Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 09/03/2018, 409972, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La commune du Mont-Saint-Michel a demandé au tribunal administratif de Caen, à titre principal, d'annuler la délibération du comité syndical du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel du 3 avril 2013 autorisant son président à signer l'avenant n° 5 à la convention de délégation de service public conclue le 6 octobre 2009 avec la société Veolia Transport pour la construction et l'exploitation des ouvrages et services d'accueil du Mont-Saint-Michel et à titre subsidiaire d'annuler l'article 2-5 de cet avenant portant clauses tarifaires.

La société Sodetour a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cette même délibération du 3 avril 2013 ainsi que la décision du président du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel de signer cet avenant n° 5.

Par un jugement n°s 1301060, 1301518 du 17 novembre 2015, rectifié par une ordonnance du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Caen a annulé, en premier lieu, la délibération du 3 avril 2013 en tant qu'elle autorise le président du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel à réviser par avenant la nouvelle grille tarifaire applicable aux usagers des installations d'accueil et de transport du Mont-Saint-Michel, en deuxième lieu, la décision du président du syndicat mixte de signer l'avenant n° 5 en tant que cette décision porte sur les stipulations du sixième alinéa de la clause 2.5 qui approuve les nouveaux tarifs tels qu'ils sont fixés par la grille figurant en annexe 5 à cet avenant, et enfin, le sixième alinéa de la clause 2.5 de cet avenant n° 5. Le jugement précise que l'annulation du 6ème alinéa de l'article 2-5 de l'avenant n° 5 ne prendra effet que le 1er janvier 2016.

Par un arrêt n° 16NT00321 du 22 février 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête d'appel de la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, venant aux droits de la société Veolia, et les appels incidents de la commune du Mont-Saint-Michel et de la société Sodetour.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 21 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel principal ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Mont-Saint-Michel et de la société Sodetour, chacune, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, et à la SCP Boulloche, avocat du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel.



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat conclu le 6 octobre 2009, le syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel a concédé à la société Veolia Transport, aux droits de laquelle vient la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, la construction et l'exploitation des ouvrages et services d'accueil du Mont-Saint-Michel ; que, par une délibération du 3 avril 2013, le comité syndical du syndicat mixte a autorisé son président à signer un cinquième avenant à cette convention, ayant notamment pour objet, afin de répondre à la demande des visiteurs de réduire le trajet à pied et de faciliter l'accès au site, de modifier le point d'embarquement des voyageurs empruntant les navettes, de réviser la grille tarifaire et de modifier le service de navettes hippomobiles, appelées " maringotes " ; que, saisi d'une demande de la commune du Mont-Saint-Michel et de la société Sodetour, le tribunal administratif de Caen a, par un jugement du 17 novembre 2015, annulé, en premier lieu, la délibération du 3 avril 2013 en tant qu'elle autorise le président du syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel à réviser par avenant la grille tarifaire applicable aux usagers des installations d'accueil et de transport du Mont-Saint-Michel, en deuxième lieu, la décision du président du syndicat mixte de signer l'avenant n° 5 en tant que cette décision porte sur les stipulations du sixième alinéa de la clause 2.5 qui approuvent les nouveaux tarifs tels qu'ils sont fixés par la grille figurant en annexe 5 à cet avenant, et, enfin, avec effet au 1er janvier 2016, le sixième alinéa de la clause 2.5 de l'avenant n° 5 ; que la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel a seule fait appel de ce jugement ; qu'elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 février 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel ;

Sur le mémoire produit par le syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel :

2. Considérant que le syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel, qui avait la qualité de partie défenderesse en première instance mais qui s'est abstenu de former appel du jugement, n'a pas la qualité de partie à l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée ; qu'ayant reçu communication du pourvoi par la chambre chargée de son instruction, il déclare s'associer au pourvoi de la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel ; que son mémoire doit toutefois être regardé comme présentant de simples observations en réponse à la communication faite par le Conseil d'Etat ; qu'il n'y a donc pas lieu de répondre aux moyens qu'il développe ;


Sur le pourvoi de la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel :

3. Considérant que les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique ; que, pour assurer le respect de ces principes, les parties à une convention de délégation de service public ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat en introduisant des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d'autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l'attributaire ; qu'ils ne peuvent notamment ni modifier l'objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l'équilibre économique du contrat, tel qu'il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que, alors même que les clauses tarifaires d'un contrat de délégation de service public revêtent un caractère réglementaire, les tarifs sont au nombre des éléments essentiels qui concourent à l'équilibre économique du contrat ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que la cour a relevé, par une appréciation souveraine des faits qui n'est entachée d'aucune dénaturation, que l'avenant n° 5 au contrat litigieux prévoyait des hausses de tarifs comprises entre 31 et 48 %, qui se traduiraient par une augmentation de plus d'un tiers des recettes et qui allaient très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs ; qu'en en déduisant qu'une modification substantielle était ainsi apportée au contrat, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a, contrairement à ce que soutient la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, ni omis de répondre à son moyen d'appel tiré de ce que la hausse des tarifs était destinée à compenser les investissements nouveaux et les charges d'exploitation résultant du changement de point de départ des navettes, non compensés par le versement d'une subvention d'exploitation, ni méconnu le droit du délégataire à la compensation des nouvelles sujétions de service public, ni apprécié de manière " purement arithmétique " la modification introduite par l'avenant n° 5, ni commis d'erreur de droit ;

6. Considérant, en dernier lieu, qu'en confirmant l'annulation des clauses tarifaires de l'avenant n° 5 prononcée par le tribunal administratif, avec effet différé au 1er janvier 2016, la cour a statué en qualité de juge de l'excès de pouvoir ; que, par suite, la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel ne saurait, en tout état de cause, soutenir qu'elle aurait entaché son arrêt d'erreur de qualification juridique ou de dénaturation des faits en ne jugeant pas, en qualité de juge de l'exécution, qu'une telle annulation était excessive au regard de l'intérêt général ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Sodetour et de la commune du Mont-Saint-Michel, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement des sommes que demande, à ce titre, la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, à la commune du Mont-Saint-Michel, à la société Sodetour et au syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel.

ECLI:FR:CECHR:2018:409972.20180309
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