Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 22/02/2010, 320319
Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 22/02/2010, 320319
Conseil d'État - 4ème et 5ème sous-sections réunies
- N° 320319
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
lundi
22 février 2010
- Président
- M. Arrighi de Casanova
- Rapporteur
- M. Philippe Barbat
- Avocat(s)
- SCP ANCEL, COUTURIER-HELLER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 3 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS), dont le siège est 3, rue Michel-Ange à Paris (75794 Cedex 16), l'UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE, dont le siège est 4 place Jussieu à Paris (75005), Mme Geneviève B, demeurant 11, rue Charpentier à Bourg-la-Reine (92340), Mme Amena D, demeurant ... et M. Pascal A, demeurant ... ; le CNRS et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 11 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Paris, appréciant sur renvoi de l'autorité judiciaire la légalité du règlement de travail interne au laboratoire d'imagerie paramétrique de l'Université Pierre et Marie Curie, a déclaré que ce règlement est entaché d'illégalité ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de M. C la somme de 500 euros à verser à chacun des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 février 2010, présentée par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Barbat, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE et autres,
- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE et autres ;
Considérant qu'à l'occasion d'un litige porté devant les juridictions judiciaires et opposant le CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS) à M. C quant à la propriété d'un brevet déposé par ce dernier en 1997, à la suite d'une invention qu'il avait réalisée dans le cadre de sa préparation, non rémunérée, d'un diplôme d'études approfondies, effectuée au sein de l' unité mixte de recherche constituée par le CNRS et l'université Pierre et Marie Curie, et dénommée laboratoire d'imagerie paramétrique , la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 12 septembre 2007, a enjoint à M. C de saisir la juridiction administrative afin qu'elle apprécie la légalité de l'article 3 du règlement intérieur de ce laboratoire, en tant qu'il prévoit que les brevets correspondant aux inventions réalisées par les étudiants et les stagiaires au sein de ce laboratoire, seront la propriété du CNRS ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déclaré ce règlement illégal ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 3 du règlement de travail interne au laboratoire d'imagerie paramétrique de l'Université Pierre et Marie Curie, relatif notamment aux obligations des étudiants et stagiaires : Dans le cas où les travaux poursuivis permettraient la mise au point de procédés de fabrication ou techniques susceptibles d'être brevetés, les brevets, connaissances ou développements informatiques seront la propriété du CNRS ;
Considérant que cette disposition, qui édicte une règle générale et impersonnelle s'imposant à l'ensemble des étudiants accueillis en stage au sein de ce laboratoire, présente un caractère réglementaire ; que la circonstance que M. C a apposé, sur un exemplaire de ce règlement, sa signature au bas d'une formule indiquant qu'il attestait en avoir pris connaissance et déclarait s'y conformer, ne saurait avoir ôté aux dispositions en cause le caractère d'un acte administratif réglementaire pour en faire un contrat de cession de droits de propriété intellectuelle ; qu'ainsi, il appartient au juge administratif de se prononcer sur la question préjudicielle qui lui est soumise par l'autorité judiciaire ;
Sur la légalité du règlement litigieux :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 611-6 du code de la propriété intellectuelle : Le droit au titre de propriété industrielle (...) appartient à l'inventeur ou à son ayant cause. ; qu'aux termes de l'article L. 611-7 du même code : Si l'inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle (...) est défini selon les dispositions ci-après : / 1. Les inventions faites par le salarié dans l'exécution soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. (...) / 5. Les dispositions du présent article sont également applicables aux agents de l'Etat, des collectivités publiques et de toutes autres personnes morales de droit public (...) ; et qu'aux termes de l'article L. 811-1 du code de l'éducation : Les usagers du service public de l'enseignement supérieur sont les bénéficiaires des services d'enseignement, de recherche et de diffusion des connaissances et, notamment, les étudiants inscrits en vue de la préparation d'un diplôme (...) ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la propriété des inventions faites par les étudiants non rémunérés, qui ont la qualité d'usagers du service public, ne saurait être déterminée en application des dispositions de l'article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle, lesquelles sont applicables aux seuls salariés et agents publics ; qu'elle relève donc de la règle posée par l'article L. 611-6 du même code attribuant cette propriété à l'inventeur ou à son ayant cause ; qu'en énonçant néanmoins que les brevets correspondant aux inventions réalisées par les étudiants au sein du laboratoire d'imagerie paramétrique , seraient la propriété du CNRS, le directeur du laboratoire d'imagerie paramétrique a conféré au CNRS la qualité d'ayant-cause des étudiants, au sens des dispositions de l'article L. 611-6 du même code, alors qu'il ne tenait d'aucun texte, ni d'aucun principe, le pouvoir d'édicter une telle règle ; que, dès lors, le CNRS et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a déclaré que les dispositions en litige étaient entachées d'illégalité ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent le CNRS et autres au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacun des requérants une somme de 400 euros à verser à M. C au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE et autres est rejetée.
Article 2 : Le CNRS, l'UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE, Mme B, Mme Amena D et M. A verseront à M. C la somme de 400 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au directeur général du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE, au président de l'UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE, à Mme Geneviève B, à Mme Amena D, à M. Pascal A et à M. Michel C.
Copie en sera adressée pour information à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.