Conseil d'État, 9ème SSJS, 30/12/2015, 369215, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SAS Groupe Randstad France, anciennement dénommée SAS Groupe Vedior France, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2000, ainsi que des intérêts de retard correspondants. Par un jugement n° 0705787 du 1er juin 2011, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11VE03411 du 14 février 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a partiellement fait droit à l'appel formé par la SAS Groupe Randstad France contre ce jugement en prononçant une décharge à concurrence de la réintégration d'une somme de 16 690 000 F dans les résultats imposables de la société requérante.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin 2013 et 26 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre délégué chargé du budget demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a prononcé cette décharge ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par la SAS Groupe Randstad France.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la SAS Groupe Randstad France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA Vedior, aux droits de laquelle est venue la SAS Vediorbis, filiale intégrée du groupe SAS Groupe Vedior France, devenu SAS Groupe Randstad France, a procédé, le 31 mars 2000, avec effet rétroactif au 1er janvier 2000, à une opération de fusion-absorption de la société Vedior France. Par deux conventions en date des 30 décembre 1993 et 28 décembre 1994, la société néerlandaise Vendex International NV avait accordé à la société Vedior France deux abandons de créances, assortis d'une clause de retour à meilleure fortune, pour des montants respectifs de 25 et 18 millions de francs. Le premier abandon de créance avait été partiellement remboursé par la société Vedior France avant sa fusion-absorption par la SA Vedior. Le 31 décembre 2000, date de clôture de l'exercice de fusion, la SA Védior a soldé ces créances en effectuant un remboursement de 36 209 000 francs et a procédé à la déduction de cette charge exceptionnelle.

Sur le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget :

2. En premier lieu, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé, par une appréciation souveraine des faits non arguée de dénaturation, qu'en vertu des conventions des 30 décembre 1993 et 28 décembre 1994, les créances résultant des clauses de retour à meilleure fortune en cause ne sont devenues certaines, dans leur principe et leur montant, qu'à la date de la réalisation des conditions posées par ces stipulations. Elle en a déduit sans erreur de droit que le remboursement par la SA Vedior à la société Vendex International NV des créances abandonnées par celle-ci à la société Vedior France constituait pour la société absorbante une charge déductible de ses résultats. Si le ministre soutient que la cour a ainsi méconnu la décision, prise par la société absorbée, de constituer une provision comptable pour tenir compte de la probabilité de retour à meilleure fortune, le moyen manque en fait dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'aucune provision à cette fin n'avait été constituée par la société Vedior France.

3. En second lieu, en estimant que le traité de fusion évaluait à 19 519 000 F les sommes qui seraient dues, au titre des conventions des 30 décembre 1993 et 28 décembre 1994, en cas de retour à meilleure fortune, la cour n'a pas dénaturé les faits. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget, doit être rejeté.

Sur le pourvoi incident de la société Groupe Randstad France :

4. La cour n'a admis la déduction de la charge litigieuse qu'à hauteur de 16 690 000 F, au motif que les commissaires aux fusions avaient évalué l'actif net de la société absorbée en mentionnant, dans le traité de fusion, un montant provisionnel de 19 519 000 F pour tenir compte de l'existence, au 31 décembre 1999, des deux abandons de créances avec clause de retour à meilleure fortune. Toutefois, en l'absence de constitution de provisions au passif de la société absorbée, les sommes litigieuses figurant seulement dans les engagements hors bilan, la cour a commis une erreur de droit en déduisant de cette évaluation que la SA Vedior avait déjà bénéficié, à concurrence de ces sommes, d'une déduction de la charge lui incombant au titre des engagements souscrits par la société Vedior France et qu'elle ne pouvait dès lors prétendre à une nouvelle déduction de ce même montant. Par suite, l'article 4 de l'arrêt attaqué doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi incident.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de l'instruction qu'aucune provision n'a été constituée dans les comptes de la société Vedior France, avant sa fusion-absorption par la SA Vedior, au titre des abandons de créances avec clause de retour à meilleure fortune litigieux. Alors même que le traité de fusion fait référence à un montant provisionnel de 19 519 000 F pour tenir compte de l'existence, au 31 décembre 1999, de ces abandons de créances, aucune dette n'avait à être prise en compte à ce titre dans l'actif net de la société absorbée. La société absorbante était donc en droit de déduire l'intégralité de la charge exceptionnelle résultant, au 31 décembre 2000, du remboursement de ces abandons de créance.

7. Il résulte de ce qui précède que la SAS Groupe Randstad France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des impositions et pénalités en litige.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 7 000 euros à verser à la SAS Groupe Randstad France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 4 de l'arrêt du 14 février 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : La SAS Groupe Randstad France est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2000 ainsi que des intérêts de retard correspondants résultant de la réintégration dans les résultats de la SA Vedior d'une somme de 19 519 000 F. Le jugement du 1er juin 2011 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en ce qu'il a de contraire.
Article 3 : Le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget, est rejeté.
Article 4 : L'État versera à la SAS Groupe Randstad France une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la SAS Groupe Randstad France.

ECLI:FR:CESJS:2015:369215.20151230
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