CAA de DOUAI, 2ème chambre, 21/09/2021, 20DA00529, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, à titre principal, d'ordonner la démolition de l'exutoire implanté sur la parcelle cadastrale AC 50 sur le territoire de la commune de Saulchery, à titre subsidiaire, de faire régulariser la situation et en toute hypothèse, de condamner la commune de Saulchery à lui verser la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral et financier.

Par un jugement n° 1800008 du 21 janvier 2020, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2020 et 31 mars 2021, M. B..., représenté par la SCP Richer et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'ordonner la démolition de l'ouvrage, ou à défaut, son déplacement en mitoyenneté des parcelles AC25 et AC50 dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) d'ordonner à la commune de Saulchery le rétablissement de la parcelle ZD 23 dans son état antérieur aux travaux de mai 2017, soit la remise en état du chemin concerné, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la commune de Saulchery à lui verser une somme de 30 836 euros en indemnisation des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Saulchery la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... est propriétaire de deux parcelles non bâties, cadastrées AC n° 50 et 51, sur le territoire de la commune de Saulchery. La rue des Chaumonts, chemin d'exploitation viticole cadastré ZD n° 23, est régulièrement inondée par le ruissellement et la stagnation des eaux de pluie. Pour améliorer l'accessibilité des véhicules de ramassage des ordures et des véhicules de sécurité civile dans cette rue, la commune de Saulchery a décidé d'en viabiliser un tronçon et de réaliser une aire de retournement ainsi qu'une descente d'eau en tuiles de béton, d'une largeur de 80 centimètres et d'une longueur de 35 mètres longeant un terrain en friche situé en contrebas. Estimant qu'une partie de cet ouvrage a été implantée irrégulièrement sur son terrain et que les eaux qu'il transporte s'y écoulent sans son autorisation, M. B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens la démolition de l'ouvrage litigieux et l'indemnisation des préjudices en résultant. Il relève appel du jugement du 21 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité des écritures en défense :

2. Aux termes de l'article L. 2132-1 du code général des collectivités territoriales : " Sous réserve des dispositions du 16° de l'article L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune. " Aux termes de l'article L. 2122-22 de ce code : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal (...) ". Enfin, l'article L. 2132-2 du même code dispose : " Le maire en vertu de la délibération du conseil municipal, représente la commune en justice. "

3. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 4 juillet 2020, le conseil municipal de la commune de Saulchery a donné délégation au maire " pour intenter au nom de la commune les actions en justice ou défendre la commune dans les actions intentées contre elle ". Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le maire n'avait pas qualité pour agir au nom de la commune dans la présente instance.

Sur les conclusions tendant à la démolition de l'ouvrage public :

4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. Aux termes de l'article L. 211-7 du code de l'environnement : " I.- Les collectivités territoriales et leurs groupements (...) sont habilités à utiliser les articles L. 151-36 à L. 151-40 du code rural et de la pêche maritime pour entreprendre l'étude, l'exécution et l'exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence, dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux s'il existe, et visant : (...) 4° La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l'érosion des sols ; (...) 9° Les aménagements hydrauliques concourant à la sécurité civile ; (...) ". En application de l'article L. 151-37-1 du code rural et de la pêche maritime : " Il peut être institué une servitude de passage permettant l'exécution des travaux ainsi que l'exploitation et l'entretien des ouvrages. Le projet d'institution de servitude est soumis à une enquête publique. L'enquête mentionnée à l'article L. 151-37 peut en tenir lieu. Les propriétaires ou occupants des terrains grevés de cette servitude de passage ont droit à une indemnité proportionnée au dommage qu'ils subissent, calculée en tenant compte des avantages que peuvent leur procurer l'exécution des travaux et l'existence des ouvrages ou installations pour lesquels cette servitude a été instituée. Les contestations relatives à cette indemnité sont jugées comme en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. " Aux termes de l'article L. 152-1 du même code : " Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d'établissement de canalisations d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. / L'établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité. Il fait l'objet d'une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. (...) ".

6. Il est constant que la descente d'eau réalisée en béton par la commune de Saulchery, réceptionnée le 30 novembre 2016, qui présente le caractère d'un ouvrage public, a été implantée sur une partie du terrain appartenant à M. B..., en bordure ouest de la parcelle cadastrée AC n° 50. En l'absence d'accord de ce dernier, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, elle constitue une emprise irrégulière sur une propriété privée.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction que par arrêtés du 23 juin 2020, le préfet de l'Aisne a déclaré d'intérêt général au sens des dispositions citées au point 5 les travaux d'aménagement hydrauliques des bassins versants viticoles définis par la commune de Saulchery, et a autorisé la commune à réaliser ces travaux au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, après qu'une enquête publique ait été menée du 23 janvier 2020 au 22 février 2020. Dans le cadre de ces aménagements hydroviticoles, est notamment prévue la création d'un caniveau béton entre les parcelles de vigne AC n° 25 et AC n° 50 appartenant à M. B... et l'instauration d'une servitude de 34 mètres de longueur. Une régularisation est donc en cours dont il ne résulte pas de l'instruction que l'emplacement serait différent de celui de l'ouvrage incriminé.

8. Eu égard à la nécessité de maîtriser les eaux pluviales et de ruissellement sur le coteau viticole et le village de Saulchery touchés par les inondations et l'érosion, et d'assurer ainsi la mise en sécurité collective des biens et des personnes, les travaux d'aménagement projetés, alors même qu'ils ne respecteraient pas les préconisations du bureau d'études CEREG, présentent un caractère d'intérêt général que ne remettent pas en cause les atteintes faites à la propriété de l'appelant qui subit une gêne minime dès lors qu'il n'est pas contesté que ses parcelles ne sont pas exploitées depuis plusieurs années.

9. Dans ces conditions, la procédure en cours qui est susceptible d'aboutir, rend possible une régularisation appropriée. Par suite, il n'y a pas lieu d'ordonner la démolition de l'exutoire situé en partie sur la parcelle cadastrée AC n° 50. Il suit de là que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à la démolition de l'ouvrage.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

10. M. B... soutient qu'en raison de l'implantation de l'exutoire en cause à 20 centimètres de la limite de propriété, et de ses caractéristiques, résultant de l'édification par la commune d'un talus d'une hauteur de deux mètres au bord de la descente de 80 centimètres de large, ses parcelles se trouveraient inutilisables sur une largeur de trois mètres correspondant à la perte d'au moins deux rangées de vigne en zone d'appellation d'origine contrôlée Champagne. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'ouvrage en litige se situe en bordure de la parcelle AC n° 50 et il n'est pas contesté que les terrains en cause n'étaient pas plantés depuis plusieurs années. M. B..., qui ne démontre, ni même n'allègue l'existence d'un projet concret de plantation, ni la possibilité d'obtenir une autorisation à ce titre, n'établit pas ainsi la perte d'exploitation dont il demande l'indemnisation.

11. M. B... ne peut non plus réclamer dans le cadre du présent litige une indemnité au titre de la perte de valeur vénale de ses terrains grevés d'une servitude en cours de régularisation, le juge judiciaire étant seul compétent pour connaître de l'indemnité à laquelle il a droit en application des dispositions citées au point 5, selon les modalités du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

12. Par ailleurs, et alors que M. B... profitera, en tout état de cause, des travaux d'écoulement des eaux de pluie en litige, le préjudice dont il demande réparation constitué par les frais de participation au coût de réalisation de ces travaux dont il devra s'acquitter en tant que propriétaire, n'est pas en lien avec l'emprise irrégulière mais résulte des conséquences de la déclaration d'utilité publique. Sa demande ne peut donc qu'être rejetée.

13. Enfin, M. B... ne justifie pas d'un préjudice moral résultant d'un comportement vexatoire de la commune à son égard, alors qu'il avait initialement accepté la poursuite des travaux d'amélioration d'écoulement des eaux de pluie sur son terrain et a finalement refusé de signer le protocole d'accord qui lui avait été proposé.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir soulevées par la commune de Saulchery, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saulchery, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la commune sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saulchery sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Saulchery.

N°20DA00529 5



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