CAA de PARIS, 4ème chambre, 12/03/2019, 18PA02908, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés
du 5 octobre 2017 par lesquels le ministre de l'intérieur a décidé qu'il sera expulsé, en urgence absolue, du territoire français et a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné, et d'enjoindre au ministre de l'intérieur et à l'autorité consulaire française compétente de prendre toute mesure de nature à permettre son retour en France, aux frais de l'Etat français, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant la date de notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1716974/4-2 du 29 juin 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 août 2018 et le 8 février 2019,
M.A..., représenté par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 juin 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du ministre de l'Intérieur du 5 octobre 2017 décidant de son expulsion en urgence absolue du territoire français et fixant le Maroc comme pays de destination ;

2°) d'annuler les deux arrêtés ministériels du 5 octobre 2017 portant expulsion en urgence absolue et fixant le Maroc comme pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'Intérieur et aux autorités consulaires en poste au Maroc de prendre toute mesure de nature à permettre son retour, aux frais de l'Etat, sur le territoire français, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement des entiers dépens, ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- l'arrêté portant expulsion en urgence absolue est entaché d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission d'expulsion, dès lors que l'urgence absolue à l'expulser du territoire national n'est pas caractérisée en l'absence de caractère immédiat de la menace que représenterait sa présence ;
- il est entaché d'un défaut de motivation dans la mesure où sa motivation est parfaitement stéréotypée et déconnectée de tout élément factuel propre à sa situation personnelle, de même que la décision fixant le Maroc comme pays de renvoi, en l'absence de prise en compte de la situation générale prévalant dans ce pays à l'égard des personnes soupçonnées d'accointances avec des organisations terroristes ;
- l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile étant contraire aux articles 3, 5§1-2-4, 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, les arrêtés litigieux sont privés de base légale ; l'arrêté portant expulsion en urgence absolue et celui fixant le Maroc comme pays de renvoi méconnaissent ces stipulations conventionnelles ;
- cette expulsion en urgence absolue l'a privé de la possibilité de bénéficier des garanties procédurales préalables, notamment le droit à un recours effectif et suspensif, permettant d'assurer la protection de ses droits fondamentaux ;
- les conditions d'exécution des décisions sont également contraires à ces stipulations ;
- l'autorité administrative l'a exposé à des risques graves de violation de la convention européenne des droits de l'homme au Maroc ;
- cet arrêté est entaché d'erreurs de droit, de qualification juridique des faits et d'appréciation ;
- il justifie résider en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 13 ans, et est donc protégé contre toute mesure d'expulsion conformément au 1° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, sauf pour l'administration à démontrer qu'il manifesterait des " comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste ", ce qu'elle ne fait pas ;
- son comportement a changé pour s'inscrire dans une bonne dynamique ;
- l'analyse du ministre de l'Intérieur est contraire aux examens personnalisés et approfondis réalisés par le juge de l'application des peines, deux procureurs de la République, une brigade de gendarmerie, ainsi qu'un service d'insertion et de probation, qui lui ont permis de bénéficier d'un aménagement de peine et d'une ordonnance de réduction supplémentaire de peine le 8 juin 2017 ;
- il n'a eu aucune accointance avec des activités à caractère terroriste ;
- les services de renseignement relèvent par ailleurs dans leur note blanche que " durant son incarcération à la maison d'arrêt de Tarbes, le requérant ne s'est pas fait remarquer par un comportement prosélyte et n'a pas fait montre d'acte en lien avec une potentielle radicalisation " ;
- les faits isolés qui lui ont été imputés ne révèlent aucun ancrage délibéré dans une idéologie, ni aucun lien avec des activités terroristes ;
- l'arrêté litigieux opère une citation opportunément tronquée du jugement rendu le 2 juin 2017 par le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Tarbes ;
- les faits motivant l'arrêté contesté ont été commis plus d'un an avant l'édiction de la mesure litigieuse, sur une période de temps particulièrement resserrée, soit moins d'un mois, et ne sont donc pas le reflet d'un comportement ancien, ancré ou persistant ;
- le ministre a commis une erreur sur la qualification juridique des faits en retenant qu'il représentait une menace immédiate pour les intérêts fondamentaux de l'Etat et que ses comportements étaient liés à des activités à caractère terroriste ;
- plus de dix jours séparant l'édiction de l'arrêté contesté de sa notification et de sa mise en oeuvre, la menace à l'ordre public ne saurait être considérée comme immédiate en l'espèce ;
- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant garantissant la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant ;
- ses deux jeunes filles vivent en France où elles sont scolarisées ;
- la décision fixant le Maroc comme pays de renvoi sera privée de base légale après annulation de l'arrêté d'expulsion ;

Par un mémoire en défense enregistré le 21 janvier 2019, le ministre de l'Intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B, président de chambre,
- et les conclusions de Madame C, rapporteur public.


1. M.A..., ressortissant marocain, né en 1975, est arrivé en France en 1984. Il a obtenu en 2011 une carte de résident valable jusqu'en 2021. Son épouse marocaine et leurs deux enfants l'ont rejoint en France, en 2014, dans le cadre d'un regroupement familial. Le ministre de l'Intérieur a, par deux arrêtés du 5 octobre 2017, prononcé son expulsion du territoire français en urgence absolue au motif que son comportement étant de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat et liés à des activités à caractère terroriste, sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, et a fixé le Maroc comme pays de renvoi en application des dispositions des articles L. 521-3 et L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. C...fait appel du jugement du 29 juin 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité de l'arrêté d'expulsion :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de
celui-ci ou depuis au moins un an ; 2° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ;... Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application de l'article L. 521-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. " Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;... Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables à l'étranger mentionné au 3° ou au 4° ci-dessus lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. Les étrangers mentionnés au présent article bénéficient de ses dispositions même s'ils se trouvent dans la situation prévue au dernier alinéa de l'article L. 521-2. ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : (...) / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative (...)".

3. En premier lieu, le conseil constitutionnel a par sa décision n° 2016-580 QPC du
5 octobre 2016, jugé que la procédure d'expulsion en urgence absolue répond à la nécessité de pouvoir, en cas de menace immédiate, éloigner du territoire national un étranger au nom d'exigences impérieuses de l'ordre public. Le législateur, en dispensant dans un tel cas l'autorité administrative d'accomplir les formalités prévues à l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions. La légalité d'une mesure d'expulsion ne dépend pas des modalités de son exécution, ni des conditions dans lesquelles un tel acte peut être contesté devant le juge administratif. Le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui prévoit pour toute personne des garanties relatives aux conditions d'arrestation ou de détention, est inopérant à l'égard d'un arrêté d'expulsion qui n'implique pas en lui-même l'arrestation ou la détention de l'intéressé. L'absence de recours suspensif est en elle-même sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté. L'absence de tout délai entre, d'une part, la notification à l'étranger de la mesure d'expulsion et, d'autre part, son exécution d'office, ne résulte pas directement des dispositions dont M. A...conteste la conventionalité. Les dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne privent pas l'intéressé de la possibilité d'exercer un recours contre la décision d'expulsion devant le juge administratif, le juge du fond et celui des référés, qui peut suspendre l'exécution de la mesure d'expulsion ou ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. En cas de contestation de la décision déterminant le pays de renvoi, il appartient au juge administratif de veiller notamment au respect de l'interdiction de renvoyer un étranger à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au demeurant, M. A...a pu en l'espèce introduire un référé suspension à l'encontre de la mesure d'expulsion dont il a été l'objet le 5 octobre 2017, qui a été exécutée 12 jours après avoir été édictée, après le rejet de cette demande de suspension par ordonnance du 16 novembre 2017. Par suite, l'intéressé, qui reproche notamment au ministre de l'Intérieur d'avoir procédé à l'exécution de cet arrêté d'expulsion immédiatement après sa notification et d'avoir ainsi été privé de la possibilité d'exercer un recours effectif contre cet acte en méconnaissance des garanties prévues par les articles 6 relatif au droit à un procès équitable et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas fondé à invoquer l'inconventionalité du régime et de la mesure d'expulsion qui lui a été appliquée, au regard notamment des articles 3, 5, 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.

4. En deuxième lieu, il ressort de l'arrêté d'expulsion contesté que le ministre de l'Intérieur a énoncé les dispositions sur lesquelles il s'est fondé pour prendre cette mesure, a décrit très précisément les faits justifiant selon lui l'urgence absolue qu'il y avait à expulser M.A..., et exposé en quoi cette décision ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit donc être écarté comme manquant en fait.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une note blanche des services de renseignement, que M. A...a été condamné en novembre 1996 par le tribunal correctionnel de Montauban à six mois d'emprisonnement avec sursis pour violence aggravée. Il a été condamné, les 24 mai 2000 et 20 juin 2001, par le tribunal correctionnel de Toulouse, à quatre mois et un an et huit mois d'emprisonnement, respectivement, pour détention, cession ou offre de stupéfiants, d'une part, puis dégradation ou détérioration d'un monument ou objet d'utilité publique et violence sur personne dépositaire de l'autorité publique, d'autre part. Il a été condamné, le
27 février 2007, pour refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et conduite d'un véhicule à moteur sans permis de conduire ni assurance. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Foix, le 19 juin 2007, à trois mois d'emprisonnement pour acquisition, détention, offre ou cession et transport de stupéfiants. Il a été condamné, le 15 avril 2011, par le tribunal correctionnel de Montauban, à trois mois d'emprisonnement pour conduite d'un véhicule en état d'ébriété. Il a été condamné, le 11 juillet 2016, par le tribunal correctionnel de Toulouse, à neuf mois d'emprisonnement pour menace de crime ou délit et outrage à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Il a tenté, le 4 août 2016, d'écraser des personnes installées à la terrasse d'un bar, avec son véhicule qu'il conduisait en état d'ébriété. Il a été, le 12 août 2016, condamné par le tribunal correctionnel de Perpignan à une peine d'emprisonnement de 18 mois, pour récidive de conduite d'un véhicule en état d'ivresse, récidive de refus de se soumettre aux vérifications de l'état alcoolique, menace de destruction dangereuse pour les personnes, outrage et menace de mort à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, violence avec usage d'une arme et enfin, dégradation ou détérioration d'un bien destiné à l'utilité ou la décoration publique. M. A...ne conteste pas avoir exprimé des menaces à l'encontre de fonctionnaires de police, le 11 juillet 2016 en déclarant : " Je vais tous vous buter à la kalach, je vous lâche une roquette et vous êtes morts, je vais jeter des grenades dans vos voitures quand je pourrai vous faire sauter bande de bâtards, je n'ai qu'un seul maître c'est Dieu et je l'écoute, allahu akbar. Bandes de sales fils de putes, j'ai fait de la prison et vous allez voir comment je vais vous crever. De toute façon, il faudrait enterrer tous les flics la tête en bas car il font la loi sur terre et seul Dieu peut juger les hommes, je vais vous arracher le coeur et le boufferai alors qu'il battra encore ", puis le 12 août 2016, en disant " J'espère que ton flingue est bien accroché car je vais vous mettre à tous une balle entre les deux yeux, on va se retrouver, je vais vous buter, vous allez tous crever, faites attention je vais revenir avec une kalachnikov et un lance roquette et vous buter, vos femmes je vais les trouver ", et, à l'occasion de son interpellation : " Je vais empoisonner un château d'eau et je vais tous vous crever comme le fait Daesh ". Il ne conteste pas avoir indiqué au psychiatre qui l'a examiné le 4 août 2016, qu'il souhaitait " refaire le coup de l'attentat de Nice ".

6. Eu égard à la violence des actes commis par M.A..., pour la majorité en situation de récidive, de la gravité des menaces qu'il a exprimés et de la radicalisation de ses propos, prononcés pour la plupart en 2016, dans le contexte d'un risque élevé d'attentats en France, de la nature de ces faits liés à des activités à caractère terroriste ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes, et nonobstant la circonstance que l'intéressé a bénéficié d'un aménagement et d'une réduction de peine, sa présence sur le territoire français a pu être regardée à sa sortie de prison comme constitutive d'une menace grave pour les intérêts fondamentaux de l'Etat. Le ministre de l'Intérieur n'a donc pas commis une erreur de droit, de fait ou d'appréciation, en estimant, à la date à laquelle cette mesure a été prononcée, que son expulsion revêtait un caractère d'urgence absolue au sens
du I de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que M. A...ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article L. 522-1 alinéa 2 imposant la consultation pour avis de la commission d'expulsion, qui n'est pas applicable en cas d'urgence absolue, ni de l'article L. 521-3 alinéas 1er et 2 du même code prohibant l'expulsion d'un étranger qui justifie résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 13 ans ou depuis plus de 20 ans.

8. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". L'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. La mesure d'éloignement litigeuse constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l'ordre, à la prévention des infractions pénales et à la protection des droits et libertés d'autrui. Il n'est pas contesté que
M. A...est arrivé en France en 1982, accompagné de sa famille, à l'âge de 8 ans, que l'essentiel de ses attaches familiales se trouve sur le sol français en la personne de son père qui est titulaire d'une carte de résident, ses deux soeurs, ressortissantes françaises, son frère, ressortissant français, sa fille Chaïnesse, qu'il a eue d'une première union avec une ressortissante française, et à l'entretien de laquelle il affirme avoir toujours pourvu, qu'après la séparation avec la mère de cet enfant, il a reconstruit sa vie avec une ressortissante marocaine, titulaire d'une carte de résident, et que de leur union sont nées deux filles, en 2013 et 2014, qui sont scolarisées en France. Toutefois, M. A...n'établit pas avoir des liens avec sa première fille, ni contribuer à son entretien. En outre, rien ne s'oppose à ce que l'ensemble de la cellule familiale formé par l'intéressé, sa compagne marocaine et leurs deux jeunes enfants s'établisse au Maroc. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances et à la gravité des faits reprochés à l'intéressé, le ministre de l'Intérieur n'a pas en décidant son expulsion porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette mesure a été prise, ni méconnu l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant garantissant la prise en compte de l'intérêt supérieur de ses enfants.

Sur l'arrêté fixant le Maroc comme pays de destination :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen, invoqué par voie d'exception, tiré de l'illégalité de l'arrêté d'expulsion ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, l'arrêté fixant le Maroc comme pays de destination qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquels il se fonde, notamment le fait que le requérant n'établit pas être exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme, est suffisamment motivé.

12. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". La cour européenne des droits de l'homme a par son arrêt n° 46240/15 du 19 avril 2018, AS. c/ France, jugé que l'expulsion d'un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3. Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3. La cour européenne des droits de l'homme a, par ce même arrêt, estimé que " le Maroc a pris des mesures afin de prévenir les risques de torture et de traitements inhumains et dégradants ", et que " la nature de la condamnation du requérant ainsi que les contextes national et international, profondément et durablement marqués par la lutte contre le terrorisme, expliquent que celui-ci a pu faire l'objet de mesures de contrôle et de surveillance à son arrivée au Maroc, sans que celles-ci puissent, ipso facto, être constitutives d'un traitement prohibé par l'article 3 de la convention ". En l'espèce, M. A...n'établit pas qu'au moment où la mesure d'expulsion contestée a été prise, il risquait la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants au Maroc.

13. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 5 octobre 2017 par lesquels le ministre de l'Intérieur a ordonné son expulsion au Maroc. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles afférentes aux frais de justice présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :


Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...et au ministre de l'Intérieur.
Délibéré après l'audience du 19 février 2019, à laquelle siégeaient :

- M. B, président de chambre,
- Mme D, président assesseur,
- Mme E, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 12 mars 2019.

Le président rapporteur,
B. Le président assesseur,
D.
Le greffier,
F.La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18PA02908

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