Conseil d'État, Juge des référés, 30/07/2015, 392043, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une part d'enjoindre à l'administration de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues à la maison d'arrêt de Nîmes, d'autre part, d'enjoindre à la ministre de la justice, garde des sceaux de prendre toutes les mesures nécessaires et de réaliser les travaux afin de lutter efficacement et durablement contre la sur-occupation de la maison d'arrêt de Nîmes, au besoin après l'établissement d'un plan présentant des objectifs chiffrés et datés relatifs au développement de ces mesures ;

Par une ordonnance n° 1502166 du 17 juillet 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a admis les interventions du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France et de l'ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes et a rejeté la demande présentée par la Section française de l'Observatoire international des prisons.

1) Sous le numéro 392043, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 24 et le 29 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle rejette sa demande ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions d'hébergement matérielles et sanitaires des mères avec enfant et de signer une convention avec la protection maternelle et infantile ;

4°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions de détention au sein du quartier disciplinaire afin de les rendre conformes aux exigences élémentaires du respect de la dignité humaine ;

5°) d'enjoindre à l'administration de conclure une convention de partenariat avec l'autorité préfectorale compétente afin d'instruire les demandes d'établissement ou de renouvellement des titres de séjour des personnes détenues de nationalité étrangère ;

6°) d'enjoindre à l'administration d'adopter les mesures d'organisation du service garantissant aux personnes détenues convoquées aux consultations médicales de s'y rendre ;

7°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :

- les conditions d'incarcération sont de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux droits fondamentaux des personnes détenues ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une dénaturation des pièces du dossier dès lors que le juge des référés n'a pas pris en compte les pièces produites par la requérante autre que le rapport de 2012 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits, dès lors que le juge des référés n'a pas tenu compte des faits et a considéré que les conditions de détention au sein de la prison étaient conformes aux exigences conventionnelles découlant des articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit dès lors que le juge a méconnu l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme qui impose à l'administration la réalisation des prescriptions émises par la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public pour protéger la vie des détenus ;
- le juge des référés a dénaturé les écritures de la requérante dès lors qu'il a considéré qu'elle demandé l'injonction de mesures structurelles de réhabilitation insusceptibles d'être prononcées à brefs délais ;
- le juge des référés était compétent pour prononcer les mesures d'injonction demandées par la requérante.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a présenté des observations, enregistrées le 27 juillet 2015.

Par une intervention, enregistrée le 28 juillet 2015, le Syndicat de la magistrature demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que :
- certaines conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles ;
-la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors qu'aucun danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes né d'une carence de l'administration n'est démontré, et qu'en outre des travaux de réfection de l'établissement sont en cours ou programmés ;
- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, au respect de la dignité humaine.


2) Sous le numéro 392044, par une requête enregistrée le 24 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau près la cour d'appel de Nîmes demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'admettre son appel ;

2°) d'annuler l'ordonnance rendue le 17 juillet 2015 par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;

3°) faire droit aux demandes présentées par lui devant le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;

4°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions d'hébergement matérielles et sanitaires des mères avec enfant et de conclure une convention avec la protection maternelle et infantile ;

5°) d'enjoindre à l'administration d'améliorer les conditions de détention au sein du quartier disciplinaire afin de les rendre conformes aux exigences élémentaires du respect de la dignité humaine ;

6°) d'enjoindre à l'administration de conclure une convention de partenariat avec l'autorité préfectorale compétente afin d'instruire les demandes d'établissement ou de renouvellement des titres de séjour des personnes détenues de nationalité étrangère ;

7°) d'enjoindre à l'administration d'adopter les mesures d'organisation du service garantissant aux personnes détenues convoquées aux consultations médicales de s'y rendre.


Il soutient que :
- il a intérêt à relever appel de l'ordonnance du 17 juillet 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'un grand nombre de personnes actuellement détenues de la maison d'arrêt de Nîmes sont confrontées à des conditions de détention méconnaissant les libertés fondamentales consacrées par les articles 2,3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits et d'une erreur de droit, dès lors que le juge des référés a considéré que les conditions de détention au sein de la prison étaient conformes aux libertés fondamentales consacrées par les articles 2,3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales consacrées par les articles 2,3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a présenté des observations, enregistrées le 27 juillet 2015.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2015, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que :
- certaines conclusions présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont irrecevables dès lors qu'elles sont nouvelles ;
- l'appel formé par l'ordre des avocats au barreau de Nîmes est irrecevable dès lors que celui ne justifie d'aucun intérêt particulier à agir ;
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors qu'aucun danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes né d'une carence de l'administration n'est démontré, et qu'en outre des travaux de réfection de l'établissement sont en cours ou programmés ;
- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, au respect de la dignité humaine.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Section française de l'Observatoire international des prisons et l'ordre des avocats au barreau près la cour d'appel de Nîmes, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 29 juillet 2015 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ; avocat de l'Observatoire international des prisons ;

- le représentant de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 30 juillet 2015 à 17 heures ;

Vu le mémoire du 30 juillet 2015 présenté par la garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le mémoire du 30 juillet 2015 présenté par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;


1. Considérant que les requêtes de la Section française de l'observatoire international des prisons et de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes sont dirigées contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

2. Considérant que la Section française de l'observatoire international des prisons a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui demandant de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des détenus de la maison d'arrêt de Nîmes ; que, par une ordonnance du 17 juillet 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; que la Section française de l'observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes relèvent appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d'Etat ;

Sur la recevabilité de l'appel formé par l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes :

3. Considérant qu'eu égard à l'objet et aux caractéristiques du référé liberté, l'intérêt à saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à des conditions particulières et différentes de celles qui s'appliquent pour le référé suspension ;

4. Considérant que l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes qui regroupe des avocats directement appelés à exercer leur office au sein de la maison d'arrêt de Nîmes aurait eu intérêt à saisir le juge des référés du premier degré des conclusions au soutien desquelles il est intervenu ; que son appel est, par suite, recevable ;

Sur l'intervention du Syndicat de la magistrature :

5. Considérant que le Syndicat de la magistrature a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

Sur le cadre juridique du litige :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue " ;

7. Considérant qu'eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ;

8. Considérant que le droit au respect de la vie privée et familiale rappelé notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont bénéficient, compte tenu des contraintes inhérentes à la détention, les personnes détenues, revêt le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque le fonctionnement d'un établissement pénitentiaire ou des mesures particulières prises à l'égard d'un détenu affectent, de manière caractérisée, son droit au respect de la vie privée et familiale dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser l'atteinte excessive ainsi portée à ce droit ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conditions d'intervention du juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative diffèrent selon qu'il s'agit d'assurer la sauvegarde des droits protégés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, et du droit protégé par l'article 8 de la même convention, d'autre part, le paragraphe 2 de ce dernier article prévoyant expressément, sous certaines conditions, que des restrictions puissent être apportées à son exercice ;

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ;

11. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; que le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale ; que, toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ; qu'eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre ; que, dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Considérant que la Section française de l'observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes soutiennent que l'organisation et le fonctionnement de la maison d'arrêt de Nîmes portent, compte tenu en particulier des conditions de détention réservées aux personnes qui s'y trouvent placées, une atteinte grave et manifestement illégale aux droits garantis par les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ils invoquent, à ces différents titres, le taux d'occupation de cet établissement et les conditions de détention en cellule qu'il engendre, la vétusté et l'insalubrité de l'établissement, en général, et des cellules, en particulier, les défaillances de l'établissement au regard de l'exigence de sécurité, notamment en matière de prévention contre le risque d'incendies, les modalités dans lesquelles s'exerce le droit au respect de la vie privée et familiale des détenus, s'agissant, en premier lieu, des conditions dans lesquelles sont maintenus leurs liens familiaux, en deuxième lieu, des conditions d'accès aux activités proposées au sein de la maison d'arrêt et enfin, des conditions de préparation à leur réinsertion ainsi que les dysfonctionnements des services médicaux ;

En ce qui concerne les conclusions tendant à la réalisation de travaux de réfection de la maison d'arrêt de Nîmes, à ce que soient alloués aux services judiciaires et pénitentiaires de Nîmes des moyens financiers, humains et matériels supplémentaires, à ce que soient prises des mesures de réorganisation des services et à ce que soient conclues des conventions avec la protection maternelle et infantile et l'autorité préfectorale :

13. Considérant que, pour faire cesser les atteintes invoquées aux droits découlant des articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Section française de l'observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes demandent qu'il soit enjoint au ministre de la justice, en premier lieu, de prescrire la réalisation des travaux de réfection de la maison d'arrêt de Nîmes qu'appelle le respect des exigences de sécurité, de salubrité et d'intimité qui doit être garanti aux détenus, en deuxième lieu, d'allouer aux services judiciaires et pénitentiaires de Nîmes des moyens financiers, humains et matériels supplémentaires et de prendre les mesures de réorganisation des services de nature à remédier au manque structurel d'activités au sein de l'établissement, aux dysfonctionnements des différents services en charge de la santé des détenus et à favoriser le développement du prononcé des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération et enfin de prescrire la signature de conventions avec la protection maternelle et infantile et l'autorité préfectorale;

14. Considérant qu'eu égard à leur objet, les injonctions sollicitées ne sont pas au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement et à très bref délai ; que, pour les motifs énoncés au point 11 de la présente décision, elles ne relèvent donc pas du champ d'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne les autres conclusions :

S'agissant de la sécurité de l'établissement et de la prévention des risques d'incendies :

15. Considérant que les requérants soutiennent que les défaillances de la maison d'arrêt de Nîmes au regard de l'exigence de sécurité, notamment en matière de prévention contre le risque d'incendies, créent un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes qui y sont détenues ;

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours de l'année 2014, des travaux, d'un montant de près de 40 000 euros ont été réalisés afin d'assurer la sécurisation des équipements électriques et de diminuer les risque d'incendies ; que, le 25 février 2015, la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d'incendie et de panique, a émis un avis favorable à l'exploitation de cet établissement, qui a été versé au dossier ; qu'elle a néanmoins assorti cet avis de sept prescriptions particulières ; qu'en réponse au supplément d'instruction diligenté sur ce point, l'administration pénitentiaire a affirmé que quatre d'entre elles avaient été réalisées ou étaient en cours de réalisation ; qu'eu égard à ces indications, il n'y a pas, en ce qui concerne ces prescriptions, urgence pour le juge des référés à intervenir dans le bref délai prévu par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les trois autres prescriptions relatives respectivement à la dotation de l'accueil des familles d'un moyen d'alarme, à la demande d'autorisation de travaux pour la modification du système sécurité incendie et à la réalisation d'un diagnostic de sécurité sur le désenfumage de la partie hébergement homme aient reçu un commencement d'exécution ; qu'une telle situation, est de nature à engendrer un risque pour la sécurité de l'ensemble des personnes fréquentant l'établissement, constituant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dans des conditions caractérisant une situation d'urgence ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner à l'administration pénitentiaire la mise en oeuvre, dans les meilleurs délais, de ces trois injonctions ;

S'agissant des conditions de détention en cellule :

17. Considérant qu'il résulte de l'article D. 189 du code de procédure pénale qu'" à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ; qu'aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus " ; que pour déterminer si les conditions de détention portent, de manière caractérisée, atteinte à la dignité humaine, il convient d'apprécier, à la lumière des dispositions précitées du code de procédure pénale, l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, le respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, la configuration des locaux, l'accès à la lumière, la qualité des installations sanitaires et de chauffage ;

18. Considérant qu'il résulte de l'instruction, des échanges à l'audience ainsi que du rapport de la visite de l'établissement réalisée du 6 au 9 novembre 2012 que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui a été mis en cause, a versé au dossier que la maison d'arrêt de Nîmes, qui est sous-dimensionnée, est confrontée à un taux de sur occupation particulièrement élevé ; que cette situation entraîne la nécessité d'héberger un troisième détenu dans certaines cellules de 9 m2 conçues pour être occupées par deux personnes ; que selon les termes du rapport du Contrôleur général " si l'on retranche la surface au sol des différents meubles et espaces dédiés aux coins sanitaires et à la literie, seul subsiste un espace disponible de l'ordre de 4 m2 soit 1,33 m2 par personne dans le cas d'une cellule occupée par trois personnes " ; qu'il en est de même s'agissant des cellules conçues pour quatre personnes dans lesquelles sont hébergés six détenus ; qu'à cela s'ajoute la circonstance que la personne ou les personnes hébergées au-delà de la capacité d'accueil normale des cellules sont contraintes de dormir sur un matelas posé à même le sol ; qu'ainsi que le relève le rapport précité : " dans certaines de ces cellules, les détenus ont positionné une armoire au sol sur le côté afin de d'y placer le matelas supplémentaire, ce qui leur évite de dormir par terre, cette solution a cependant pour conséquence de réduire encore plus l'espace disponible dans la cellule " ; que de telles conditions de détention qu'aggravent encore la promiscuité et le manque d'intimité qu'elles engendrent exposent les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à une liberté fondamentale ;

19. Considérant toutefois que le caractère manifestement illégal de l'atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente ; qu'il est vrai, ainsi que le fait valoir l'administration pénitentiaire en défense, que celle-ci ne dispose d'aucun pouvoir de décision en matière de mises sous écrou, lesquelles relèvent exclusivement de l'autorité judiciaire ; qu'une maison d'arrêt est ainsi tenue d'accueillir, quel que soit l'espace disponible dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou ; qu'il résulte en outre de l'instruction que, pour gravement préoccupante qu'elle demeure, la situation de la maison d'arrêt de Nîmes est en voie d'amélioration ; qu'après avoir atteint 216 % en avril 2015, le taux d'occupation est descendu à 199 % à la fin du mois de juillet 2015 ; qu'alors qu'à la date de la visite réalisée en 2012, les contrôleurs avaient compté une quarantaine de matelas au sol, ce nombre est, à ce jour, de 14 ; que selon les explications fournies par l'administration pénitentiaire, cette diminution s'explique par des facteurs d'ordre structurel, les effets de la réforme pénale sur l'octroi de crédits de réduction de peine supplémentaires aux détenus récidivistes ainsi que la politique de transferts organisée par la direction interrégionale afin de soulager la maison d'arrêt de Nîmes ; que, dans ces conditions, la situation d'urgence étant caractérisée, il y a seulement lieu d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l'attente d'une solution pérenne, les conditions matérielles d'installation des détenus durant la nuit ;

20. Considérant enfin que les requérants soutiennent que les conditions de détention font apparaître de graves défaillances en ce qui concerne l'intimité et l'hygiène des détenus ; qu'en premier lieu, si les requérants soutiennent que l'absence de cloisonnement du sol au plafond des toilettes qui se trouvent dans les cellules exposerait, de manière caractérisée, les détenus à un traitement inhumain et dégradant, il ne résulte pas de l'instruction que le dispositif de cloisonnement partiel mis en place porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine ; qu'en effet, l'absence de cloisonnement total, que justifie la nécessité de pouvoir surveiller la totalité de la cellule, ne fait pas obstacle à ce que soit préservée l'intimité des détenus, quelles que soient les regrettables conséquences que ce dispositif entraîne ; qu'en second lieu et en revanche, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que soit effectivement respectée la fréquence à laquelle doivent en principe être distribués aux détenus, qui ont la charge de l'entretien de leurs cellules, les produits nécessaires à cet effet ni celle à laquelle doivent, en principe, être nettoyés les draps et couvertures mis à leur disposition, il y a également lieu, au vu de ces circonstances qui caractérisent une situation d'urgence, d'enjoindre à l'administration de prendre, dans les meilleurs délais, toute mesure de nature à assurer et à améliorer l'accès aux produits d'entretien des cellules et à des draps et couvertures propres ;

21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l'observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le premier juge a rejeté, par l'ordonnance attaquée, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaires de prendre les mesures prescrites aux points 16, 19 et 20 de la présente ordonnance ;

22. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la Section française de l'observatoire international des prisons la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat de la magistrature est admise.
Article 2 : Conformément aux motifs de la présente ordonnance, il est enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre, dans les meilleurs délais, les mesures prescrites aux points 16, 19 et 20 de la présente ordonnance.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de la Section française de l'observatoire international des prisons et de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes est rejeté.
Article 4 : L'ordonnance du 17 juillet 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, à l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes, au Syndicat de la magistrature et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie pour information en sera délivrée au Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

ECLI:FR:CEORD:2015:392043.20150730
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