CAA de NANCY, 5ème chambre, 28/04/2022, 21NC01876, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 28 décembre 2017 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1804073 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juin 2021, M. B..., représenté par Me Berry, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 décembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision prise à son encontre par le préfet du Haut-Rhin le 28 décembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- le préfet était tenu de saisir la commission du titre de séjour avant de lui refuser la délivrance d'une carte de séjour ;
- en opposant à sa demande de délivrance d'une carte de résident la réserve d'ordre public, le préfet a méconnu les stipulations de l'accord franco-tunisien ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de son comportement ;
- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît par suite les stipulations de l'article 8 convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 décembre 2021, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 16 février 2022.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 25 mai 2021.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Laubriat a été entendu au cours de l'audience publique.


1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 30 juillet 1997, est entré régulièrement en France le 12 mars 2004 dans le cadre d'une procédure de regroupement familial. Le 5 août 2015, M. B..., devenu majeur, a sollicité son admission au séjour. Par une décision du 1er juin 2017, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Le requérant a alors formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, recours auquel le préfet a fait droit par une décision du 24 juillet 2017 en lui accordant une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois. Le 15 novembre 2017, M. B... a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par une décision du 28 décembre 2017, dont M. B... demande l'annulation, le préfet du Haut-Rhin lui a opposé un refus. M. B... fait appel du jugement du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / (...) e) Au conjoint et aux enfants tunisiens mineurs, ou dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire, d'un ressortissant tunisien titulaire d'un titre de séjour d'une durée de dix ans, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial ; (...) ". Ces stipulations ne privent pas l'autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant tunisien la délivrance de la carte de résident de dix ans lorsque sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais repris à l'article L. 432-14 : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 312-2 du même code, devenu l'article L. 432-13 : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". Ces dispositions s'appliquent aux ressortissants tunisiens dont la situation est examinée sur le fondement du e) de l'article 10 de l'accord franco-tunisien régissant, comme celles, de portée équivalente en dépit des différences tenant au détail des conditions requises, du 1° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, la délivrance de plein droit du titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " aux jeunes majeurs dont l'un des parents au moins est titulaire d'une carte de résident. Si le préfet n'est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par ces textes auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui s'en prévalent, la circonstance que la présence de l'étranger constituerait une menace à l'ordre public ne le dispense pas de son obligation de saisine de la commission.

4. Pour rejeter la demande présentée par M. B... tendant à la délivrance d'un titre de séjour, le préfet du Haut-Rhin s'est fondé sur la menace à l'ordre public que constitue la présence en France de M. B.... Toutefois, d'une part, il n'est pas contesté que M. B... remplissait effectivement les conditions pour prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour d'une durée de dix ans sur le fondement des stipulations précitées de l'article 10 e) de l'accord franco-tunisien. D'autre part, la circonstance que la présence de M. B... constituerait une menace à l'ordre public ne dispensait pas le préfet de son obligation de saisine de la commission du titre de séjour.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Le présent arrêt, par lequel la Cour fait droit aux conclusions à fin d'annulation présentées par M. B..., n'implique cependant pas, eu égard au motif d'annulation ci-dessus énoncé, que l'administration prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé. Par suite, les conclusions du requérant tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour doivent être rejetées. Il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de statuer à nouveau sur la situation de l'intéressé dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de ce réexamen, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Berry, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Berry de la somme de 1200 euros.

DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1804073 du 18 décembre 2020 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 28 décembre 2017 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. B... sont annulés.
Article 2: Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, durant le temps de ce réexamen, de lui délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Berry, avocat de M. B..., une somme de 1200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Berry renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Laubriat, président,
- M. Meisse, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022.



Le président,
signé
A. LAUBRIATL'assesseur le plus ancien,
signé
E. MEISSE
La greffière,
signé
C. JADELOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,

signé

C. JADELOT
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N° 21NC01876



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