Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 21/10/2020, 434512
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 21/10/2020, 434512
Conseil d'État - 8ème - 3ème chambres réunies
- N° 434512
- ECLI:FR:CECHR:2020:434512.20201021
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
21 octobre 2020
- Rapporteur
- M. Alexandre Koutchouk
- Avocat(s)
- SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Société Nouvelle Cap Management (SNCM) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1308441 du 8 octobre 2015, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15VE03250 du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société SNCM contre ce jugement.
Par une décision n° 410166 du 26 juillet 2018, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, sur pourvoi de la société SNCM, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 18VE02721 du 11 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, a rejeté l'appel formé par la société SNCM.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre et 11 décembre 2019 et le 8 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SNCM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Nouvelle Cap Management ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de la restructuration du groupe à la tête duquel la Société Nouvelle Cap Management (SNCM) a été placée, M. A... a apporté à cette société, le 4 février 2008, les 1 319 titres qu'il détenait dans la société à responsabilité limitée (SARL) Cap Management, correspondant à la moitié du capital social de cette dernière, dont il était l'un des deux gérants. Conformément au protocole d'accord conclu le 2 octobre 2007 entre toutes les parties au processus de restructuration, ces titres ont été évalués forfaitairement à un montant de 500 000 euros et ont été inscrits pour cette valeur à l'actif du bilan de la société bénéficiaire. À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que cet apport avait été sous-évalué, au regard du prix de 1 387 400 euros payé par la société requérante, le 7 mars 2008, pour l'acquisition auprès de M. B..., l'autre gérant, des 1 319 autres titres de la société Cap Management, auquel s'était ajouté un complément de prix, d'un montant de 550 000 euros, payé en 2009. Compte tenu de la discordance constatée entre la valeur d'apport des titres de M. A... et le coût d'acquisition des titres détenus en nombre égal par M. B..., elle a regardé cette opération comme constitutive d'une libéralité à concurrence de la somme résultant de cette discordance, soit 1 437 400 euros. Elle a, par conséquent, assujetti la société SNCM à un rehaussement d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008, procédant de la réintégration de cette somme dans ses bénéfices sur le fondement du 2 de l'article 38 du code général des impôts. Par une décision du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt du 28 février 2017 de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant l'appel formé par la société SNCM contre le jugement du 8 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires litigieuses et lui a renvoyé l'affaire. La société SNCM se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, a de nouveau rejeté sa demande.
2. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés (...) ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition (...) ; / b. Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale ; / c. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que si les opérations d'apport sont, en principe, sans influence sur la détermination du bénéfice imposable, tel n'est toutefois pas le cas lorsque la valeur d'apport des immobilisations, comptabilisée par l'entreprise bénéficiaire de l'apport, a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l'apporteur à l'entreprise bénéficiaire. Dans une telle hypothèse, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine des immobilisations apportées à l'entreprise pour y substituer leur valeur vénale, augmentant ainsi l'actif net de l'entreprise dans la mesure de l'apport effectué à titre gratuit. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale du bien apporté et, d'autre part, d'une intention, pour l'apporteur, d'octroyer et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour constater l'existence d'un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale des titres apportés par M. A..., la cour s'est contentée de relever, d'une part, que la valeur d'apport des 1 319 titres de M. A... avait été forfaitairement évaluée à 500 000 euros et, d'autre part, que le prix d'acquisition par la société requérante des 1 319 autres titres détenus par M. B... s'était élevé à un montant de 1 387 400 euros majoré d'un complément de prix de 550 000 euros, sans se prononcer, alors qu'elle y était expressément invitée par la société requérante, sur l'incidence qu'aurait pu avoir, sur la valeur des titres de M. B... comme sur celle de M. A..., le contexte dans lequel se sont déroulées les opérations litigieuses et, en particulier, tant l'éventualité que la société ait pu majorer le prix payé à M. B... pour obtenir que celui-ci quitte rapidement le capital des sociétés du groupe et sa gouvernance, que la possibilité que M. A... ait été dans l'obligation de minorer la valeur d'apport de ses titres afin de se conformer au souhait de ses deux nouveaux associés d'apporter chacun en numéraire une même somme de 500 000 euros. La cour a ainsi insuffisamment motivé son arrêt, qui, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, doit être annulé.
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.
5. La valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession ou l'apport est intervenu. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Cap Management, détenue à parts égales par ses deux créateurs et dirigeants, MM. A... et B..., et dont le portefeuille était constitué de participations majoritaires dans ses deux filiales, les sociétés GMS et Extendis, a fait l'objet d'un processus de restructuration au terme duquel elle a d'abord acquis le solde du capital de ses deux filiales auprès de leurs autres associés, incluant un prix payé à M. B... de 505 350 euros. Dans un deuxième temps, la SNCM, société holding nouvellement créée a, d'une part, bénéficié de l'apport des 1 319 titres de la société Cap Management détenus par M. A... valorisés forfaitairement à hauteur de 500 000 euros et d'une augmentation de capital en numéraire d'un million d'euros souscrite à parts égales par les deux nouveaux associés de M. A... et, d'autre part, acquis ensuite les 1 319 autres titres de la société Cap Management, détenus par M. B..., pour un prix de 1 387 400 euros majoré d'un complément de prix de 550 000 euros, soit 1 937 400 euros.
7. Il s'en déduit que, pour obtenir le contrôle de l'intégralité du capital de la société Cap Management, après acquisition du solde du capital de ses filiales, la société SNCM, procédant en partie par apport des 1 319 titres de M. A... pour 500 000 euros et, pour le solde, par achat des 1 319 titres de M. B... pour 1 937 400 euros, a valorisé cette société à un montant total de 2 437 400 euros, inégalement réparti entre ses deux associés d'origine. Cette opération a notamment été rendue possible par les apports en numéraire, à hauteur d'un million d'euros, des deux nouveaux actionnaires de la SNCM, jusque-là dénués de tout intérêt dans le groupe Cap Management, qui ont ainsi manifesté leur accord sur la valorisation de la société SNCM et, par voie de conséquence, sur l'évaluation de son seul actif non monétaire, la société Cap Management, à la valeur de 2 437 400 euros inscrite au bilan de la SNCM. Il en résulte que cette valeur globale, seule significative pour ces apporteurs de capitaux, indépendamment de sa répartition en deux parts inégales, est aussi voisine que possible de celle qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où l'apport est intervenu.
8. Dès lors, si l'administration était fondée à considérer qu'il existait une discordance significative entre la valeur d'apport des titres de M. A..., soit 500 000 euros, et la valeur vénale de ces titres représentant la moitié du capital social, celle-ci doit néanmoins être établie à hauteur de la différence entre cette valeur d'apport et la moitié des rémunérations exposées par les associés de la SNCM pour obtenir l'entier contrôle de la société Cap Management, soit 718 700 euros.
9. En second lieu, pour combattre la présomption d'une intention libérale dans l'apport consenti à la société SNCM par M. A..., qui était le dirigeant social de la SNCM, ce qui suffit à caractériser une relation d'intérêts, la société soutient que la minoration de cet apport s'est inscrite dans le contexte d'une restructuration qu'il a souhaitée en vue d'organiser le départ rapide du capital et de la gouvernance de la société Cap Management de son associé M. B..., avec lequel il ne s'entendait plus mais qui exigeait pour le rachat de l'ensemble de ses parts, tant dans la société Cap Management que dans ses filiales, la somme de 2,5 millions d'euros, somme qui n'a pu être financée que par l'entrée, à hauteur d'un tiers chacun, au capital de la société holding nouvelle, de deux partenaires souhaitant limiter leur apport en numéraire à une somme égale à une valorisation, elle-même minorée, des parts que M. A... détenait dans la société Cap Management et représentant le dernier tiers du capital de la société holding.
10. Contrairement à ce que soutient l'administration, ces éléments permettent d'établir l'existence, pour M. A..., d'une contrepartie pouvant justifier l'écart significatif entre la valeur des titres et leur valeur vénale et, par conséquent, l'intérêt de ce dernier à consentir un apport dans de telles conditions, dès lors qu'une telle valorisation permettait à la société de stabiliser au bénéfice de M. A... son actionnariat et sa gouvernance, de reprendre son développement entravé par le conflit entre associés et de financer le rachat des parts de M. B... au prix exigé par celui-ci tout en permettant à M. A... de se maintenir seul à la direction du groupe en détenant un tiers de la holding malgré un apport dont la valeur n'a été fixée qu'au cinquième de l'évaluation globale de la société.
11. La société requérante est par conséquent fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes et à demander à être déchargée de cette imposition.
12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 11 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Le jugement du 8 octobre 2015 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : La société SNCM est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 4 : L'État versera à la société SNCM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Société Nouvelle Cap Management et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
ECLI:FR:CECHR:2020:434512.20201021
La société par actions simplifiée (SAS) Société Nouvelle Cap Management (SNCM) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1308441 du 8 octobre 2015, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15VE03250 du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société SNCM contre ce jugement.
Par une décision n° 410166 du 26 juillet 2018, le Conseil d'État, statuant au contentieux a, sur pourvoi de la société SNCM, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt n° 18VE02721 du 11 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, a rejeté l'appel formé par la société SNCM.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre et 11 décembre 2019 et le 8 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SNCM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Nouvelle Cap Management ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de la restructuration du groupe à la tête duquel la Société Nouvelle Cap Management (SNCM) a été placée, M. A... a apporté à cette société, le 4 février 2008, les 1 319 titres qu'il détenait dans la société à responsabilité limitée (SARL) Cap Management, correspondant à la moitié du capital social de cette dernière, dont il était l'un des deux gérants. Conformément au protocole d'accord conclu le 2 octobre 2007 entre toutes les parties au processus de restructuration, ces titres ont été évalués forfaitairement à un montant de 500 000 euros et ont été inscrits pour cette valeur à l'actif du bilan de la société bénéficiaire. À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a estimé que cet apport avait été sous-évalué, au regard du prix de 1 387 400 euros payé par la société requérante, le 7 mars 2008, pour l'acquisition auprès de M. B..., l'autre gérant, des 1 319 autres titres de la société Cap Management, auquel s'était ajouté un complément de prix, d'un montant de 550 000 euros, payé en 2009. Compte tenu de la discordance constatée entre la valeur d'apport des titres de M. A... et le coût d'acquisition des titres détenus en nombre égal par M. B..., elle a regardé cette opération comme constitutive d'une libéralité à concurrence de la somme résultant de cette discordance, soit 1 437 400 euros. Elle a, par conséquent, assujetti la société SNCM à un rehaussement d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008, procédant de la réintégration de cette somme dans ses bénéfices sur le fondement du 2 de l'article 38 du code général des impôts. Par une décision du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt du 28 février 2017 de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant l'appel formé par la société SNCM contre le jugement du 8 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires litigieuses et lui a renvoyé l'affaire. La société SNCM se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 juillet 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi, a de nouveau rejeté sa demande.
2. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés (...) ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition (...) ; / b. Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale ; / c. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que si les opérations d'apport sont, en principe, sans influence sur la détermination du bénéfice imposable, tel n'est toutefois pas le cas lorsque la valeur d'apport des immobilisations, comptabilisée par l'entreprise bénéficiaire de l'apport, a été volontairement minorée par les parties pour dissimuler une libéralité faite par l'apporteur à l'entreprise bénéficiaire. Dans une telle hypothèse, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine des immobilisations apportées à l'entreprise pour y substituer leur valeur vénale, augmentant ainsi l'actif net de l'entreprise dans la mesure de l'apport effectué à titre gratuit. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale du bien apporté et, d'autre part, d'une intention, pour l'apporteur, d'octroyer et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour constater l'existence d'un écart significatif entre la rémunération convenue pour l'apport et la valeur vénale des titres apportés par M. A..., la cour s'est contentée de relever, d'une part, que la valeur d'apport des 1 319 titres de M. A... avait été forfaitairement évaluée à 500 000 euros et, d'autre part, que le prix d'acquisition par la société requérante des 1 319 autres titres détenus par M. B... s'était élevé à un montant de 1 387 400 euros majoré d'un complément de prix de 550 000 euros, sans se prononcer, alors qu'elle y était expressément invitée par la société requérante, sur l'incidence qu'aurait pu avoir, sur la valeur des titres de M. B... comme sur celle de M. A..., le contexte dans lequel se sont déroulées les opérations litigieuses et, en particulier, tant l'éventualité que la société ait pu majorer le prix payé à M. B... pour obtenir que celui-ci quitte rapidement le capital des sociétés du groupe et sa gouvernance, que la possibilité que M. A... ait été dans l'obligation de minorer la valeur d'apport de ses titres afin de se conformer au souhait de ses deux nouveaux associés d'apporter chacun en numéraire une même somme de 500 000 euros. La cour a ainsi insuffisamment motivé son arrêt, qui, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, doit être annulé.
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond.
5. La valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession ou l'apport est intervenu. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Cap Management, détenue à parts égales par ses deux créateurs et dirigeants, MM. A... et B..., et dont le portefeuille était constitué de participations majoritaires dans ses deux filiales, les sociétés GMS et Extendis, a fait l'objet d'un processus de restructuration au terme duquel elle a d'abord acquis le solde du capital de ses deux filiales auprès de leurs autres associés, incluant un prix payé à M. B... de 505 350 euros. Dans un deuxième temps, la SNCM, société holding nouvellement créée a, d'une part, bénéficié de l'apport des 1 319 titres de la société Cap Management détenus par M. A... valorisés forfaitairement à hauteur de 500 000 euros et d'une augmentation de capital en numéraire d'un million d'euros souscrite à parts égales par les deux nouveaux associés de M. A... et, d'autre part, acquis ensuite les 1 319 autres titres de la société Cap Management, détenus par M. B..., pour un prix de 1 387 400 euros majoré d'un complément de prix de 550 000 euros, soit 1 937 400 euros.
7. Il s'en déduit que, pour obtenir le contrôle de l'intégralité du capital de la société Cap Management, après acquisition du solde du capital de ses filiales, la société SNCM, procédant en partie par apport des 1 319 titres de M. A... pour 500 000 euros et, pour le solde, par achat des 1 319 titres de M. B... pour 1 937 400 euros, a valorisé cette société à un montant total de 2 437 400 euros, inégalement réparti entre ses deux associés d'origine. Cette opération a notamment été rendue possible par les apports en numéraire, à hauteur d'un million d'euros, des deux nouveaux actionnaires de la SNCM, jusque-là dénués de tout intérêt dans le groupe Cap Management, qui ont ainsi manifesté leur accord sur la valorisation de la société SNCM et, par voie de conséquence, sur l'évaluation de son seul actif non monétaire, la société Cap Management, à la valeur de 2 437 400 euros inscrite au bilan de la SNCM. Il en résulte que cette valeur globale, seule significative pour ces apporteurs de capitaux, indépendamment de sa répartition en deux parts inégales, est aussi voisine que possible de celle qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où l'apport est intervenu.
8. Dès lors, si l'administration était fondée à considérer qu'il existait une discordance significative entre la valeur d'apport des titres de M. A..., soit 500 000 euros, et la valeur vénale de ces titres représentant la moitié du capital social, celle-ci doit néanmoins être établie à hauteur de la différence entre cette valeur d'apport et la moitié des rémunérations exposées par les associés de la SNCM pour obtenir l'entier contrôle de la société Cap Management, soit 718 700 euros.
9. En second lieu, pour combattre la présomption d'une intention libérale dans l'apport consenti à la société SNCM par M. A..., qui était le dirigeant social de la SNCM, ce qui suffit à caractériser une relation d'intérêts, la société soutient que la minoration de cet apport s'est inscrite dans le contexte d'une restructuration qu'il a souhaitée en vue d'organiser le départ rapide du capital et de la gouvernance de la société Cap Management de son associé M. B..., avec lequel il ne s'entendait plus mais qui exigeait pour le rachat de l'ensemble de ses parts, tant dans la société Cap Management que dans ses filiales, la somme de 2,5 millions d'euros, somme qui n'a pu être financée que par l'entrée, à hauteur d'un tiers chacun, au capital de la société holding nouvelle, de deux partenaires souhaitant limiter leur apport en numéraire à une somme égale à une valorisation, elle-même minorée, des parts que M. A... détenait dans la société Cap Management et représentant le dernier tiers du capital de la société holding.
10. Contrairement à ce que soutient l'administration, ces éléments permettent d'établir l'existence, pour M. A..., d'une contrepartie pouvant justifier l'écart significatif entre la valeur des titres et leur valeur vénale et, par conséquent, l'intérêt de ce dernier à consentir un apport dans de telles conditions, dès lors qu'une telle valorisation permettait à la société de stabiliser au bénéfice de M. A... son actionnariat et sa gouvernance, de reprendre son développement entravé par le conflit entre associés et de financer le rachat des parts de M. B... au prix exigé par celui-ci tout en permettant à M. A... de se maintenir seul à la direction du groupe en détenant un tiers de la holding malgré un apport dont la valeur n'a été fixée qu'au cinquième de l'évaluation globale de la société.
11. La société requérante est par conséquent fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes et à demander à être déchargée de cette imposition.
12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 11 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : Le jugement du 8 octobre 2015 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : La société SNCM est déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 4 : L'État versera à la société SNCM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Société Nouvelle Cap Management et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.