Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 11/07/2019, 422577, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 12 avril 2017, la juridiction de proximité de Rochefort a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Poitiers de la question de la légalité des délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 par lesquelles le conseil communautaire de la communauté d'agglomération du Pays Rochefortais, devenue la communauté d'agglomération Rochefort Océan, a fixé, respectivement pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015, les tarifs d'enlèvement des ordures ménagères.

Par un jugement n° 1701087 du 12 juillet 2018, le tribunal administratif de Poitiers a jugé que l'exception d'illégalité soulevée par l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Plaine de Vaucouleurs devant la juridiction de proximité de Rochefort n'est pas fondée.

Par un pourvoi, enregistré le 25 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EARL Plaine de Vaucouleurs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de déclarer illégales les délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 de la communauté d'agglomération Rochefort Océan ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Rochefort Océan une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Brouchot, avocat de l'EARL Plaine de Vaucouleurs et à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de la communauté d'agglomération Rochefort Océan ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Plaine de Vaucouleurs a fait citer le 9 juin 2016 la communauté d'agglomération de Rochefort Océan devant la juridiction de proximité de Rochefort (Charente-Maritime) afin d'obtenir l'annulation des titres exécutoires émis par la communauté d'agglomération pour le recouvrement de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères concernant les années 2012, 2013, 2014 et 2015. Par un jugement du 12 avril 2017, la juridiction de proximité de Rochefort a sursis à statuer et renvoyé au tribunal administratif de Poitiers la question de la légalité des délibérations par lesquelles les tarifs de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères ont été fixés pour les années en cause. L'EARL Plaine de Vaucouleurs se pourvoit en cassation contre le jugement du 12 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a jugé que l'exception d'illégalité ainsi soulevée n'était pas fondée.

2. En vertu de l'article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale peuvent assurer l'ensemble de la compétence d'élimination et de valorisation des déchets des ménages ou la partie de cette compétence comprenant le traitement, la mise en décharge des déchets ultimes ainsi que les opérations de transport, de tri ou de stockage qui s'y rapportent. Aux termes de l'article L. 2333-76 du même code : " Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes qui bénéficient de la compétence prévue à l'article L. 2224-13 peuvent instituer une redevance d'enlèvement des ordures ménagères calculée en fonction du service rendu dès lors qu'ils assurent au moins la collecte des déchets des ménages (...) ".

Sur le jugement attaqué en ce qu'il se prononce sur le montant des tarifs de la redevance :

3. Pour écarter une des critiques de légalité adressées aux délibérations litigieuses, le tribunal administratif a jugé que si les délibérations des 19 janvier 2012, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 avaient pour conséquence d'exonérer de fait des exploitations agricoles exploitées sous forme de société dont le siège social n'est pas fixé au domicile d'une personne physique et des exploitations agricoles exploitées par une personne physique en son nom propre, il ne ressortait toutefois pas des pièces du dossier qu'eu égard à la proportion que représentent les usagers bénéficiant irrégulièrement de ces mesures d'exonération, ces dernières auraient pour effet de majorer de manière significative le tarif appliqué aux autres catégories d'usagers et que ces délibérations fixeraient, pour ces autres catégories d'usagers, des tarifs qui ne sont pas établis en fonction du service qui leur est rendu. En se prononçant ainsi pour statuer, sur renvoi de l'autorité judiciaire, sur la légalité des délibérations litigieuses, le tribunal administratif n'a, contrairement à ce que soutient le pourvoi, pas commis d'erreur de droit en " inversant la charge de la preuve ".

Sur le jugement attaqué en ce qu'il statue sur le caractère rétroactif des délibérations :

4. Les règlements ne peuvent, en principe, légalement disposer que pour l'avenir. Il en résulte que, en l'absence de disposition législative l'y autorisant, et réserve faite des cas dans lesquels l'intervention rétroactive d'une délibération est nécessaire à titre de régularisation pour remédier à une illégalité et mettre à la charge des usagers une obligation de payer en contrepartie du service dont ils ont bénéficié, une délibération qui majore le tarif d'une redevance pour service rendu ne peut légalement prévoir son application avant la date de son entrée en vigueur. Par suite, si une délibération de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales modifie les tarifs de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères en prévoyant une date d'entrée en vigueur rétroactive, cette délibération est entachée d'illégalité, mais seulement dans la mesure où la délibération a pour objet d'augmenter le montant de la redevance pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 13 octobre 1993, la communauté d'agglomération du Pays Rochefortais, devenue communauté d'agglomération Rochefort Océan, a décidé d'instituer la redevance d'enlèvement des ordures ménagères sur son territoire. Par des délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015, la communauté d'agglomération du Pays Rochefortais a modifié les tarifs de la redevance à compter, respectivement, du 1er janvier 2012, du 1er janvier 2013, du 1er janvier 2014 et du 1er janvier 2015. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le tribunal administratif, après avoir relevé que ces délibérations avaient une portée rétroactive, a commis une erreur de droit en jugeant que, néanmoins, dès lors qu'elles avaient pour seul objet de fixer, pour chacune des années considérées, le tarif d'une redevance déjà instituée par une délibération antérieure, ces délibérations n'étaient pas entachées d'une rétroactivité illégale au motif qu'un retard pris pour l'adoption du tarif annuel d'une redevance déjà instituée ne peut avoir pour effet de décharger les usagers de toute obligation de payer une redevance en contrepartie du service dont ils ont effectivement bénéficié. Il s'ensuit que l'EARL Plaine de Vaucouleurs est fondée à demander, dans cette mesure, l'annulation du jugement qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les délibérations des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 litigieuses, en ce qu'elles modifient le montant de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères à compter, respectivement, du 1er janvier de chacune des années en cause, sont illégales en tant qu'elles prévoient que les modifications qu'elles adoptent s'appliquent à des périodes antérieures à la date de leur entrée en vigueur. Ces délibérations sont, en revanche et en l'absence d'autre critique de légalité fondée, légales en ce qu'elles ont pour effet, pour la période courant du 1er janvier de chaque année à la date de leur entrée en vigueur, de réitérer le tarif de la redevance applicable l'année précédente, dont les usagers doivent s'acquitter en contrepartie du service dont ils ont bénéficié.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Rochefort Océan le versement d'une somme de 2 000 euros à l'EARL Plaine de Vaucouleurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'EARL Plaine de Vaucouleurs, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par la communauté d'agglomération Rochefort Océan.





D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 12 juillet 2018 est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur le caractère rétroactif des délibérations.
Article 2 : Les délibérations de la communauté d'agglomération du Pays Rochefortais des 19 janvier 2012, 21 février 2013, 16 janvier 2014 et 2 avril 2015 sont déclarées illégales en tant qu'elles prévoient que les modifications qu'elles adoptent s'appliquent à des périodes antérieures à la date de leur entrée en vigueur.

Article 3 : La communauté d'agglomération Rochefort Océan versera à l'EARL Plaine de Vaucouleurs la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'EARL Plaine de Vaucouleurs est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'EARL Plaine de Vaucouleurs et à la communauté d'agglomération Rochefort Océan.

ECLI:FR:CECHR:2019:422577.20190711
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