CAA de BORDEAUX, 3ème chambre - formation à 3, 15/11/2018, 16BX03150, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 juin 2014 par lequel le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours, ensemble la décision du 19 septembre 2014 portant rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1404414 du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 septembre 2016 et 29 septembre 2017, M.A..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 juillet 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les décisions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier ; en méconnaissance du principe du contradictoire, le tribunal s'est fondé sur un mémoire enregistré et communiqué le 9 juin 2016, sans lui laisser le temps de répliquer avant l'audience du 13 juin 2016 ;
- la composition de la commission administrative paritaire était irrégulière en raison de la présence de représentants des syndicats CFDT et UNSA, contraire au principe d'impartialité ;
- les messages à raison desquels il a été sanctionné n'ont reçu aucune diffusion extérieure et ont été envoyés dans le cadre de polémiques syndicales ou de discussions entre collègues, et ne sauraient donc caractériser un manquement au devoir de réserve ; le message relatif au fait que la France aurait pu commettre un acte terroriste en Nouvelle-Zélande est exact et s'inscrit dans une discussion relative à un match de rugby ; le message relatif au syndicat CFDT s'inscrit dans le cadre d'une polémique syndicale ; ainsi que l'a jugé la Cour de cassation, ses propos ne revêtaient pas un caractère diffamatoire.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juillet 2017, le ministre du travail conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. A...d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ; la communication du mémoire produit le 8 juin 2016 s'est accompagnée d'une réouverture de l'instruction, de sorte que M. A...a été mis à même de présenter des observations ; ce dernier n'a pas sollicité l'octroi d'un délai supplémentaire ou un report d'audience et n'a pas davantage produit une note en délibéré ;
- lors du conseil de discipline, le représentant du personnel désigné par le syndicat CFDT n'a fait preuve d'aucun comportement particulier susceptible de vicier la procédure disciplinaire ; la proposition d'exclusion temporaire des fonctions de 15 jours a recueilli la majorité des voix des membres présents, de sorte que la présence du représentant du personnel désigné par le syndicat CFDT n'a pas eu d'incidence sur le sens de l'avis émis par le conseil de discipline ;
- le requérant a manqué à son devoir de réserve, devoir qui s'impose aussi aux représentants syndicaux et qui n'est pas lié à la diffusion d'écrits vers l'extérieur ; les messages en cause ont été diffusés à l'ensemble de l'unité territoriale ;
- les sanctions pénales et disciplinaires sont indépendantes ; la décision juridictionnelle de relaxe est sans incidence sur le bien-fondé de la sanction disciplinaire en litige.

Par une ordonnance du 3 octobre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 novembre 2017 à 12h00.

Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., contrôleur du travail de classe normale affecté à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Aquitaine depuis le 1er septembre 2008, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 juin 2014 par lequel le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours, ensemble la décision du 19 septembre 2014 portant rejet de son recours gracieux formé le 21 août 2014. Il fait appel du jugement du 12 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.


Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. / (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les parties ont été averties par un avis d'audience du 24 mai 2016 que l'affaire serait appelée à l'audience du 13 juin 2016. Un mémoire en défense du ministre chargé des affaires sociales a été enregistré le 8 juin 2016 par le greffe du tribunal administratif et communiqué le 9 juin 2016, soit le jour même de la clôture d'instruction fixée par une ordonnance du 2 juin 2016. Or, ce mémoire comportait des éléments nouveaux, en particulier le procès-verbal du conseil de discipline du 17 juin 2014, sur lesquels le tribunal s'est appuyé pour écarter les moyens soulevés par M. A...et tirés de l'incomplétude de son dossier disciplinaire et du défaut d'impartialité de membres du conseil de discipline. Dans ces conditions, le principe ci-dessus rappelé du caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu. Il s'ensuit que M. A...est fondé à soutenir que le jugement qu'il attaque a été rendu sur une procédure irrégulière et à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Bordeaux.


Au fond :

5. En premier lieu, M.D..., nommé directeur des ressources humaines au secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales par décret du 16 octobre 2013, était compétent, en vertu de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, pour signer, au nom du ministre, la décision en litige du 25 juin 2014. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées ne peut ainsi qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, le requérant soutient que la procédure disciplinaire est entachée d'irrégularité au motif tenant à la participation au conseil de discipline du 17 juin 2014 de M. F..., représentant du syndicat CFDT, et de MmeB..., représentante du syndicat UNSA, en méconnaissance du principe d'impartialité.

7. Ainsi que le fait valoir M.A..., la procédure disciplinaire en cause a été engagée, notamment, en raison de l'envoi par l'intéressé d'un courriel, adressé aux agents de la Direccte Aquitaine, comportant un photomontage reproduisant le logo de la CFDT, détournant les termes de l'un de ses tracts et accompagné d'une photographie des accords de Munich du 30 septembre 1938, courriel qui a donné lieu au dépôt, par le syndicat CFDT, d'une plainte pour diffamation non publique. Toutefois, cette seule circonstance ne suffit pas à considérer que M.F..., membre de ce syndicat, aurait été partial. Il ressort au contraire du procès-verbal du conseil de discipline que ce dernier, lors de la séance du 17 juin 2014, est intervenu de manière mesurée, sans manifester d'animosité particulière à l'égard de M. A...et sans même mentionner le courriel comportant le photomontage susdécrit. Par ailleurs, il n'est établi par aucune pièce que le syndicat UNSA aurait pris position sur ce photomontage, et il ressort du procès-verbal du conseil de discipline que MmeB..., représentante dudit syndicat, n'a pas davantage manifesté d'animosité particulière à l'égard de M.A.... Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.

8. En troisième lieu, M. A...soutient qu'en méconnaissance de l'article 1er du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat, il n'a pas bénéficié de la communication intégrale de son dossier.

9. Cependant, d'une part, si le requérant fait valoir que, lors de la consultation de son dossier, le 7 avril 2014, ce dossier ne comportait pas l'un des courriels dont l'envoi lui était reproché, à savoir un courriel du 11 septembre 2013 invitant les agents de l'unité territoriale de la Gironde à commémorer la mort de Salvador Allende, l'intéressé, qui a indiqué sur l'attestation de remise de son dossier qu'il y manquait des convocations, n'a en revanche pas signalé le caractère manquant de ce courriel. En outre, le requérant ne conteste pas que son dossier comportait le rapport de saisine du conseil de discipline, lequel mentionnait ledit courriel et indiquait que ce document était annexé en pièce jointe n° 5. Dans ces conditions, le caractère prétendument incomplet de son dossier à raison de l'absence dudit courriel n'est nullement démontré.

10. D'autre part, si M. A...fait valoir que, lors de la consultation de son dossier, et ainsi qu'il l'a indiqué sur l'attestation de remise de ce dossier, trois courriers de convocation étaient manquants, il ne conteste pas, ainsi que cela ressort d'ailleurs des mentions du procès-verbal du conseil de discipline, que ces documents lui ont été remis avant la réunion du conseil de discipline.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : l'avertissement ; le blâme. Deuxième groupe : la radiation du tableau d'avancement ; l'abaissement d'échelon ; l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; le déplacement d'office (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un fonctionnaire ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. En cas de pluralité de motifs fondant une décision, il appartient également au juge de l'excès de pouvoir de vérifier si l'administration aurait pris la même décision si elle n'avait pas retenu le motif erroné en fait.
12. L'arrêté attaqué se fonde sur " les manquements réitérés de M. A...à l'obligation de réserve ", caractérisés par " les propos calomnieux et diffamatoires " tenus envers une organisation syndicale, la CFDT, lors de l'envoi par courriel du 8 novembre 2013, adressé à tous les agents de la DIRECCTE Aquitaine, d'une photographie représentant les accords de Munich assortie des commentaires " D'autres n'ont eu de cesse de participer à toutes les réunions de négociation, où beaucoup furent absents " et par l'envoi par courriel du 17 juin 2013 aux agents de l'unité territoriale de la Gironde d' " un message injurieux portant atteinte à la réputation de l'Etat ", ainsi que sur " l'utilisation abusive de la messagerie en avril 2012, juin 2013, septembre 2013 et novembre 2013 ", agissements ayant " porté atteinte à l'image et à l'honorabilité de l'institution qu'il sert et à la dignité de ses fonctions ".

13. M.A..., qui indique sans contredit être un militant de l'organisation syndicale CNT-AIT, a, le 5 avril 2012, adressé à l'ensemble des agents de la DIRECCTE Aquitaine un courriel intitulé " DAs, choisissez votre côté de la barricade ! Les agents se souviendront ! ", dans lequel il dénonçait le " silence assourdissant " des directeurs et directeurs adjoints lors de la visite du directeur général du travail du ministère du travail et de l'emploi, leur reprochant de ne pas avoir témoigné leur " solidarité envers les agents en colère " et leur " indignation face au refus de reconnaître les suicides de Luc et Romain en accidents de service ". Il ressort des pièces du dossier que ce courriel a été envoyé dans un contexte de forte mobilisation sociale au sein du ministère du travail, consécutive aux suicides de deux agents du ministère. Le 17 juin 2013, M. A..., qui est originaire de la Nouvelle-Zélande, a adressé un courriel aux agents de l'unité territoriale de la Gironde les invitant à respecter " une minute de silence à midi pour les Français tombés au combat samedi matin ". En réponse à ce message, qui évoquait sur le ton de la plaisanterie une défaite de l'équipe française lors d'un match de rugby contre l'équipe néo-zélandaise, un agent a répondu à l'ensemble des destinataires par un courriel intitulé " La force de la Nouvelle-Zélande !!! Une décennie de silence !!! " dans lequel il dénonçait la non-adhésion de la Nouvelle-Zélande à une convention de l'organisation internationale du travail relative au travail des enfants. M. A...a alors adressé à l'ensemble des destinataires de cet échange un nouveau courriel reproduisant un article d'information relatif à l'affaire du Rainbow Warrior et en indiquant " Je ne pense pas que la France, Etat terroriste qui a assassiné un photographe portugais, soit en mesure de faire la morale à qui que ce soit ! ". Il ressort encore des pièces du dossier que, le 11 septembre 2013, M. A...a envoyé aux agents de l'unité territoriale de la Gironde un courriel les invitant à commémorer la mort de Salvador Allende et comportant un extrait des dernières paroles de ce dernier avant son suicide. Enfin, le 8 novembre 2013, faisant suite à la diffusion par la CFDT d'un tract dans lequel cette organisation syndicale se félicitait, dans le cadre d'une restructuration interne alors en cours au sein du ministère du travail, d'avoir " participé à toutes les réunions de négociation, où beaucoup furent absents ", M. A...a adressé par courriel à l'ensemble des agents de la DIRECCTE Aquitaine un photomontage reproduisant le logo de la CFDT et les termes précités de ce tract et comportant une photographie des accords de Munich du 30 septembre 1938 assortie du commentaire " d'autres n'ont eu cesse de participer à toutes les réunions de négociation, où beaucoup furent absents ".

14. Si, ainsi que le soutient M.A..., le photomontage ci-dessus décrit consistant à détourner un tract de la CFDT, ne saurait être interprété comme imputant à ce syndicat ou à l'Etat français les thèses à caractère fasciste prônées par certains des signataires des accords de Munich, de sorte que, contrairement à ce qu'indique la décision attaquée, ce message ne peut ainsi être qualifié d'outrageant et diffamatoire, ce message présente cependant un caractère outrancier et provocateur. En outre, l'envoi de l'ensemble des messages ci-dessus décrits, largement diffusés au sein des services du ministère du travail, par un agent dont il n'est pas soutenu qu'il aurait été titulaire d'un mandat syndical, constituent un usage inapproprié de la messagerie professionnelle, laquelle est en principe réservée aux échanges à caractère professionnel, comme l'a notamment rappelé une note du 6 avril 2012 du directeur de l'administration générale et de la modernisation des services du ministère du travail. Ces messages, compte tenu des prises de position politique qu'ils comportent et de leur ton excessif, caractérisent un manquement de M. A...à son devoir de réserve. En outre, et alors même qu'il faisait référence à un fait historique précis, le message susmentionné qualifiant la France d' " Etat terroriste " a porté atteinte à l'honneur de l'Etat français.

15. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'en envoyant les messages en cause, M. A...a manqué à son devoir de réserve, fait un usage inapproprié de la messagerie professionnelle et tenu, le 17 juin 2013, des propos portant atteinte à l'honneur de l'Etat français, commettant ainsi des fautes de nature à justifier l'infliction d'une sanction.

16. S'il ressort des pièces du dossier que le requérant n'avait jamais fait l'objet de sanction disciplinaire et que ses évaluations professionnelles sont favorables, compte tenu du caractère réitéré des manquements ci-dessus relevés, en dépit d'une note de service rappelant les règles d'usage de la messagerie professionnelle, et alors qu'il n'est pas établi que ces manquements seraient exclusivement imputables à l'état de santé de M.A..., la sanction retenue d'exclusion temporaire pour une durée de quinze jours ne présente pas un caractère disproportionné.

17. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions contestées.


Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



DECIDE :




Article 1er : Le jugement n° 1404414 du tribunal administratif de Bordeaux du 12 juillet 2016 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A...et le ministre du travail au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,
Aymard de MALAFOSSE
Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.



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N° 16BX03150



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