Conseil d'État, Juge des référés, 27/08/2020, 442572, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... et la société Cérès Finance demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 4 du 26 juin 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) prononçant, d'une part, à l'encontre de la société Cérès Finance, une sanction pécuniaire de 20 000 euros et une interdiction d'exercer la profession de conseiller en investissements financiers (CIF) d'une durée de cinq ans, d'autre part, à l'encontre de M. B..., une sanction pécuniaire de 80 000 euros et une interdiction d'exercer la profession de CIF d'une durée de cinq ans et ordonnant la publication de la décision sur le site internet de l'AMF pour une durée de cinq ans dans une version non anonymisée ;

2°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la gravité de l'atteinte qui est portée à leur situation financière et à leur réputation ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle a retenu un manquement relatif à l'obligation d'exercer son activité dans les limites autorisées par le statut de conseiller en investissements financiers (CIF) en raison de l'exercice d'une activité de placement non garanti alors qu'elle n'a fait que conseiller plusieurs clients conformément à l'article L. 541-1 du code monétaire et financier ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en ce que la commission des sanctions a estimé que la société Cérès Finance avait méconnu les dispositions du 8° de l'article L. 541-8-1 du même code et de l'article 325-5 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) obligeant les conseillers en investissements à fournir à leurs clients des informations claires, exactes et non trompeuses dès lors, d'une part, que la seule circonstance, à la supposer établie, selon laquelle certains documents ne répondaient pas pleinement aux prescriptions de ces dispositions ne justifiait pas en soi le prononcé d'une sanction et, d'autre part, que la documentation relative à la souscription d'actions faisait état de plusieurs facteurs de risques à prendre en compte avant toute souscription ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle les a sanctionnés en raison de l'absence de présentation des risques inhérents à l'offre Nov'Acces dans la plaquette commerciale alors que dans le cadre des notifications qui leur ont été adressées, l'AMF n'avait relevé à ce titre aucune violation des dispositions de l'article L.541-8-1 du code monétaire et financier et de l'article 325-5 du règlement général de l'AMF ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que la commission des sanctions a retenu à l'encontre de la société un défaut de coopération avec la mission de contrôle, alors qu'aucune activité de conseil en investissements financiers n'était plus exercée depuis la vente de la clientèle de la société en mai 2017 de sorte qu'il n'était possible de coopérer davantage avec la mission ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation et d'une insuffisance de motivation dès lors, d'une part, que les sanctions prononcées à leur encontre sont manifestement disproportionnées, eu égard notamment aux dispositions de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier qui prévoient des modérations de sanction applicables à leur situation, à l'importance des sanctions financières qui dépassent leurs capacités financières et au fait que les manquements ne sont pas établis et, d'autre part, que la commission ne s'est pas interrogée ou prononcée sur leur capacités financières.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2020, l'Autorité des marchés financiers conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... et de la société Cérès Finance une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.




Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... B... et la société Cérès Finance et, d'autre part, l'Autorité des marchés financiers.

Ont été entendus lors de l'audience publique du 25 août 2020, à 14 heures :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les requérants ;

- M. B... ;

- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'Autorité des marchés financiers ;

- les représentants de l'AMF ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.





Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".


2. Par la décision du 26 juin 2020 dont la suspension est demandée, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a estimé que la société Cérès Finance avait manqué, d'une part, entre le 1er juillet 2015 et le 27 décembre 2016, à son obligation de diffuser à ses clients une information claire, exacte et non trompeuse, à son obligation d'exercer son activité dans les limites autorisées par le statut de conseiller en investissements financiers (CIF) et à l'interdiction de recevoir des fonds de ses clients autres que ceux destinés à rémunérer son activité et, d'autre part, entre le 29 août 2017 et le 12 décembre 2018, à son obligation de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs de l'AMF. La commission des sanctions a estimé que l'ensemble des manquements retenus à l'encontre de la société Cérès Finance étaient imputables à son gérant, M. A... B.... En conséquence, elle a, en premier lieu, prononcé à l'encontre de la société Cérès Finance une sanction pécuniaire de 20 000 euros et une interdiction d'exercer la profession de CIF d'une durée de cinq ans et à l'encontre de M. B... une sanction pécuniaire de 80 000 euros et une interdiction d'exercer la profession de CIF d'une durée de cinq ans et, en second lieu, ordonné la publication de sa décision sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.


3. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit, enfin, être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue.


4. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, les requérants soutiennent que les diverses sanctions prononcées à leur encontre portent une atteinte grave et immédiate à leur situation financière et à leur réputation. Ils relèvent d'abord que la sanction pécuniaire de 80 000 euros prononcée à l'encontre de M. B... est supérieure à ses revenus annuels, tels qu'ils ressortent de son avis d'imposition 2019 qui fait apparaître un revenu fiscal de référence de 66 264 euros. Ils relèvent ensuite que, selon ses comptes annuels certifiés, la société Cérès Finance a réalisé un chiffre d'affaires net de 31 934 euros au cours de l'exercice clos le 30 juin 2019, avec un résultat négatif, de telle sorte que la sanction de 20 000 euros prononcée à son encontre est de nature à compromettre gravement sa situation financière. Ils ajoutent enfin que les interdictions d'activité et la publication de la décision en version non anonymisée sur le site Internet de l'AMF, pendant une durée de cinq ans, portent une atteinte grave à la réputation de la société et à celle de son gérant.


5. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des précisions apportées lors de l'audience publique, que si les revenus de M. B... ont fortement baissé depuis qu'il a cessé son activité en 2017, il dispose avec son épouse d'un patrimoine diversifié comprenant notamment des biens immobiliers donnés en location et des titres inscrits à un plan d'épargne en actions. M. et Mme B... possèdent en outre la totalité des parts de la société Cérès Finance qui, à la date du 30 juin 2019, avait un actif net de 2 620 017 euros, dont 162 489 euros inscrits en valeurs mobilières de placement et 46 104 euros de disponibilités. Dès lors, l'obligation de s'acquitter des sanctions pécuniaires prononcées à leur encontre n'est pas de nature à caractériser, pour la société Cérès Finance et M. B..., une situation d'urgence. Il en va de même de l'interdiction d'exercer, laquelle n'emporte aucun effet pratique ni pour M. B...,
qui a pris sa retraite, ni pour la société qui a cessé son activité et n'a été conservée que pour respecter un engagement de détention de parts souscrite en contrepartie de l'obtention d'un avantage fiscal.


6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.


7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'AMF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... et de la société Cérès Finance la somme globale de 3 000 euros à verser à l'AMF au titre des mêmes dispositions.





O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... et de la société Cérès Finance est rejetée.
Article 2 : M. B... et la société Cérès Finance verseront à l'AMF la somme globale de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., à la société Cérès Finance et à l'Autorité des marchés financiers.

ECLI:FR:CEORD:2020:442572.20200827
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