Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24/11/2017, 399324

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 212 253,26 euros et de 4 000 euros en réparation des préjudices professionnel et moral subis en raison de la perte de chance de réussir les épreuves de l'examen professionnel pour l'accès au grade d'attaché principal d'administration, ainsi que la somme de 10 000 euros en réparation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence résultant de ses différents échecs aux épreuves de cet examen. Par un jugement n° 1301136 du 18 juin 2014, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 4 000 euros (article 1er) et a rejeté le surplus de ses conclusions (article 2).

Par un arrêt n° 14BX02407 du 29 février 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel du ministre chargé de l'agriculture, a annulé l'article 1er de ce jugement et rejeté l'appel incident de M. B....

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril et 29 juillet 2016 et le 3 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre chargé de l'agriculture et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. B...;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des dispositions du quatrième alinéa du I de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances : " Des dérogations aux règles normales de déroulement des concours et des examens sont prévues, afin, notamment, d'adapter la durée et le fractionnement des épreuves aux moyens physiques des candidats ou de leur apporter les aides humaines et techniques nécessaires précisées par eux au moment de leur inscription (...) ". Il appartient au juge administratif de contrôler les conditions dans lesquelles ces dérogations, qui doivent être adaptées à la nature et à la technicité des épreuves compte tenu des précisions apportées par les candidats sur leurs besoins, ont été mises en oeuvre par le jury lors du déroulement des épreuves.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a justifié, lors de son inscription à la session 2011 de l'examen professionnel pour l'accès au grade d'attaché principal d'administration, qu'il était atteint d'une forme rare de dégénérescence maculaire se manifestant par une hypersensibilité à la lumière, une baisse de l'acuité visuelle et la nécessité de faire des efforts pour la fixation entraînant une plus grande fatigabilité ainsi que des difficultés de mémorisation. Il a demandé que l'épreuve orale unique soit aménagée pour tenir compte de son handicap. En réponse à cette demande et afin de compenser le handicap dont il était atteint, M. B... a bénéficié d'un aménagement consistant en l'octroi d'un tiers de temps supplémentaire pour l'épreuve orale et d'un éclairage tamisé de la salle d'examen.

3. M. B... a soutenu devant la cour administrative d'appel que le jury avait mis à profit ce temps supplémentaire pour lui poser de multiples questions " désordonnées et déstabilisantes ". La cour administrative d'appel a écarté cette argumentation au motif qu'un jury est souverain, dans le respect du texte d'organisation de l'examen, pour apprécier un candidat et qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler ni le nombre, ni la teneur des questions qu'il pose, ni l'appréciation qu'il porte sur le candidat, sauf si les notes attribuées sont fondées sur des considérations autres que la seule valeur de ces prestations ou si l'interrogation du candidat porte sur une matière étrangère au programme. En statuant ainsi, sans rechercher si les conditions dans lesquelles l'aménagement de l'épreuve orale avait été mis en oeuvre par le jury notamment en ce qui concerne le temps laissé pour répondre aux questions posées, étaient adaptées aux moyens physiques de M. B... et permettaient de compenser le handicap dont il était atteint, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, M. B... est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 29 février 2016 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

ECLI:FR:CECHR:2017:399324.20171124
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