Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 30/11/2020, 442046

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet et 2 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Les jardins d'Iroise de Auch demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, le paragraphe n° 80 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 20 septembre 2017 sous la référence BOI-IR-RICI-150-10 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;




Considérant ce qui suit :

1. La société Les jardins d'Iroise de Auch, qui a pour activité l'exploitation d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes et la prestation de services à la personne, demande l'annulation du paragraphe n° 80 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 20 septembre 2017 sous la référence BOI-IR-RICI-150-10, par lesquels l'administration donne son interprétation des dispositions de l'article 199 sexdecies du code général des impôts instituant un crédit d'impôt au titre des sommes versées pour l'emploi d'un salarié à domicile, ou en ayant recours aux associations, entreprises et organismes visés à cet article.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance :

2. Il résulte de la décision n° 435634 du 13 mars 2020 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, que le délai imparti pour former un recours pour excès de pouvoir contre des commentaires administratifs par lesquels l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque ceux-ci ont été insérés au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, s'achève à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la lecture de cette décision, intervenue le 13 mars 2020.

3. Toutefois, aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, rendues applicables aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif par l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, à l'exception des dérogations précisément énumérées au II de cet article, " tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ", la période mentionnée à l'article 1er de cette ordonnance étant, dans sa version applicable au litige, celle du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus. Contrairement à ce que soutient le ministre, ces dispositions sont applicables au délai qui résulte de la décision du 13 mars 2020 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a fixé les modalités de mise en oeuvre des dispositions réglementaires relatives au délai de recours contre les commentaires administratifs de la loi fiscale.

4. Il en résulte que ne saurait être rejeté comme irrecevable un recours formé contre des commentaires publiés entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018 et présenté avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la fin de la période mentionnée ci-dessus.

5. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité du paragraphe attaqué :

6. Aux termes de l'article 199 sexdecies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " 1. (...) ouvrent droit à un crédit d'impôt sur le revenu les sommes versées par un contribuable domicilié en France au sens de l'article 4 B pour : / a) L'emploi d'un salarié qui rend des services définis aux articles L. 7231-1 et D. 7231-1 du code du travail ; / b) Le recours à une association, une entreprise ou un organisme déclaré en application de l'article L. 7232-1-1 du même code et qui rend exclusivement des services mentionnés au a du présent 1 ou qui bénéficie d'une dérogation à la condition d'activité exclusive selon l'article L. 7232-1-2 du code du travail ; / c) Le recours à un organisme à but non lucratif ayant pour objet l'aide à domicile et habilité au titre de l'aide sociale ou conventionné par un organisme de sécurité sociale. / 2. L'emploi doit être exercé à la résidence, située en France, du contribuable ou d'un de ses ascendants remplissant les conditions prévues au premier alinéa L. 232-2 du code de l'action sociale et des familles ".

7. Aux termes de l'article L. 7231-1 du code du travail : " Les services à la personne portent sur les activités suivantes : 1° La garde d'enfants ; / 2° L'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile ; / 3° Les services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales ". L'article L. 7231-2 du même code prévoit que des décrets précisent le contenu des activités de services à la personne mentionnées à l'article L. 7231-1.

8. L'article D. 7231-1 du code du travail, pris pour l'application de ces dispositions législatives, dans sa rédaction en vigueur à la date des commentaires attaqués, énumère les activités de services à la personne en distinguant celles dont l'exercice est soumis à agrément, mentionnées à son I, de celles dont l'exercice est seulement soumis à déclaration, mentionnées à son II.

9. Les services à la personne énumérés par cet article comprennent des services rendus au domicile du contribuable ou de son ascendant, tels que la garde d'enfants, l'assistance dans les actes quotidiens des personnes âgées, les travaux ménagers ou la livraison de repas à domicile, et des activités qui s'exercent hors de ce domicile.

10. Il résulte de ces dispositions combinées, notamment de celles du 2 de l'article 199 sexdecies du code général des impôts, que seules ouvrent droit au crédit d'impôt prévu par cet article les sommes versées en rémunération des services, mentionnés à l'article D. 7231-1 du code du travail, qui sont rendus au domicile du contribuable ou de son ascendant, à l'exclusion des sommes versées en rémunération des activités exercées en dehors de ce domicile.

11. Dès lors, en énonçant, à leur paragraphe n° 80, que l'avantage fiscal prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts " s'applique aux prestations mentionnées à l'article D. 7231-1 du code du travail réalisées à l'extérieur du domicile, dès lors qu'elles sont comprises dans une offre de services incluant un ensemble d'activités effectuées à domicile ", les commentaires administratifs attaqués ajoutent à la loi dont ils ont pour objet d'éclairer la portée. La société Les jardins d'Iroise de Auch est, par suite, fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de ce paragraphe.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Les jardins d'Iroise de Auch au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





D E C I D E :
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Article 1er : Le paragraphe n° 80 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 20 septembre 2017 sous la référence BOI-IR-RICI-150-10 est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à la société Les jardins d'Iroise de Auch la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Les jardins d'Iroise de Auch et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

ECLI:FR:CECHR:2020:442046.20201130
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