Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 29/06/2016, 389278, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...et l'Union locale CGT des vallées du Paillon ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 mai 2014 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a homologué le document unilatéral élaboré par la société Belambra Clubs fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Leur demande a été transmise le 24 novembre 2014 à la cour administrative d'appel de Marseille, sur le fondement de l'article L. 1235-7-1 du code du travail. Par un arrêt n° 14MA04642 du 3 février 2015, la cour administrative d'appel a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 15 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de la société Belambra Clubs la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Huet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B...et autre et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société Belambra Clubs ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la fermeture de son établissement de Menton, la société Belambra Clubs a engagé une procédure de licenciement collectif de trente huit salariés ; que, par une décision du 20 mai 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a homologué le document unilatéral élaboré par l'employeur fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; que Mme B... et l'Union locale CGT des vallées du Paillon ont demandé au tribunal administratif de Nice l'annulation de cette décision ; que, le 24 novembre 2014, le président de ce tribunal, sur le fondement des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, a transmis cette demande à la cour administrative d'appel de Marseille ; que Mme C...et l'Union locale CGT des vallées du Paillon se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 3 février 2015 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté leur demande ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

2. Considérant que le quatrième alinéa de l'article L. 1235-7-1 du code du travail dispose qu'en cas de recours contre la décision administrative de validation d'un accord collectif relatif à un plan de sauvegarde de l'emploi ou contre la décision d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu d'un tel plan : " Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, il ne s'est pas prononcé ou en cas d'appel, le litige est porté devant la cour administrative d'appel, qui statue dans un délai de trois mois. Si, à l'issue de ce délai, elle ne s'est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d'Etat. (...) " ; que le délai de trois mois dans lequel une cour administrative d'appel compétemment saisie est tenue de statuer court, pour chaque requête, à compter de la date de son enregistrement au greffe de la cour, soit que cet enregistrement résulte d'un appel dirigé contre un jugement ayant statué sur la légalité d'une décision d'homologation ou de validation, soit qu'il résulte d'une transmission d'un tel litige par une juridiction incompétente pour y statuer, notamment dans le cas où un tribunal administratif est dessaisi par application de ces dispositions ; que ce délai n'est pas un délai franc ;

3. Considérant que, la demande de Mme B...et de l'Union locale CGT des vallées du Paillon ayant été introduite devant le tribunal administratif de Nice le 18 juillet 2014, ce tribunal devait, en application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1235-7-1 du code du travail citées ci-dessus, statuer avant le 18 octobre 2014 à minuit ; que, faute d'avoir statué, il était dessaisi à compter du 19 octobre et son président était tenu, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, de transmettre sans délai le dossier à la cour administrative d'appel de Marseille ; que le dossier ainsi transmis par le tribunal a été enregistré au greffe de cette cour le 25 novembre 2014 ; que le délai de trois mois imparti à la cour pour statuer expirait, par suite, le 25 février 2016 à minuit ; qu'ainsi, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêt du 3 février 2015 a été rendu par une juridiction qui n'était plus compétente pour statuer ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

4. Considérant qu'il résulte notamment des dispositions des articles L. 1233-61, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsqu'elle est saisie, en application des dispositions de l'article L. 1233-57-4 du même code, d'une demande d'homologation d'un document fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code ;

En ce qui concerne l'absence, dans le plan de sauvegarde de l'emploi, des contrats de sécurisation professionnelle :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-71 du code du travail : " Dans les entreprises ou les établissements d'au moins mille salariés ainsi que dans les entreprises mentionnées à l'article L. 2331-1 et celles mentionnées à l'article L. 2341-4, dès lors qu'elles emploient au total au moins mille salariés, l'employeur propose à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique un congé de reclassement qui a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi " ; qu'aux termes de l'article L. 1233-66 du même code : " Dans les entreprises non soumises à l'article L. 1233-71, l'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable ou à l'issue de la dernière réunion des représentants du personnel, le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique. Lorsque le licenciement pour motif économique donne lieu à un plan de sauvegarde de l'emploi dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-2 et L. 1233-24-4, cette proposition est faite après la notification par l'autorité administrative de sa décision de validation ou d'homologation prévue à l'article L. 1233-57-4 (...) " ; qu'enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 1233-57-3 du même code, l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi : " (...) s'assure que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle mentionné à l'article L. 1233-65 ou la mise en place du congé de reclassement mentionné à l'article L. 1233-71 " ;

6. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen tiré de ce que le plan de sauvegarde de l'emploi de la société Belambra Clubs aurait dû prévoir le recours au contrat de sécurisation professionnelle, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que les effectifs du groupe Belambra à prendre en considération pour l'application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1233-71 du code du travail étaient, à la date de la décision d'homologation litigieuse, de plus de mille salariés ; qu'en statuant ainsi, alors que ces effectifs devaient être appréciés, selon les modalités prévues à l'article L. 1111-2 du code du travail, à la date d'engagement de la procédure de licenciement, elle a commis une erreur de droit ;

7. Mais considérant que l'obligation de prévoir, dans un plan de sauvegarde de l'emploi, le recours au contrat de sécurisation professionnelle qui doit, en application des dispositions de l'article L. 1233-66 du code du travail, être proposé aux salariés dont le licenciement est envisagé ne saurait s'appliquer lorsque le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit, pour les mêmes salariés, le bénéfice d'un congé de reclassement ; qu'il résulte des termes de l'arrêt attaqué et n'est d'ailleurs pas contesté que le plan de sauvegarde de l'emploi homologué par la décision litigieuse prévoit un congé de reclassement pour tous les salariés qui n'auront pu bénéficier d'un reclassement interne ; que dès lors, quels qu'aient été, à la date d'engagement de la procédure de licenciement, les effectifs du groupe auquel appartient la société Belambra Clubs, les requérantes ne pouvaient utilement soutenir, devant la cour administrative d'appel, que le plan de sauvegarde de l'emploi devait prévoir le recours au contrat de sécurisation professionnelle ; que le moyen soulevé devant les juges du fond étant inopérant, il convient de l'écarter pour ce motif, qui doit être substitué au motif retenu par les juges du fond ;

En ce qui concerne les autres mesures du plan de sauvegarde de l'emploi :

8. Considérant qu'au titre du contrôle qui lui incombe en application des dispositions rappelées au point 4, il appartient à l'administration d'apprécier, au regard de l'importance du projet de licenciement, si les mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe ;

9. Considérant qu'eu égard à l'argumentation soulevée devant elle, la cour administrative d'appel, après avoir rappelé que " la pertinence d'un plan social (...) doit être appréciée en fonction des moyens dont disposent l'entreprise et le groupe auquel elle appartient ", a pu, sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation ni commettre d'erreur de droit, estimer que tant les mesures de reclassement interne que les mesures de reclassement externe étaient suffisantes, sans faire expressément référence aux moyens dont disposaient l'unité économique et sociale et le groupe auxquels appartient l'entreprise Belambra Clubs ; qu'en estimant que, prises dans leur ensemble, ces mesures étaient suffisantes et propres à satisfaire les objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elle a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

10. Considérant que les critères déterminant l'ordre des licenciements fixés par un plan de sauvegarde de l'emploi ont, par hypothèse, vocation à ne s'appliquer qu'aux salariés de l'entreprise au sein de laquelle les licenciements sont envisagés ; que, par suite, en jugeant que le plan de sauvegarde de l'emploi avait, à bon droit, retenu que ces critères devaient être mis en oeuvre à l'égard des salariés de l'entreprise Belambra Clubs, et non à l'égard de ceux de l'unité économique et sociale à laquelle appartenait cette entreprise, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...et autre ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Belambra Clubs, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Belambra Clubs présentées au même titre ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme B...et autre est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la société Belambra Clubs présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B..., à l'Union locale CGT des vallées du Paillon, à la société Belambra Clubs et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

ECLI:FR:CECHR:2016:389278.20160629
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