Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 12/12/2014, 366450, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi, enregistré le 28 février 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11NT02967 du 21 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de la société BMC, annulé le jugement n° 11-4472 du 23 septembre 2011 du tribunal administratif de Nantes ainsi que l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 2 mai 2011 prononçant la fermeture administrative de la discothèque "Le Calysto" pour une durée de six mois ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société BMC ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 novembre 2014, présentée pour la société BMC ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société BMC ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du décès accidentel de Rémy Calmejane, jeune homme disparu dans la nuit du 2 au 3 décembre 2010 après une soirée organisée à Nantes dans la discothèque " Le Calysto " qu'exploite la société BMC, le préfet de la Loire-Atlantique a fait savoir le 25 mars 2011 au gérant de cette société qu'une mesure de fermeture administrative de son établissement était envisagée à la suite des infractions relevées dans le rapport d'enquête et l'a invité à lui faire part de ses observations ; qu'après que le gérant de la société eut présenté des observations orales et écrites, le préfet a, par un arrêté pris le 2 mai 2011, prononcé la fermeture administrative de l'établissement pour une durée de six mois ; que la société BMC a présenté contre cet arrêté un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Nantes, qui a été rejeté par un jugement du 23 septembre 2011 ; que le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, accueillant l'appel de la société BMC, a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté litigieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publique, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois... / 5. Les mesures prises en application du présent article sont soumises aux dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ainsi qu'aux dispositions de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations " ;

3. Considérant que les mesures de fermeture d'un débit de boissons prises par le préfet sur le fondement des dispositions de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ont pour objet de prévenir des désordres liés au fonctionnement de l'établissement et présentent le caractère de mesures de police ; qu'il en est ainsi y compris dans le cas où la fermeture est ordonnée sur le fondement du 1 de cet article, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons et aux restaurants ; que, dès lors, en qualifiant de sanction la mesure ordonnée par l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur l'intervention du syndicat national des discothèques et lieux de loisirs :

5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct (...) " ; que, si le syndicat national des discothèques et lieux de loisirs a déclaré intervenir à l'instance en s'associant à la requête d'appel introduite par la société BMC, il n'a toutefois pas présenté de mémoire distinct ; que, par suite, son intervention ne peut être admise ;

Sur la requête d'appel de la société BMC :

6. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté litigieux énonce avec une précision suffisante qu'il était reproché à la société BMC d'avoir servi de l'alcool à une personne manifestement ivre ; qu'en visant les articles L. 3332-15 et R. 3353-2 du code de la santé publique, il mentionne les dispositions législatives et règlementaires dont il a fait application ; que, par suite, l'arrêté satisfait aux prescriptions de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la fermeture d'un établissement ordonnée par l'autorité compétente sur le fondement de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique constitue toujours une mesure de police administrative ; que la circonstance que les désordres constatés entraînaient un trouble à l'ordre public au sens des dispositions du 2 de cet article n'interdisait pas au préfet de faire application des dispositions du 1, dès lors que ces désordres résultaient d'infractions à la réglementation applicable aux débits de boissons ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, par une lettre du 25 mars 2011, le préfet de la Loire-Atlantique a porté à la connaissance du gérant de la société BMC les infractions commises dans la nuit du 2 au 3 décembre 2010 dans la discothèque " Le Calysto ", telles qu'elles avaient été constatées par l'enquête des services de la direction départementale de la sécurité publique de la Loire-Atlantique et a averti l'intéressé que la fermeture administrative de l'établissement était envisagée et qu'il pouvait présenter des observations écrites et être entendu ; qu'à sa demande, le préfet lui a adressé copie du rapport de police le 18 avril 2011 ; qu'un entretien avec les services préfectoraux a eu lieu le 28 avril 2011 et que le gérant a déposé le lendemain à la préfecture de la Loire-Atlantique des observations écrites ; que la décision attaquée se fonde uniquement sur les éléments des auditions relatées dans le rapport de police communiqué au gérant et a été prise après que les arguments avancés par la société, tirés de ce que la jeune victime avait consommé de l'alcool avant son arrivée dans l'établissement, eurent été portés à la connaissance du préfet ; que les dispositions de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique n'imposaient pas à l'administration de communiquer à la société l'ensemble des pièces de la procédure avant d'ordonner la fermeture de l'établissement ; que, par suite, les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure contradictoire doivent être écartés ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport établi par les services de police le 16 mars 2011 et des procès-verbaux rédigés par des officiers et agents de police judiciaire, que de l'alcool a été servi dans l'établissement à Rémy Calmejane alors qu'il était manifestement ivre ; que le préfet n'a pas donné à ce fait une qualification juridique erronée en estimant qu'il était constitutif de l'infraction prévue par l'article R. 3353-2 du code de la santé publique ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que le 1 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique prévoit qu'une mesure de fermeture d'un établissement motivée par des infractions aux lois et règlements applicables aux débits de boissons et aux restaurants " doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier " ; qu'en application de ces dispositions il appartient au préfet, à la suite de la constatation d'infractions dans un établissement, d'en aviser l'exploitant en l'invitant à produire des observations puis, au vu des explications données, soit de lui notifier une mesure de fermeture, soit de se borner à l'avertir qu'une telle mesure sera prise en cas de nouvelle infraction ; qu'ainsi qu'il a été dit, par sa lettre du 25 mars 2011, le préfet a avisé le gérant de la société BMC qu'une mesure de fermeture administrative était envisagée ; qu'eu égard à la gravité de l'infraction, à la circonstance qu'une infraction de même nature avait déjà été relevée dans l'établissement et aux responsabilités pesant sur les exploitants dans la survenance de ces faits, et alors même qu'aucune poursuite pénale n'avait été engagée, le préfet a fait une exacte application des dispositions du 1 de l'article L. 3332-15 en ne se bornant pas à un avertissement et en prononçant une mesure de fermeture ; qu'il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en fixant la durée de la fermeture à six mois, soit au maximum prévu par ces dispositions ;

11. Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société BMC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 2 mai 2011 prononçant la fermeture administrative de la discothèque " Le Calysto " pour une durée de six mois ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société BMC demande à ce titre ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société BMC la somme demandée par l'Etat au titre des mêmes dispositions pour l'instance d'appel ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention présentée par le syndicat national des discothèques et lieux de loisirs devant la cour administrative d'appel de Nantes n'est pas admise.
Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 décembre 2012 est annulé.
Article 3 : L'appel présenté par la société BMC devant la cour administrative d'appel de Nantes et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Etat devant la cour administrative d'appel de Nantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à la société BMC et au syndicat national des discothèques et lieux de loisirs.

ECLI:FR:CESSR:2014:366450.20141212
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