légales précitées et non de la doctrine fiscale du 4 avril 2014 référencée au BOI-BIC-RICI-10-10-30-20 dont semble se prévaloir la requérante. Au demeurant, cette instruction ne comporte aucune interprétation contraire à la loi fiscale qui a été appliquée de sorte que la requérante n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ledoux Finances n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné au versement d'une somme d'argent au titre des frais de justice ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE
Article 1er : La requête de la société Ledoux Finances est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ledoux Finances et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.

La rapporteure,

Bénédicte A...La présidente,


Evelyne Balzamo Le greffier,

Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX00401



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