Conseil d'Etat, 8ème et 3ème sous-sections réunies, du 25 mai 2005, 274683, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°), sous le n° 274683, la requête, enregistrée le 29 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE, dont le siège est à Huez-en-Oisans (383875) ; la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 27 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint de libérer les locaux situés dans le palais des sports et des congrès de la commune d'Huez-en-Oisans dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette ordonnance ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit aux conclusions qu'elle a présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Huez-en-Oisans une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 274684, la requête, enregistrée le 29 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE, dont le siège est à Huez-en-Oisans (383875) ; la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE demande au Conseil d'Etat de surseoir à l'exécution de l'ordonnance du 27 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint de libérer les locaux situés dans le palais des sports et des congrès de la commune d'Huez-en-Oisans dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette ordonnance ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 et le décret du 26 octobre 1849 réglant les formes de procéder au Tribunal des conflits, modifiés et complétés, notamment, par le décret n° 60-728 du 25 juillet 1960 ;

Vu le décret du 17 juin 1938 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yohann Bénard, Auditeur,

- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE et de Me Le Prado, avocat de la commune d'Huez-en-Oisans,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre une même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que la commune d'Huez-en-Oisans a conclu avec la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE, le 3 mai 1994, une convention autorisant cette société à exploiter deux salles de cinéma et une salle de régie cinématographique situées dans l'immeuble abritant le palais des sports et des congrès municipal ; que cette convention étant venue à expiration le 31 décembre 2002, la commune a demandé à la société, le 22 avril 2003, de libérer les lieux à compter du 10 novembre 2003 ; que la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 27 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble lui a enjoint, sur la demande de la commune, de libérer les locaux qu'elle occupait dans un délai de quinze jours ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE a, postérieurement à la date d'introduction des requêtes, libéré les locaux qu'elle occupait dans l'immeuble abritant le palais des sports et des congrès de la commune ; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance attaquée ; qu'en revanche, cette circonstance ne rend pas sans objet les conclusions tendant à l'annulation de cette ordonnance ; que, dès lors, la commune d'Huez-en-Oisans n'est pas fondée à soutenir qu'il n'y aurait pas lieu de statuer sur ces dernières conclusions ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ;

En ce qui concerne la compétence de la juridiction administrative et la domanialité publique des locaux en cause :

Considérant, en premier lieu, qu'il appartient au juge administratif, en l'absence de toute contestation portant sur les titres de propriété, de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, même en l'absence d'acte administratif de délimitation ; que la circonstance que le tribunal de grande instance de Grenoble a décidé que le contrat conclu le 3 mai 1994 entre la commune et la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE présentait le caractère d'un bail commercial régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce ne saurait en elle-même faire obstacle à ce que la juridiction administrative se prononce en référé sur l'inclusion d'un bien immobilier dans le domaine public, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le jugement rendu par la juridiction judiciaire le 1er décembre 2003, frappé d'appel, n'était pas passé en force de chose jugée à la date de la décision attaquée ; que, par suite, la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble aurait entaché son ordonnance d'une erreur de droit faute de s'être conformé à l'autorité de la chose jugée par la juridiction judiciaire ;

Considérant, en deuxième lieu, que la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait entaché son ordonnance d'erreur de droit en s'abstenant de soumettre le litige au Tribunal des conflits dès lors, d'une part, que les dispositions de l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée font obstacle à la mise en oeuvre, par le juge administratif, de la procédure d'élévation du conflit qu'elles organisent, et d'autre part, que la contrariété de jugements dont se prévaut la société n'est pas au nombre des cas de conflit négatif visés à l'article 34 du décret du 26 octobre 1849, modifié et complété par le décret du 25 juillet 1960 ;

Considérant, en troisième lieu, que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le palais des sports et des congrès de la commune d'Huez-en-Oisans était un bâtiment unique dont les différentes parties étaient desservies par des escaliers et ascenseurs communs, et qu'eu égard à la configuration des lieux, les locaux à usage de cinéma occupés par la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE ne pouvaient être regardés, en l'espèce, comme divisibles du reste de l'immeuble ; qu'en déduisant de ces constatations que, dès lors que l'immeuble qui les abritait, qui appartenait à la commune, était dans son ensemble affecté à un service public en vue duquel il avait été spécialement aménagé, ces locaux devaient être regardés comme une dépendance du domaine public communal, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a exactement qualifié les faits qu'il avait souverainement appréciés, et n'a pas commis d'erreur de droit ;

En ce qui concerne le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

Considérant que lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il appartient au juge des référés de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que, s'agissant de cette seconde condition, dans le cas où la demande d'expulsion fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler le titre dont bénéficiait l'occupant et où, alors que cette décision exécutoire n'est pas devenue définitive, celui-ci en conteste devant lui la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu tant de la nature que du bien-fondé des moyens ainsi soulevés à l'encontre de cette décision, la demande d'expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse ;

Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE soutient que la mesure d'expulsion demandée au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble était dépourvue d'utilité, dès lors que le tribunal de grande instance de Grenoble avait, par un jugement du 1er décembre 2003, fixé les conditions dans lesquelles la société devait libérer les locaux à usage de cinéma qu'elle occupait ; que, toutefois, dès lors qu'il ressort des énonciations de ce jugement que le tribunal de grande instance de Grenoble a, jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur l'indemnité d'éviction éventuellement due, autorisé la société à se maintenir dans les lieux, l'intervention de ce jugement n'a pu en tout état de cause priver, à elle seule, d'utilité la mesure d'injonction demandée au juge des référés ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en jugeant établie l'urgence à obtenir la libération des locaux en cause aux motifs, d'une part, que les salles de cinéma avaient été affectées à un nouveau cocontractant par une convention du 18 décembre 2003 dont les stipulations conféraient à l'exploitation, à compter de cette date, le caractère d'un service public, et d'autre part, que le maintien de la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE dans les lieux compromettait le déroulement d'une manifestation récréative importante pour la station, programmée du 18 au 23 janvier 2005, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble s'est livré à une appréciation souveraine des faits qui lui étaient soumis, exempte de dénaturation, et n'a pas commis d'erreur de droit ; que, de même, c'est sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les pièces du dossier que le premier juge a écarté l'argumentation tirée de ce que la date de signature du nouveau contrat d'occupation des lieux aurait été fixée au 18 décembre 2003 dans le seul but de faire obstacle à la décision par laquelle le tribunal de grande instance de Grenoble avait estimé que les locaux en cause relevaient du domaine privé de la commune, et qu'en conséquence, l'urgence à obtenir la libération des lieux était imputable à la commune ;

Considérant, en troisième lieu, que pour contester la validité de la décision de non-renouvellement qui lui avait été opposée, la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE a fait valoir devant le juge des référés, d'une part, que le contrat en litige avait, ainsi qu'il ressortait du jugement du 1er décembre 2003 du tribunal de grande instance de Grenoble, le caractère d'un bail commercial et ne comportait aucune clause exorbitante du droit commun, et d'autre part, que les locaux à usage de cinéma en cause n'avaient à aucun moment été affectés au service public depuis qu'elle les occupait, n'avaient fait l'objet de la part de la commune d'aucun aménagement spécial, et enfin, n'étaient pas indivisibles des autres parties du bâtiment qui les abritait et ne constituaient pas davantage l'accessoire du palais des sports et des congrès de la commune ; que, toutefois, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le contrat liant la commune à la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE portait occupation d'une dépendance du domaine public, il s'en déduit qu'il revêtait le caractère d'un contrat administratif, dont il appartient à la juridiction administrative de connaître, en application des dispositions de l'article 1er du décret du 17 juin 1938, sans que les circonstances ainsi invoquées par la société, à les supposer établies, soient susceptibles d'y faire obstacle ; que, par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit ni dénaturer les faits qui lui étaient soumis que le juge des référés, après avoir relevé que ce contrat portait occupation du domaine public, était venu à expiration à la fin de l'année 2002 et ne comportait aucune clause de tacite reconduction, a pu estimer que la décision prise par la commune de ne pas le renouveler ne se heurtait à aucune contestation sérieuse ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Huez-en-Oisans, qui dans la présente instance n'est pas la partie perdante, la somme que demande la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société la somme que demande la commune d'Huez-en-Oisans au titre des mêmes dispositions ;


D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance du 27 octobre 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble.

Article 2 : La requête de la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune d'Huez-en-Oisans au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES CINEMAS HUEZ CHAMROUSSE et à la commune d'Huez-en-Oisans.


Retourner en haut de la page