Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 15/02/2019, 408228, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Plateau de Valras a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1301927 du 16 octobre 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 14MA04261 du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Plateau de Valras contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 février, 19 mai et 28 décembre 2017 et le 5 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Plateau de Valras demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles sur la conformité au droit de l'Union européenne des dispositions de l'article 279 et du c du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du travail, notamment son article L. 7121-2 ;
- l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la société Plateau de Valras ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Plateau de Valras, qui organise des corridas, a fait l'objet en 2012 d'une vérification de comptabilité. A la suite de ce contrôle, l'administration fiscale a remis en cause l'application par la société du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée de 5,5 % sur les prix des billets délivrés en 2011. Par un jugement du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des rappels de taxe mis à sa charge. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 décembre 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article 278 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé à 19,60 % ". Aux termes de l'article 279 du même code, dans sa rédaction applicable à la même période : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,50 % en ce qui concerne : (...) b bis. Les spectacles suivants : théâtres ; / théâtres de chansonniers ; / cirques ; / concerts (...) / spectacles de variétés, à l'exception de ceux qui sont donnés dans les établissements où il est d'usage de consommer pendant les séances ; / foires, salons, expositions autorisés ; / jeux et manèges forains (...) ". Aux termes de l'article 261 E du même code, dans sa rédaction applicable à cette même période : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (....) / 3° Les droits d'entrée perçus par les organisateurs de réunions sportives soumises à l'impôt sur les spectacles, jeux et divertissements ".

3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société, la cour n'a pas jugé que les corridas ne sauraient être qualifiées de " spectacles ", au sens de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles ou de l'article L. 7121-2 du code du travail. Elle a seulement jugé que les corridas n'étaient pas des " spectacles de variétés ", au sens du b bis de l'article 279 du code général des impôts cité au point 2. En relevant qu'eu égard à sa singularité, tenant notamment à ce qu'elle se déroule autour du thème central de l'affrontement entre l'homme et le taureau, selon un rituel comportant la mise à mort de ce dernier, la corrida ne pouvait être regardée comme un spectacle de variétés, au sens de ces dispositions, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique.

4. En deuxième lieu, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, rappelée notamment par son arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group (C-259/10), le principe de neutralité fiscale " doit être interprété en ce sens qu'une différence de traitement au regard de la taxe sur la valeur ajoutée de deux prestations de service identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins de celui-ci suffit à établir une violation de ce principe ". D'une part, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que, du point de vue du consommateur, les corridas, compte tenu de leurs caractéristiques, ne peuvent être regardées comme semblables aux spectacles, notamment de variétés, énumérés au b bis de l'article 279 du code général des impôts et qu'elles s'adressent à un public différent de celui des autres spectacles tauromachiques. D'autre part, la société ne saurait utilement se prévaloir du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée au motif que les courses landaises et camarguaises organisées par des fédérations sportives étaient exonérées de la taxe sur le fondement de l'article 261 E du code général des impôts, dès lors que, par cette disposition, le législateur a seulement entendu maintenir l'exonération dont bénéficiaient ces manifestations avant l'entrée en vigueur de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comme l'autorisaient les dispositions de l'article 28, paragraphe 3, sous b de cette directive, désormais reprises à l'article 371 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006. Ce motif de pur droit doit être substitué à celui retenu par la cour dans son arrêt pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / (...) (o) les prestations de services et les livraisons de biens effectuées par les organismes dont les opérations sont exonérées conformément aux points b), g), h), i), l), m) et n), à l'occasion de manifestations destinées à leur apporter un soutien financier et organisées à leur profit exclusif, à condition que cette exonération ne soit pas susceptible de provoquer des distorsions de concurrence ; / (...) 2. Aux fins du paragraphe 1, point o), les États membres peuvent introduire toutes les restrictions nécessaires, notamment en limitant le nombre de manifestations ou l'importance des recettes ouvrant droit à l'exonération ". Aux termes de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 7. / 1° / (...) c. les recettes de six manifestations de bienfaisance ou de soutien organisées dans l'année à leur profit exclusif par les organismes désignés au a et b ainsi que par les organismes permanents à caractère social des collectivités locales et des entreprises ; / (...) ".

6. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour ne s'est pas prononcée sur l'application de ces dispositions fiscales mais a seulement jugé que la société ne pouvait pas se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs relatifs aux coréalisations de spectacles vivants. Dès lors, le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne jugeant pas que l'exonération des corridas organisées par les organismes permanents à caractère social des communes, tels que les comités des fêtes, qui résulterait selon la société du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, serait contraire aux dispositions citées ci-dessus de la directive et méconnaîtrait le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée est nouveau en cassation et, par suite, sans influence sur le bien-fondé de l'arrêt.

7. En dernier lieu, le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne jugeant pas qu'était contraire au principe de neutralité fiscale la différence de taux de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux corridas entre la France et l'Espagne est nouveau en cassation et, par suite, sans influence sur le bien-fondé de l'arrêt.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, que le pourvoi de la société Plateau de Valras doit être rejeté. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.





D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Plateau de Valras est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Plateau de Valras et au ministre de l'action et des comptes publics.

ECLI:FR:CECHR:2019:408228.20190215
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