Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 27/02/2019, 401938, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Apollo a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2007, de réparer les erreurs commises par l'administration dans la détermination du résultat déficitaire des exercices clos en 2006 et 2008 et de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 149 703 euros. Par un jugement n° 1303516 du 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Melun, d'une part, réduit les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la requérante pour les exercices clos en 2006, 2007 et 2008 respectivement de 70 306,83 euros, 16 026,40 euros et 1 076,40 euros et l'a déchargée des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondant à la réduction de ces bases d'imposition et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 15PA00797 du 10 juin 2016, la cour administrative d'appel de Paris a, premièrement, fixé le résultat déficitaire de la société au titre de l'exercice clos en 2006 à 157 583 euros et le résultat bénéficiaire au titre de l'exercice clos en 2007 à 91 648 euros, deuxièmement, déchargé la société des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'année 2007 à hauteur de la réduction des bases prononcée, enfin, rejeté le surplus de ses conclusions d'appel contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 29 juillet et 27 octobre 2016 et le 5 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Apollo demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 6 de cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de L'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la SCI Apollo.




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Apollo a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008, à l'issue de laquelle l'administration a entendu l'assujettir à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée. A la suite de l'abandon des redressements en matière de taxe sur la valeur ajoutée à l'issue d'un recours hiérarchique, la société a été assujettie à des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2007, pour un montant de 84 094 euros. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 juin 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, premièrement, fixé son résultat déficitaire au titre de l'exercice clos en 2006 à 157 583 euros et son résultat bénéficiaire au titre de l'exercice clos en 2007 à 91 648 euros, deuxièmement, l'a déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'année 2007 à hauteur de la réduction des bases prononcée, enfin, a rejeté le surplus de ses conclusions d'appel contre le jugement du 18 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Melun, d'une part, avait décidé de réduire ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos en 2006, 2007 et 2008 respectivement de 70 306,83 euros, 16 026,40 euros et 1 076,40 euros et de la décharger des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondant à ces réductions et, d'autre part, avait rejeté le surplus de ses demandes en matière d'impôt sur les sociétés ainsi que celle tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 149 703 euros.

Sur le bien-fondé de l'arrêt en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

S'agissant de la renonciation à recettes :

2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Apollo a vendu les lots n°s 5, 6, 7 et 8 d'un ensemble immobilier situé 10 rue Charles Deguy à Montgeron respectivement les 25 juillet 2007, 3 août 2007, 20 juillet 2007 et 30 juin 2007. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration a estimé que la société avait vendu le lot n° 5 à un prix anormalement bas en comparaison des prix auxquels elle avait cédé les autres lots et qu'elle avait, ce faisant, commis un acte anormal de gestion.

4. En jugeant que la société requérante avait commis un acte anormal de gestion alors que l'administration se bornait à constater un écart de prix entre le lot cédé et le prix de cession d'autres lots de l'ensemble immobilier en litige, et que la société requérante soutenait que le lot litigieux n'avait pas été cédé dans le même état d'achèvement que les autres lots vendus à la même époque, la cour a donné aux faits dont elle était saisi une qualification juridique inexacte. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi relatifs à ce chef de redressement, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur la renonciation à recettes résultant de la vente du lot n° 5.

S'agissant des charges déductibles :

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, l'administration a abandonné les rappels en matière de taxe sur la valeur ajoutée et indiqué qu'en conséquence, les produits et les charges en litige seraient comptabilisés toutes taxes comprises.

6. La société requérante soutenait devant la cour qu'elle était en droit de déduire de son résultat imposable une somme de 691 626 euros TTC correspondant à un marché de travaux conclu avec la SARL Benincasa. Toutefois, pour juger que l'administration avait à bon droit retenu une somme de 610 000 euros TTC en déduction de son résultat imposable, la cour a relevé que la requérante n'établissait pas avoir réglé une somme de 670 249,26 euros TTC dès lors qu'elle se bornait à produire une facture éditée par la SARL Benincasa le 30 octobre 2009, qui ne récapitulait aucun des acomptes qu'elle aurait reçus et sur laquelle figurait seulement un " net à payer " de 691 526 euros, et des relevés bancaires sur lesquels le bénéficiaire des chèques n'était pas identifiable. Si la cour administrative d'appel a en outre relevé que le prix prévu par le marché, soit 610 000 euros TTC, correspondait à 510 033 euros HT une fois prise en compte une TVA au taux de 19,6%, il résulte de ce qui précède et de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que ce motif revêt un caractère surabondant. La requérante ne saurait, par suite, utilement soutenir qu'il serait entaché d'erreur de droit et de dénaturation.

S'agissant du déficit reportable au titre de l'année 2005 :

7. Si la société requérante soutenait devant la cour qu'un déficit reportable d'un montant de 37 850 euros au titre de 2005 " n'a pas été pris en compte par le service vérificateur ", la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a jugé, sans erreur de droit et par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que ce moyen n'était pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Sur le bien-fondé de l'arrêt en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

8. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 242-0 A de l'annexe II à ce même code : " Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée doit faire l'objet d'une demande des assujettis. Le remboursement porte sur le crédit de taxe déductible constaté au terme de chaque année civile ". Aux termes de l'article 242-0 C de la même annexe : " I. 1. Les demandes de remboursement doivent être déposées au cours du mois de janvier et porter sur un montant au moins égal à 150 euros. / (...) I.-Par dérogation aux dispositions du I, les assujettis soumis de plein droit ou sur option au régime normal d'imposition peuvent demander un remboursement lorsque la déclaration mentionnée au 2 de l'article 287 du code général des impôts fait apparaître un crédit de taxe déductible. (...) ". Aux termes du I de l'article 208 de la même annexe : " Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission ".

9. Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire ". Aux termes de l'article R*196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation ". Aux termes de l'article R*196-3 du même livre : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ".

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a adressé le 10 mai 2010 à la société requérante une proposition de rectification portant notamment sur ses bases d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008. La société requérante a déposé, le 23 décembre 2010, une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée mentionnant uniquement de la taxe déductible pour un montant de 149 703 euros et a par ailleurs demandé le remboursement du crédit de taxe dont elle estimait être titulaire.

11. En premier lieu, la société requérante ne peut utilement invoquer pour la première fois devant le juge de cassation les dispositions de l'article R*196-1 du livre des procédures fiscales pour soutenir que la cour aurait jugé à tort que sa demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée était tardive.

12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du recours hiérarchique présenté par la société requérante, l'administration a abandonné les rappels de taxe sur la valeur ajoutée au motif que la société, qui n'avait pas exercé l'option pour son assujettissement au régime de TVA sur la marge applicable aux marchands de biens, était exonérée de cette taxe pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008. Par suite, il résulte des dispositions précitées de l'article 271 du code général des impôts qu'elle n'était pas fondée à opérer de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé ses opérations, lesquelles n'étaient pas imposables. Ce motif de pur droit doit être substitué aux motifs retenus par l'arrêt attaqué dont il justifie légalement sur ce point le dispositif.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, sur la renonciation à recettes résultant de la vente du lot n° 5.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 10 juin 2016 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il s'est prononcé, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, sur la renonciation à recettes résultant de la vente du lot n° 5.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la SCI Apollo une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI Apollo et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2019:401938.20190227
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