Conseil d'État, 8ème chambre, 13/03/2017, 395643, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 24 mai 2012 par lequel le maire de Cassis (Bouches-du-Rhône) a accordé un permis de construire à la SCI Cap Esterello. Par un jugement n° 1207406 du 30 mai 2013, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté en tant qu'il a été délivré au vu d'un dossier ne comportant pas de plan de masse précisant l'emplacement des différentes plantations maintenues, créées et supprimées.

Par un arrêt n° 13MA03051 du 29 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M.A..., annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de M.A..., et a annulé l'arrêté du 24 mai 2012.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 29 décembre 2015 et 29 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Cap Esterello demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A...;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cassis et de M. B...A..., respectivement, la somme de 3 000 euros et de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code forestier ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la SCI Cap Esterello et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de M. B...A...;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 24 mai 2012, le maire de la commune de Cassis (Bouches-du-Rhône) a délivré à la SCI Cap Esterello un permis de construire valant autorisation de division foncière pour l'édification de deux villas, respectivement de 190 et 210 m2 de surface hors oeuvre nette, situées sur un terrain de 5 030 m2 cadastré CP n°s 149 et 150 en zone UD du plan d'occupation des sols. Le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 30 mai 2013, partiellement annulé cet arrêté en tant qu'il a été délivré au vu d'un dossier ne comportant pas le plan de masse qui précise l'emplacement des différentes plantations maintenues, créées et supprimées. La SCI Cap Esterello se pourvoit contre l'arrêt du 29 octobre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il ne procède pas à l'annulation totale de l'arrêté du 24 mai 2012, et a annulé ce dernier en totalité.

Sur l'exigence d'une autorisation de défrichement :

2. Aux termes de l'article L. 425-6 du code de l'urbanisme : " Conformément à l'article L. 311-5 du code forestier, lorsque le projet porte sur une opération ou des travaux soumis à l'autorisation de défrichement prévue à l'article L. 311-1 du même code, celle-ci doit être obtenue préalablement à la délivrance du permis ". L'article L. 311-1 du code forestier prévoit que : " Est un défrichement toute opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière (...)/Nul ne peut user du droit de défricher ses bois sans avoir préalablement obtenu une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 311-2 du même code : " Sont exceptés des dispositions de l'article L. 311-1 :/ 1° Les bois de superficie inférieure à un seuil compris entre 0,5 et 4 hectares, fixé par département ou partie de département par le représentant de l'Etat dans le département, sauf s'ils font partie d'un autre bois dont la superficie, ajoutée à la leur, atteint ou dépasse le seuil fixé selon les modalités précitées (...) ".

3. Les dispositions précitées des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code forestier étaient applicables au permis de construire litigieux délivré par un arrêté du 24 mai 2012. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel, a cité ces dispositions et en a fait application. Elle n'était pas tenue de répondre au moyen inopérant soulevé devant elle, tiré de ce que ces dispositions auraient été abrogées à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 26 janvier 2012, qui est intervenue le 1er juillet 2012 alors que ces dispositions avaient seulement été transférées aux articles L. 341-1 et L. 341-3 du nouveau code forestier, sans modification. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de son arrêt sur ce point ne peut donc qu'être écarté.

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que la superficie à prendre en compte pour faire application de l'exception prévue par le 1° de l'article L. 311-2 du code forestier, reprise dans les mêmes termes par le 1° de l'article L. 342-1 du nouveau code forestier, n'est pas celle de l'espace défriché mais celle du bois dans lequel il est procédé à un défrichement. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille, qui a souverainement apprécié les faits de l'espèce sur ce point, n'a pas entaché son arrêt de dénaturation en jugeant que les parcelles en litige devaient être regardées comme étant en état boisé ou à destination forestière au sens des dispositions de l'article L. 311-1 du code forestier. La cour n'a, par voie de conséquence, pas commis d'erreur de droit en en déduisant que la constructibilité de ces parcelles était soumise à autorisation de défrichement.

Sur l'implantation du projet sur la bande littorale :

5. Aux termes de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme : " I - L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement (...)/ III - En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs désignés à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée / (...) Le plan local d'urbanisme peut porter la largeur de la bande littorale visée au premier alinéa du présent paragraphe à plus de cent mètres, lorsque des motifs liés à la sensibilité des milieux ou à l'érosion des côtes le justifient ".

6. D'une part, il ressort des écritures des parties devant les juges du fond que M. A...soutenait qu'il ressort du plan cadastral, qu'il produisait à l'appui de sa requête, que le projet litigieux empiétait sur la bande littorale de cent mètres sur laquelle toute construction est interdite, ce que la commune de Cassis contestait en défense, produisant un document graphique du plan local d'urbanisme (PLU) mais ce dont convenait la SCI Cap Esterello dans sa note en délibéré où elle affirmait que " seule une très faible partie de la terrasse et de la piscine située devant la première maison est implantée dans la bande des 100 mètres ". Par suite, c'est par un arrêt suffisamment motivé au regard des arguments des parties et exempt de dénaturation que la cour a jugé qu'il ressortait des pièces du dossier et notamment de la confrontation de la pièce n° 41 produit par M.A..., non utilement contredite par le document graphique dont se prévalait la commune, et des plans produits à l'appui de la demande de permis de construire, que le projet de construction litigieux serait implanté, pour partie, à moins de cent mètres de la limite haute du rivage.

7. D'autre part, il résulte des dispositions du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme que peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par une densité significative des constructions. En outre, un lotissement ne constitue ni un village, ni une agglomération au sens des dispositions du I du même article. Dès lors, c'est sans erreur de droit que la cour, par un arrêt suffisamment motivé eu égard aux arguments des parties et exempt de dénaturation, a jugé que le terrain d'assiette du projet ne pouvait être regardé comme situé en espace urbanisé au sens de ces dispositions, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que s'il constitue l'extrémité Nord d'un lotissement, il borde au-delà un vaste espace vierge ouvert sur la mer qui se termine par la calanque de Port-Miou située en contrebas et alors même que du côté Nord s'est antérieurement développée une urbanisation pavillonnaire plus dense dans le cadre d'un lotissement créé en 1926.

Sur l'aspect extérieur du projet :

8. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction reprise à l'article R. 111-27 du même code : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". L'article UD 11 du règlement du PLU de la commune de Cassis dispose : " Aspect extérieur : les constructions par leur situation, leur architecture, leurs dimensions, leur aspect extérieur et leurs couleurs ne doivent pas porter atteinte au caractère ni à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que c'est par un arrêt suffisamment motivé, sans dénaturer les pièces jointes au permis de construire et au permis de construire modificatif et sans contradiction de motifs que la cour a estimé que le projet litigieux méconnaissait les dispositions citées au point 8, au motif que les deux villas dont la construction était projetée surplomberaient la calanque de Port-Miou, incluse notamment dans le site classé du massif des Calanques qui présente un intérêt paysager exceptionnel à protéger, et que construites sur une plateforme, leurs caractéristiques architecturales seraient en nette rupture avec l'environnement naturel et auraient un fort impact visuel par rapport au site, avec un front bâti face à la mer respectivement de près de 30 m et de 25 m, sans qu'un rideau végétal ne les dissimule à la vue depuis la voie publique située en contrebas, ni depuis la mer, eu égard au lieu de plantation des arbres.

10. Par suite, la cour administrative d'appel, en estimant qu'un tel vice n'était pas susceptible d'entraîner la seule annulation partielle du permis litigieux au regard des dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme et n'était donc pas régularisable sur le fondement de ces dispositions, a suffisamment motivé son arrêt et procédé à une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Cap Esterello n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Par suite, son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Cap Esterello la somme de 3 500 euros que M. A...demande au titre de ces dispositions.




D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SCI Cap Esterello est rejeté.
Article 2 : La SCI Cap Esterello versera à M. A...la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCI Cap Esterello, à M. B...A...et à la commune de Cassis.

ECLI:FR:CECHS:2017:395643.20170313
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