Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 07/12/2009, 315588

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril et 24 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Sobhy A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 25 février 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à la requête de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A., d'une part, a annulé le jugement du 20 mars 2007 du tribunal administratif de Strasbourg annulant la décision du 18 janvier 2005 de l'inspecteur du travail de la 1ère section de Strasbourg autorisant le licenciement de M. A, d'autre part, a rejeté les conclusions de ce dernier présentées devant le tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête d'appel de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Bethânia Gaschet, Auditeur,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. A et de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A.,

- les conclusions de M. Yves Struillou, rapporteur public,

- la parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. A et à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. ;



Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il appartient à l'inspecteur du travail et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte chacune des fonctions représentatives du salarié et que, par suite, il appartient à l'employeur de porter à sa connaissance l'ensemble des mandats détenus par l'intéressé ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la demande d'autorisation de licenciement de M. A adressée à l'inspecteur du travail par la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. mentionnait sa qualité de délégué du personnel suppléant alors qu'il avait été élu en tant que délégué du personnel titulaire ; que l'inspecteur du travail a visé dans sa décision autorisant le licenciement de M. A cette même qualité de délégué du personnel suppléant ; qu'il n'a donc pas été mis à même de procéder aux contrôles qu'il était tenu d'exercer compte tenu notamment des exigences propres au mandat de délégué du personnel titulaire de l'intéressé ; que, par suite, en jugeant que la mention, sur la décision de l'autorité administrative, d'un mandat de délégué du personnel suppléant résultait d'une erreur de plume au motif que l'inspecteur du travail avait eu connaissance du mandat de délégué du personnel titulaire de M. A, et alors que la demande d'autorisation de licenciement adressée par l'employeur était entachée de la même erreur, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que, dès lors, M. A est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond ;

Sur les conclusions de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. tendant à l'annulation du jugement du 20 mars 2007 du tribunal administratif de Strasbourg :

Considérant, ainsi qu'il a été dit, que la demande d'autorisation de licenciement et la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié protégé doivent porter mention de chacun des mandats détenus par l'intéressé ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement de M. A comme la décision de l'inspecteur du travail de la 1e section de Strasbourg autorisant son licenciement mentionnaient sa qualité de délégué du personnel suppléant et non titulaire ; que l'inspecteur du travail n'a donc pas été mis à même de procéder aux contrôles qu'il était tenu d'exercer compte tenu notamment des exigences propres au mandat de délégué du personnel titulaire de l'intéressé ; que, dès lors, la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 18 janvier 2005 de l'inspecteur du travail de la 1e section de Strasbourg ;

Sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg :

Considérant que, dès lors qu'il est statué sur la requête au fond de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A., ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg sont devenues sans objet ; qu'il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur ces conclusions ;


Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des héritiers de M. A, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des héritiers de M. A et de mettre à la charge de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. la somme de 4 000 euros au titre des frais de même nature exposés par eux devant la cour administrative d'appel de Nancy et devant le Conseil d'Etat ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 février 2008 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu à statuer sur les conclusions de la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. tendant au sursis à exécution du jugement du 20 mars 2007 du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 4 : La société Alcatel Lucent Enterprise SA versera aux héritiers de M. A la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Angelika B, à M. Benjamin A, à Mlle Olivia A, à M. Christian A, à la société Alcatel Lucent Enterprise S.A. et au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.

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