Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 24/07/2019, 416818

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2014 par lequel le directeur du centre social d'Argonne a prononcé sa révocation et d'enjoindre à ce dernier de la réintégrer dans ses fonctions de monitrice-éducatrice ou, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur la procédure disciplinaire engagée contre elle dans l'attente des résultats de l'enquête pénale dont elle faisait l'objet. Par un jugement no 1402372 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n°16NC00073 du 24 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel de Mme B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 décembre 2017, 23 mars 2018 et 21 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre social d'Argonne la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;
- le décret n°89-822 du 7 novembre 1989 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B...et à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat du centre social d'Argonne.




Considérant ce qui suit :

1. L'article 70 de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit dispose que : " Lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision ". Ces dispositions énoncent, s'agissant des irrégularités commises lors de la consultation d'un organisme, une règle qui s'inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

2. Aux termes de l'article 2 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline, quinze jours au moins avant la date de la réunion de ce conseil, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ". Le délai de quinze jours mentionné par ces dispositions constitue pour l'agent concerné une garantie visant à lui permettre de préparer utilement sa défense. Par suite, la méconnaissance de ce délai a pour effet de vicier la consultation du conseil de discipline, sauf s'il est établi que l'agent a été informé de la date du conseil de discipline au moins quinze jours à l'avance par d'autres voies.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la lettre recommandée par laquelle le centre social d'Argonne a convoqué Mme B...à la réunion du conseil de discipline du 27 juin 2014 a été expédiée le 10 juin 2014, qu'elle a été vainement présentée à son domicile le 12 juin 2014 et qu'elle a été retirée le 20 juin 2014, soit sept jours avant la réunion. Pour juger que l'intéressée n'avait pas été privée de la garantie prévue par l'article 2 du décret du 7 novembre 1989, la cour administrative d'appel a relevé, d'une part, qu'elle aurait pu retirer sa convocation dans le délai réglementaire, d'autre part, que le directeur du centre social d'Argonne avait adressé le 19 juin 2014 à son avocat un courrier contenant le rapport disciplinaire, la liste des témoins et la convocation. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constats que Mme B...n'avait pas bénéficié d'un délai de quinze jours pour préparer sa défense, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Il y a lieu, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, d'annuler son arrêt.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que MmeB..., qui n'a pas bénéficié du délai de quinze jours prévu par les dispositions précitées du décret du 7 novembre 1989 pour préparer sa défense devant le conseil de discipline, est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juillet 2014 par lequel le directeur du centre social d'Argonne l'a révoquée de ses fonctions. Il y a lieu par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, d'annuler ce jugement et cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". L'annulation de l'arrêt du 10 juillet 2014 par lequel le directeur du centre social d'Argonne a révoqué Mme B...de ses fonctions implique nécessairement que cette autorité procède à sa réintégration, sans préjudice de la possibilité de prendre à nouveau à son encontre une sanction disciplinaire au vu d'un avis émis régulièrement du conseil de discipline. Il lui est enjoint d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la présente décision.

Sur les frais non compris dans les dépens :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de MmeB..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre social d'Argonne la somme de 3 000 euros à verser à Mme B...au même titre.




D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'arrêt du 24 octobre 2017 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : Le jugement du 26 novembre 2015 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 3 : L'arrêté du 10 juillet 2014 du directeur du centre social d'Argonne est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au centre social d'Argonne de procéder à la réintégration de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, dans les conditions que celle-ci précise.
Article 5 : Le centre social d'Argonne versera à Mme B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées par le centre social d'Argonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au centre social d'Argonne.


ECLI:FR:XX:2019:416818.20190724
Retourner en haut de la page