CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 25/01/2021, 19MA03924, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 4 avril 2017 par laquelle le président de l'université de Toulon l'a nommé chargé de mission à la dévolution du patrimoine à compter de la notification dudit arrêté jusqu'au 31 août 2017, d'enjoindre à l'université de Toulon de le réintégrer sur le poste de responsable du service des affaires juridiques et contentieuses sous astreinte de 500 euros par jour de retard en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 2 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement n° 1702105 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande. Procédure devant la Cour : Par une requête enregistrée le 13 août 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 11 juin 2020, M. B..., représenté par Me A...'rorke, demande à la Cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) d'annuler l'arrêté n° 17-305 du président de l'université de Toulon ; 3°) d'enjoindre à l'université de Toulon de le réintégrer sur le poste de responsable du Pôle SAJC, dans un délai déterminé et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ; 4°) de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande au motif que la décision attaquée était une mesure d'ordre intérieur ; - l'arrêté litigieux portait atteinte à ses droits et prérogatives ; - l'arrêté caractérise un comportement discriminatoire de l'université ; il a fait l'objet d'un traitement inégalitaire par rapport à l'autre chef de pôle au sein du secrétariat général ; - l'arrêté implique pour lui une perte de responsabilité ; les missions qui lui sont confiées ne correspondent pas à son grade d'ingénieur d'études de première classe ; il a perdu les fonctions d'encadrement qu'il exerçait auparavant ; - l'arrêté implique pour lui une perte de rémunération ; - l'arrêté constitue une sanction déguisée ; - les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la nomination pour ordre ; - ses conclusions aux fins d'annulation sont recevables ; - l'arrêté attaqué doit être annulé dès lors qu'il a pour seul effet et objet de régulariser les décisions des 9 et 16 décembre 2016 ; - l'intérêt du service, allégué pour motiver la décision de réaffectation, n'est pas établi ; la décision vise à l'évincer de la direction juridique et porte atteinte à la liberté syndicale ; aucun conflit d'intérêt entre son activité syndicale et ses fonctions au sein de la DAJI n'est établi ; - la décision attaquée constitue une sanction disciplinaire déguisée, pour laquelle il a été privé de toutes les garanties procédurales ; il a été privé de la garantie tenant à la consultation de de la CPE, de la commission administrative paritaire, du comité technique et du CHSCT ; son dossier ne lui a pas été communiqué ; - l'arrêté en cause est une nomination pour ordre ; - la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ; - le motif lié à l'existence de risques psycho-sociaux est erroné ; - la décharge syndicale n'entraînait pas une incompatibilité avec ses fonctions au sein de la DAJI ; le conflit d'intérêt allégué n'est pas établi ; - il est victime de harcèlement moral ; il a subi une dégradation de ses conditions de travail ; son avenir professionnel a été compromis ; sa santé physique ou mentale a été altérée ; - l'annulation de la décision attaquée a pour conséquence nécessaire sa réintégration au sein de la DAJI. Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2020, l'université de Toulon, représentée par la SCP Borel et H..., demande à la Cour : 1°) de rejeter la requête ; 2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que : - les demandes sont irrecevables ; - la demande est irrecevable dès lors que la décision attaquée est une mesure d'ordre intérieur et a été prise dans l'intérêt du service ; - la décision n'a pas le caractère d'une sanction déguisée et n'est pas constitutive d'une discrimination syndicale ; - il n'a pas été exclu de ses fonctions de représentation ; - le refus de procéder à son avancement au grade d'ingénieur de recherche est sans lien avec son engagement syndical ; - la réorganisation du service est sans lien direct avec sa nouvelle affectation ; - l'existence d'un conflit d'intérêts pour justifier le motif d'intérêt général fondant la décision est avérée ; - la nomination en litige ne constitue pas une rétrogradation et n'affecte pas ses perspectives de carrière ; - la décision en litige n'est pas constitutive d'une nomination pour ordre ; - la décision est étrangère à tout harcèlement. Par ordonnance en date du 30 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2020. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; - la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. F... Point, rapporteur, - les conclusions de M. E... Angeniol, rapporteur public, - et les observations de Me D... pour M. B..., de Me H... et Me I... pour l'Université de Toulon. Une note en délibéré produite pour l'université de Toulon été enregistrée le 14 janvier 2021 à 14 heures 35. Une note en délibéré produite pour M. B... a été enregistrée le 15 janvier 2021 à 14 heures 49. Considérant ce qui suit : 1. M. B..., ingénieur d'études de première classe, a été affecté à l'université de Toulon à compter du 1er septembre 2010 en tant que chargé d'affaires juridiques puis en tant que responsable du service des affaires juridiques et contentieuses. Par arrêté en date du 20 octobre 2016, le président de l'université de Toulon a créé au sein de l'établissement la direction des affaires juridiques et institutionnelles (DAJI), ayant vocation à regrouper l'ensemble des fonctions juridiques de l'université. M. B... a été affecté au sein de la DAJI à compter du 27 octobre 2016. Par arrêté en date du 4 avril 2017, le président de l'université de Toulon a nommé M. B... chargé de mission à la dévolution du patrimoine, à compter de la notification de l'arrêté, qui a eu lieu le 9 mai 2017, et jusqu'au 31 août 2017. M. B... fait appel du jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1702105 du 20 juin 2019, rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2017. Sur la recevabilité de la demande : 2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilité ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable. 3. Il ressort de l'examen de l'arrêté attaqué qu'aux termes de son article 1er, le président de l'université de Toulon a prononcé la nomination de M. B... sur un poste de chargé de mission. M. B..., qui était auparavant chargé des affaires juridiques et contentieuses, principalement dans le domaine du droit de la fonction publique, s'est vu affecté sur un poste consacré au patrimoine immobilier de l'université. Ses nouvelles missions comportaient des activités d'audit, d'évaluation et de conseil, ainsi que de la rédaction d'actes juridiques. La décision emportait ainsi une modification substantielle des missions de M. B... et un changement de service. En vertu de ses articles 3 et 4, l'arrêté en litige entraînait également une modification du positionnement hiérarchique de M. B..., par son rattachement direct au président de l'université, et une modification de son lieu de travail. Ainsi, quand bien même la décision attaquée n'aurait pas affecté les droits statutaires, la rémunération ou les perspectives de carrière de M. B..., elle a eu une incidence importante sur ses conditions matérielles de travail, nonobstant la décharge de service dont il bénéficiait pour ses activités syndicales. En outre, si M. B... s'est vu communiquer une fiche de poste et une lettre de mission, il affirme, sans être utilement contredit sur ce point, qu'il n'a eu aucun travail effectif au cours de la période pendant laquelle il a occupé ce poste. Son changement d'affectation a ainsi entraîné une diminution de sa charge de travail et de ses responsabilités au regard de son activité au sein de la DAJI. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que la décision attaquée a contribué à une dégradation de ses conditions de travail. 4. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que dans un courrier daté du 24 janvier 2017 adressé à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, le président de l'université de Toulon a fait état, au sujet de M. B..., de " manquements répétés à l'obligation d'obéissance hiérarchique, qui ont motivé une demande de sanction disciplinaire adressée au ministère ainsi qu'un rapport défavorable à sa promotion dans le corps des IGR en 2017 ". Le courrier mentionnait également que M. B... " multipliait les recours contre l'université (auprès du défenseur des droits et du Tribunal administratif) ". Plus loin dans ce courrier, le président de l'université de Toulon indique que la situation de M. B... était " très préjudiciable à la sérénité au travail au sein de l'équipe dirigeante de l'université, ainsi qu'à la mise en place de la nouvelle direction des affaires juridiques et institutionnelles ". Il résulte des termes mêmes de ce courrier que la volonté de réaffecter M. B... en dehors de la direction des affaires juridiques ne procédait pas seulement de la volonté de rendre, dans l'intérêt du service, ses fonctions compatibles avec l'exercice de ses activités syndicales, mais d'écarter M. B... de la direction des affaires juridiques en raison de son comportement. Par un courrier en date du 27 janvier 2017, le président de l'université de Toulon a informé M. B... de son intention de lui infliger une sanction disciplinaire, sans en indiquer le motif. Il ne résulte pas de l'instruction que ce courrier ouvrant la procédure disciplinaire aurait abouti au prononcé d'une sanction ou à un abandon de la procédure. Dans un courrier en date du 4 avril 2017, le président de l'université de Toulon a justifié la mesure de mutation d'office en indiquant que les missions de représentation syndicale exercées par M. B... étaient incompatibles avec son positionnement au sein du service juridique, en faisant valoir que le risque était " de nature à faire naître la suspicion sur les intérêts [qu'il serait] conduit à privilégier ", mettant ainsi en cause la bonne foi et le professionnalisme de l'intéressé. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'appréciation défavorable du comportement et de la manière de servir de M. B... ont été pris en compte pour décider de sa réaffectation sur un poste de chargé de mission en dehors de la direction des affaires juridiques. Ces éléments caractérisent une intention de l'université de porter atteinte à la situation professionnelle de M. B.... 5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que la décision du 4 avril 2017 par laquelle le président de l'université de Toulon l'a nommé chargé de mission à la dévolution du patrimoine a été prise pour des motifs caractérisant une sanction disciplinaire déguisée. Une telle décision fait grief. Par voie de conséquence, M. B... est également fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a jugé que les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2017 étaient dirigées contre une simple mesure d'ordre intérieur et, par suite, étaient irrecevables. 6. Il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1702105 du 20 juin 2019 doit être annulé. L'affaire étant en état, il y a lieu de statuer par voie d'évocation sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulon. Sur la légalité 7. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale.". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme. / Deuxième groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / Troisième groupe : / - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation. ". Aux termes de l'article 19 de la même loi : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. /L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ". 8. Il résulte de ce qui précède que la décision du 4 avril 2017 par laquelle le président de l'université de Toulon a nommé M. B... chargé de mission à la dévolution du patrimoine a revêtu le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée. Cette mesure correspond à une sanction disciplinaire du deuxième groupe et n'a pas été précédée d'une consultation préalable de la commission paritaire siégeant en conseil de discipline. Cette irrégularité a privé M. B... d'une garantie substantielle. En outre, il résulte de l'instruction que M. B... n'a pas été informé, en des termes non équivoques, des griefs retenus contre lui et n'a pas été en mesure de préparer utilement sa défense. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que la mesure en cause a été prise en l'absence de procédure disciplinaire et en méconnaissance des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983. Pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, la décision doit être annulée. Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte : 9. L'exécution du présent arrêt annulant la décision de mutation d'office de M. B... implique nécessairement qu'il soit réaffecté dans son emploi. Il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre à l'université de Toulon de le réintégrer dans ses fonctions de chargé d'affaires juridiques au sein du pôle des affaires juridiques et contentieuses de la direction des affaires juridiques et institutionnelles. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte. Sur les frais liés au litige : 10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par l'université de Toulon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'université de Toulon la somme de 2 000 euros, à verser à M. B....D É C I D E :Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1702105 du 20 juin 2019 est annulé.Article 2 : La décision du président de l'université de Toulon n° 17-305 du 4 avril 2017 est annulée. Article 3 : Il est enjoint à l'université de Toulon de réintégrer M. B... dans ses fonctions de chargé d'affaires juridiques au sein du pôle des affaires juridiques et contentieuses de la direction des affaires juridiques et institutionnelles, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté. Article 5 : Il est mis à la charge de l'université de Toulon le versement à M. B... de la somme de 2 000 euros à au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à l'université de Toulon. Délibéré après l'audience du 11 janvier 2021, où siégeaient : - M. Guy Fédou, président, - Mme G... J..., présidente assesseure, - M. F... Point, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2021. 2N° 19MA03924 MY



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