CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 04/11/2022, 22MA00911, Inédit au recueil Lebon
CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 04/11/2022, 22MA00911, Inédit au recueil Lebon
CAA de MARSEILLE - 7ème chambre
- N° 22MA00911
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
04 novembre 2022
- Président
- Mme CHENAL-PETER
- Rapporteur
- Mme Virginie CIREFICE
- Avocat(s)
- SCP BOURGLAN - DAMAMME - LEONHARDT
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2200753 du 4 mars 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I) Par une requête, enregistrée le 24 mars 2022, sous le n° 22MA00911, M. B..., représenté par Me Leonhardt, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 mars 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de notification de la décision à intervenir et, dans l'attente de cet examen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire, elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- en ce qui concerne la décision fixant le pays de destination : elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée par le refus de reconnaissance du statut de réfugié par l'OFPRA et la CNDA et n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation sur les risques en cas de retour dans son pays d'origine et elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée le 24 mars 2022, sous le n° 22MA00912, M. B..., représenté par Me Leonhardt, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 4 mars 2022 ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours au fond, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens énoncés dans sa requête sont sérieux.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes n° 22MA00911 et 22MA00912, qui sont présentées par le même requérant, sont relatives à la même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. M. B..., de nationalité sierra-léonaise, né le 14 février 1994, déclare être entré en France le 10 août 2019 dans des conditions indéterminées et s'y être maintenu continuellement depuis. Le 4 mai 2021, l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire. Le 22 septembre 2021, la cour nationale du droit d'asile (CNDA) a confirmé la décision de l'OFPRA. M. B... relève appel du jugement du 4 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 janvier 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour au titre de l'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et demande à la Cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.
Sur la requête n° 22MA00911 :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. Aux termes de l'article L. 611-1 du code même code : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. B..., qui soutient être entré en France en août 2019, ne peut se prévaloir que d'une durée de séjour sur le territoire national d'un peu moins de deux ans. Il ne justifie d'aucun lien familial sur le territoire français et a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans dans son pays d'origine où résident la majorité des membres de sa famille. Si M. B... se prévaut de son intégration dans la société française, notamment en raison de son investissement dans la cause LGBT, pour lequel il verse de nombreuses attestations, et de sa communauté de vie avec un compatriote qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision de la CNDA du 30 décembre 2021, ces éléments ne sont pas de nature à établir, à eux seuls, une insertion sociale et professionnelle particulièrement stable depuis son entrée sur le territoire français au cours de l'année 2019. Dans ces conditions, en dépit de ses efforts d'intégration et du soutien dont il bénéficie, le préfet n'a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts dans lesquels cet arrêté a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
5. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger a l'obligation de s'assurer, au vu du dossier dont elle dispose et sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle est en droit de prendre en considération à cet effet les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou de la Cour nationale du droit d'asile ayant statué sur la demande d'asile du requérant, sans pour autant être liée par ces éléments.
6. M. B... fait valoir qu'il a fui la Sierra-Léone après avoir été rejeté par sa famille et avoir subi des violences et des discriminations après que son orientation sexuelle a été dévoilée et craindre pour ces motifs encourir des risques de traitements inhumains et dégradants en Sierra Léone. Il fait valoir qu'il peut vivre librement en France et qu'il entretient depuis 2019 une relation avec M. A... C..., un compatriote, lequel s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la CNDA du 30 décembre 2021 en raison de son orientation sexuelle. Il produit un extrait du rapport 2020 d'Amnesty international sur la situation au Sierra-Léone, des jurisprudences récentes de la CNDA desquelles il ressort que l'homosexualité, considérée comme un délit, passible de lourdes peine d'emprisonnement est très sévèrement réprimée dans son pays d'origine. Il produit, par ailleurs, de nombreuses attestations de responsables d'associations LGBT, qui indiquent qu'il participe activement aux animations proposées par celles-ci et qu'il vit désormais en couple avec M. A.... Par suite, dans les circonstances de l'espèce, et au vu des pièces produites postérieurement à l'examen de sa demande par la CNDA, M. B... est fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues et à demander, pour ce seul motif, l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il fixe le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision fixant le pays de destination.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
9. Par son objet particulier, la décision fixant le pays de destination constitue une mesure d'exécution des décisions juridiquement distinctes de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français. L'annulation de la seule décision fixant le pays de destination n'implique pas que le préfet des Bouches-du Rhône procède à un nouvel examen de la situation de M. B.... Dès lors, ses conclusions tendant à ce que la cour enjoigne, sous astreinte, au préfet de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur la requête n° 22MA00912 :
10. La Cour annulant le jugement attaqué en tant qu'il fixe le pays de destination et statuant au fond dans la présente affaire, il n'y a plus lieu pour elle de se prononcer sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué, enregistrée sous le n° 22MA00912.
Sur les frais liés au litige :
11. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leonhardt, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des deux instances engagées.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22MA00912 de M. B....
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 6 janvier 2022 est annulé en tant qu'il fixe le pays de destination.
Article 3 : Le jugement du 4 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Leonhardt la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... B..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Leonhardt.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, où siégeaient :
Mme Chenal Peter, présidente de chambre,
M. Ciréfice, présidente assesseure,
M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2022.
N° 22MA00911, 22MA00912 2
bb
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2200753 du 4 mars 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I) Par une requête, enregistrée le 24 mars 2022, sous le n° 22MA00911, M. B..., représenté par Me Leonhardt, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 mars 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 janvier 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la date de notification de la décision à intervenir et, dans l'attente de cet examen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire, elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- en ce qui concerne la décision fixant le pays de destination : elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée par le refus de reconnaissance du statut de réfugié par l'OFPRA et la CNDA et n'a pas exercé son pouvoir d'appréciation sur les risques en cas de retour dans son pays d'origine et elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée le 24 mars 2022, sous le n° 22MA00912, M. B..., représenté par Me Leonhardt, demande à la Cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 4 mars 2022 ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours au fond, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens énoncés dans sa requête sont sérieux.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes n° 22MA00911 et 22MA00912, qui sont présentées par le même requérant, sont relatives à la même décision et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. M. B..., de nationalité sierra-léonaise, né le 14 février 1994, déclare être entré en France le 10 août 2019 dans des conditions indéterminées et s'y être maintenu continuellement depuis. Le 4 mai 2021, l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire. Le 22 septembre 2021, la cour nationale du droit d'asile (CNDA) a confirmé la décision de l'OFPRA. M. B... relève appel du jugement du 4 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 janvier 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour au titre de l'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et demande à la Cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.
Sur la requête n° 22MA00911 :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. Aux termes de l'article L. 611-1 du code même code : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. B..., qui soutient être entré en France en août 2019, ne peut se prévaloir que d'une durée de séjour sur le territoire national d'un peu moins de deux ans. Il ne justifie d'aucun lien familial sur le territoire français et a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans dans son pays d'origine où résident la majorité des membres de sa famille. Si M. B... se prévaut de son intégration dans la société française, notamment en raison de son investissement dans la cause LGBT, pour lequel il verse de nombreuses attestations, et de sa communauté de vie avec un compatriote qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision de la CNDA du 30 décembre 2021, ces éléments ne sont pas de nature à établir, à eux seuls, une insertion sociale et professionnelle particulièrement stable depuis son entrée sur le territoire français au cours de l'année 2019. Dans ces conditions, en dépit de ses efforts d'intégration et du soutien dont il bénéficie, le préfet n'a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts dans lesquels cet arrêté a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
5. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger a l'obligation de s'assurer, au vu du dossier dont elle dispose et sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle est en droit de prendre en considération à cet effet les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou de la Cour nationale du droit d'asile ayant statué sur la demande d'asile du requérant, sans pour autant être liée par ces éléments.
6. M. B... fait valoir qu'il a fui la Sierra-Léone après avoir été rejeté par sa famille et avoir subi des violences et des discriminations après que son orientation sexuelle a été dévoilée et craindre pour ces motifs encourir des risques de traitements inhumains et dégradants en Sierra Léone. Il fait valoir qu'il peut vivre librement en France et qu'il entretient depuis 2019 une relation avec M. A... C..., un compatriote, lequel s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la CNDA du 30 décembre 2021 en raison de son orientation sexuelle. Il produit un extrait du rapport 2020 d'Amnesty international sur la situation au Sierra-Léone, des jurisprudences récentes de la CNDA desquelles il ressort que l'homosexualité, considérée comme un délit, passible de lourdes peine d'emprisonnement est très sévèrement réprimée dans son pays d'origine. Il produit, par ailleurs, de nombreuses attestations de responsables d'associations LGBT, qui indiquent qu'il participe activement aux animations proposées par celles-ci et qu'il vit désormais en couple avec M. A.... Par suite, dans les circonstances de l'espèce, et au vu des pièces produites postérieurement à l'examen de sa demande par la CNDA, M. B... est fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues et à demander, pour ce seul motif, l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il fixe le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision fixant le pays de destination.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
9. Par son objet particulier, la décision fixant le pays de destination constitue une mesure d'exécution des décisions juridiquement distinctes de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français. L'annulation de la seule décision fixant le pays de destination n'implique pas que le préfet des Bouches-du Rhône procède à un nouvel examen de la situation de M. B.... Dès lors, ses conclusions tendant à ce que la cour enjoigne, sous astreinte, au préfet de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur la requête n° 22MA00912 :
10. La Cour annulant le jugement attaqué en tant qu'il fixe le pays de destination et statuant au fond dans la présente affaire, il n'y a plus lieu pour elle de se prononcer sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué, enregistrée sous le n° 22MA00912.
Sur les frais liés au litige :
11. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leonhardt, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des deux instances engagées.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22MA00912 de M. B....
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 6 janvier 2022 est annulé en tant qu'il fixe le pays de destination.
Article 3 : Le jugement du 4 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Leonhardt la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... B..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Leonhardt.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, où siégeaient :
Mme Chenal Peter, présidente de chambre,
M. Ciréfice, présidente assesseure,
M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2022.
N° 22MA00911, 22MA00912 2
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