Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 mars 2017, 15-85.929, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° M 15-85.929 F-P+B

N° 437

ND
22 MARS 2017


REJET


M. GUÉRIN président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :


REJET des pourvois formés par M. [X] [C], M. [F] [T], contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 11 septembre 2015, qui, pour abus de confiance, les a condamnés chacun à un an d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale :

"en ce que la cour d'appel a infirmé le jugement et déclaré M. [C] et M. [T] coupable d'abus de confiance ;

"aux motifs que le ministère public requiert réformation du jugement entrepris, déclaration de culpabilité et condamnation, d'une part, de M. [F] [T], à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros, d'autre part, de M. [X] [C], à la peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 20 000 euros ; que les deux prévenus font plaider confirmation de la décision de renvoi des fins de la poursuite dont ils ont bénéficié en première instance ; qu'aux termes de l'article 314-1 du code pénal "l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé" ; qu'il est de principe que par "bien quelconque" il faut entendre tout bien susceptible d'appropriation de nature corporelle ou incorporelle ; qu'ainsi en est-il, s'agissant de cette dernière hypothèse, de la clientèle, étant rappelé que celle-ci constitue un élément important du fonds de commerce d'une société commerciale, car ayant une valeur patrimoniale, élément qui peut être cédé mais aussi détourné ; qu'il est pareillement de principe que les employés d'une société commerciale, seulement dépositaires des informations concernant les clients de leur employeur, peuvent faire l'objet de poursuites du chef d'abus de confiance s'ils utilisent lesdites informations à leur profit personnel ou pour une structure qu'ils ont créée pour détourner cette clientèle, l'absence de détournement préalable de fichiers électroniques ou de tout autre support écrit relatifs à la clientèle étant indifférente ; que, contrairement à ce qui a été soutenu, d'une part, la présence ou non d'une clause de non concurrence valide est sans effet sur le caractère répréhensible de tels agissements de détournement d'informations relatives à la clientèle, d'autre part, il n'est pas exigé que de tels agissements interviennent en cours d'exécution d'un contrat de travail ; que les deux prévenus soutiennent encore devant la cour que les témoignages des divers membres du personnel de SCT, ci-avant rapportés, seraient faux car faits sous la pression de la partie civile, M. [C] ajoutant que plusieurs des témoins étaient à ce moment là en train de négocier leur licenciement, leurs attestations en faveur de la partie civile leur ayant permis de bénéficier d'un protocole transactionnel avantageux ; qu'il y a lieu d'observer que crédit doit être accordé aux déclarations ainsi recueillies par les services de police en exécution d'une commission rogatoire, confirmatives et venant en complément des attestations initiales, en ce qu'elles font état de circonstances précises, sont convergentes et émanent de personnes qui pour la plupart n'avaient plus de lien contractuel avec la partie civile depuis plus d'un an au moment de leur audition ; que cela est d'autant plus assuré que les témoins déclarent, en toute objectivité, qu'ils n'ont jamais assisté à la captation ou au copiage de fichiers clients de la part des deux prévenus, ce qui à l'évidence va rencontre de la thèse présentée par la partie civile ; que, par ailleurs, M. [C] est mal venu à soutenir que par le biais d'indemnités de licenciement "alléchantes" la partie civile a réussi à soudoyer certains témoins, étant relevé que la lecture de divers courriers et courriels (ex ; D842, D846, D847, D848, D850, etc....) destinés à sa hiérarchie enseigne non seulement qu'il était à l'origine du licenciement d'un certain nombre d'employés de SCT, en plus de celui de M. [T] provoqué dés le 14 mars 2005, mais aussi qu'il prévoyait les conditions des transactions à venir ; que son allégation de corruption est fortement contrariée s'agissant, notamment, de Mme [I] [H] en ce que celle-ci a été contrainte d'assigner SCT en référé devant le Conseil des prud'hommes de Marseille pour obtenir exécution sous astreinte du protocole d'accord intervenu le 21 décembre 2005 ; que la réalité des détournements objet des présentes poursuites ressortant de ces témoignages, tenus pour crédibles, est corroborée par les constatations matérielles réalisées par huissier de justice aux termes desquelles sur 129 contrats signés par Vertigo telecom, 47 l'ont été, de mars à décembre 2005, avec des sociétés jusque-là clientes de SCT qui avaient été démarchées pour le compte de SCT par M. [T] lui-même mais aussi par Mme [A] [B], MM. [O] [Z] et [X] [K], commerciaux au sein de cette dernière ; qu'au demeurant, M. [T], qui, et cela doit être souligné, n'a pas attendu la rupture effective de son contrat de travail (survenue le 8 avril 2005) pour créer Vertigo telecom (statuts signés le 31 mars et enregistrés le 1er avril) a parfaitement reconnu cette captation d'une partie de la clientèle de SCT n'hésitant pas d'ailleurs selon les témoignages, pour parvenir à cette fin, à faire croire que Vertigo telecom avait remplacé SCT après fusion ; que M. [C] a largement contribué à cette entreprise de captation de clientèle en ce qu'il est établi :
- qu'il a donné pour consignes d'abandonner le suivi des clients répertoriés dans le portefeuille de M. [T], de ne plus contacter en particulier les gros clients, de ne pas contacter les clients de Vertigo telecom et de répondre à la clientèle potentielle de Vertigo telecom que SCT ne pratiquait pas de meilleur tarif,
- qu'il est à l'origine de l'instauration à partir de l'été 2005 d'une période d'essai de deux mois pour tous les contrats SCT, ce qui permettait un "glissement" facile vers Vertigo telecom, l'enquête ayant établi que cette possibilité de résiliation anticipée n'existait pas antérieurement chez SCT ; que M. [C], eu égard aux déclarations convergentes des témoins, à son comportement d'opposition aux investigations de l'huissier de justice dûment mandaté par décision de justice, longuement stigmatisé par procès-verbal (D424 et D425), à la nature des documents trouvés à son domicile à cette occasion et lors de la perquisition effectuée ensuite par les services de police, documents intéressant la société Vertigo Telecom et à qualifier d'opérationnels en terme de gestion, et à l'utilisation d'un véhicule appartenant à cette société, ne saurait sérieusement soutenir n'avoir été qu'un simple apporteur d'affaires pour celle-ci, étant déplus à ajouter à ces éléments tous les efforts qu'il a déployés pour essayer de convaincre les divers personnels de SCT de travailler pour la nouvelle société n'hésitant pas à leur faire croire que SCT allait être rachetée par 9 Telecom et que l'agence SCT de Marseille allait fermer ; qu'il peut être considéré qu'il s'est agi en l'espèce de la mise à exécution d'un pacte frauduleux, préalablement convenu entre MM. [T] et [C], aux fins de dépouiller SCT d'une partie de sa clientèle au profit d'une nouvelle entité commerciale créée à dessein, chaque prévenu ayant alors un rôle bien défini à jouer dans cette mise à exécution, le premier acte de cette opération étant le licenciement de M. [T] initié par M. [C] ; qu'en l'état de tout ce qui précède, qu'il convient de réformer le jugement dont appel et de déclarer MM. [T] et [C] coupables du délit d'abus de confiance dans les termes de la prévention" ;

"1°) alors que, seules les informations relatives à la clientèle et susceptibles d'une appropriation peuvent faire l'objet d'un détournement au sens de l'article 314-1 du code pénal ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, sans violer ce texte, juger que par "bien quelconque", il faut entendre tout bien susceptible d'appropriation et qu'il en va de la clientèle, laquelle est exclue du champ d'application de ce texte ;

"2°) alors qu'en relevant, pour déclarer les demandeurs coupables d'abus de confiance, que cette qualification est applicable dès lors que le prévenu utilise les informations sur la clientèle, même en l'absence de détournement préalable de fichiers électroniques ou tout autre support écrit relatif à la clientèle, sans expliquer en quoi les informations litigieuses étaient susceptibles d'appropriation et en quoi les prévenus, à qui aucune clause de non concurrence n'était imposée, les auraient frauduleusement utilisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"3°) alors que la clientèle n'est pas susceptible de détournement au sens de l'article 314-1 du code pénal ; qu'il appartient ainsi aux juges du fond d'expliquer en quoi ce sont les informations relatives à la clientèle, et non à la clientèle elle-même, qui ont été détournées au sens de ce texte ; qu'en se bornant, pour déclarer les prévenus coupables, à relever que de telles informations ont été ultérieurement utilisées par la structure créée par les salariés licenciés, sans identifier les informations litigieuses ni s'en expliquer davantage, la cour d'appel, dont les motifs se bornent à établir un détournement de clientèle et non un détournement d'informations relatives à la clientèles, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ;

"4°) alors qu'en se bornant à déduire l'utilisation des informations relatives à la clientèle de la seule création par les salariés licenciés d'une structure prétendument destinée à la détourner, lorsque ces circonstances sont inopérantes à établir un détournement de clientèle non constitutif d'un abus de confiance, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'infraction poursuivie, a de plus fort privé sa décision de base légale" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société commerciale de télécommunications (SCT), courtier en fourniture de services téléphoniques, a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef d'abus de confiance à l'encontre de M. [C], directeur d'agence au sein de la société de février 2003 jusqu'à son licenciement le 30 janvier 2006, dénonçant des faits de détournement de clientèle commis par celui-ci ainsi que par la société Vertigo Telecom gérée par l'un de ses anciens salariés, M. [T] ; qu'après un arrêt de non-lieu de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, cassé par la Cour de cassation, MM. [C] et [T] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, du chef d'abus de confiance, pour avoir détourné, au profit de la société Vertigo Télécom, partie de la clientèle de la SCT ; que les juges du premier degré ont relaxé les prévenus ; que le procureur de la République et la partie civile ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables d'abus de confiance, l'arrêt retient, notamment, que les employés d'une société commerciale, dépositaires des informations sur les clients de celle-ci, peuvent être poursuivis pour abus de confiance s'ils utilisent ces informations à leur profit personnel ou pour une structure qu'ils ont créée pour détourner cette clientèle, qu'importent peu l'absence de détournement préalable de fichiers électroniques ou de tout autre support écrit, l'existence ou non d'une clause de non-concurrence et le fait que les agissements interviennent dans le cadre d'un contrat de travail, qu'il doit être accordé crédit aux témoignages des membres du personnel de la SCT, leur corruption alléguée devant être écartée, que la réalité des détournements ressort de ces témoignages, que 47 des 129 contrats signés par la société Vertigo Telecom l'ont été avec des sociétés alors clientes de la SCT, que M. [T], qui n'a pas attendu la rupture effective de son contrat de travail pour créer sa société, la présentant comme remplaçant la SCT après fusion, a reconnu cette captation de clientèle, que M. [C] a largement contribué à cette captation par ses consignes concernant les clients répertoriés et la mise en place de procédés contraires aux intérêts de son employeur et qu'il s'est agi de l'exécution d'un pacte frauduleux convenu entre les prévenus aux fins de dépouiller la SCT d'une partie de sa clientèle au profit d'une nouvelle société ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, constitue un abus de confiance le fait, pour une personne, qui a été destinataire, en tant que salariée d'une société, d'informations relatives à la clientèle de celle-ci, de les utiliser par des procédés déloyaux dans le but d'attirer une partie de cette clientèle vers une autre société ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 2 000 euros la somme globale que MM. [C] et [T] devront payer à la société commerciale de télécommunication au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.ECLI:FR:CCASS:2017:CR00437
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