Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 01/10/2014, 365054, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 janvier et 8 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme B...A..., demeurant... ; Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 12PA00262 du 4 octobre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 1200520/8 du 12 janvier 2012 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2012 du préfet de police l'obligeant à quitter le territoire français, lui refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et la plaçant en rétention et, d'autre part, à l'annulation de cet arrêté ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, modifié notamment par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Leïla Derouich, auditeur,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de MmeA... ;




1. Considérant que la directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres détermine les conditions dans lesquelles ceux-ci peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union européenne ou d'un membre de sa famille ; que l'article 27 de cette directive prévoit que, de manière générale, cette liberté peut être restreinte pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans que ces raisons puissent être invoquées à des fins économiques ; que ce même article prévoit que les mesures prises à ce titre doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées sur le comportement personnel de l'individu concerné, lequel doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ; que l'article 28 de la directive impose la prise en compte de la situation individuelle de la personne en cause avant toute mesure d'éloignement, notamment de la durée de son séjour, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine ; que ce même article prévoit une protection particulière pour les citoyens ayant acquis un droit de séjour permanent, à l'égard desquels des raisons impérieuses d'ordre public ou de sécurité publique doivent être établies, et pour ceux ayant séjourné dans l'Etat membre d'accueil pendant les dix années précédentes ainsi que pour les mineurs, dont l'éloignement doit reposer sur des motifs graves de sécurité publique ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 inséré dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la loi du 16 juin 2011 afin d'assurer la transposition de ces dispositions : "L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : (...) 3° Ou que, pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France, son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. (...) L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine" ;

3. Considérant que ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et notamment de ses articles 27 et 28 mentionnés au point 1 ; qu'il résulte à cet égard des termes mêmes du 3° de l'article L. 511-3-1, qui concerne des ressortissants d'un Etat membre qui ne sont pas entrés en France depuis plus de trois mois, qu'elles ne visent pas les personnes bénéficiant de la protection prévue à l'article 28 de la directive, quant au degré particulier de gravité des motifs d'ordre public dont un Etat membre doit justifier pour pouvoir prendre à leur encontre une mesure d'éloignement ; qu'il appartient néanmoins à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B...A..., de nationalité roumaine, a été interpellée le 8 janvier 2012 et placée en garde à vue pour avoir, en réunion, sollicité le versement de sommes d'argent à l'aide d'une fausse documentation portant l'en-tête d'une association caritative ; que le préfet de police a pris, le 9 janvier 2012, un arrêté l'obligeant à quitter le territoire français, fixant son pays de destination et la plaçant en rétention ; que, par un jugement du 12 janvier 2012, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de cet arrêté ; que Mme A...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 octobre 2012 par lequel la cour administrative de Paris a confirmé ce jugement ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'en s'abstenant de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question de l'interprétation des dispositions des articles 27 et 28 de la directive précitée, la cour administrative d'appel de Paris n'a fait qu'exercer la faculté qui lui est reconnue par les stipulations de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sans méconnaître son office ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que pour confirmer le jugement du tribunal administratif, la cour administrative d'appel a relevé que Mme A...avait été interpellée en compagnie de dix autres personnes, pour des faits " d'escroquerie à la charité publique ", qu'elle avait déjà fait précédemment l'objet de signalements pour des faits similaires et qu'elle ne disposait d'aucun moyen d'existence autre que la mendicité ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...n'a pas, dans ses écritures, contesté la matérialité des faits qui lui étaient reprochés ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait omis de répondre au moyen tiré de ce que la matérialité de ces faits n'était pas établie ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, que devant la cour administrative d'appel, Mme A...ne contestait pas que les faits retenus par le préfet de police s'étaient produits pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France et que sa situation entrait ainsi, en ce qui concerne la durée de son séjour, dans le cas prévu au 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que la cour a relevé que l'intéressée résidait dans un campement dans la commune de La Courneuve, qu'elle ne disposait d'aucun autre moyen d'existence que la mendicité et que, si elle était mère de quatre enfants, l'un d'entre eux seulement était à sa charge ; que, dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit au regard de ces dispositions en tenant compte de l'ensemble des circonstances relatives à la situation particulière de la requérante, en particulier de sa situation familiale et de son intégration sociale en France, pour apprécier la légalité de la décision du préfet de police, notamment son caractère proportionné ;

8. Considérant, enfin, qu'en déduisant de l'ensemble des éléments cités ci-dessus que la présence de Mme A...en France constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique, qui constitue un intérêt fondamental de la société française, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, Mme A...n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'elle attaque ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A...et au ministre de l'intérieur.

ECLI:FR:CESSR:2014:365054.20141001
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