Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 06/07/2016, 377904

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

Les sociétés à responsabilité limitée Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France ont chacune demandé au tribunal administratif de Paris de leur accorder la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elles ont été assujetties au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2006 ainsi que des pénalités correspondantes. Par deux jugements n° 1105856 et n° 1105857, le tribunal administratif a fait droit à leurs demandes.

Par deux arrêts n°s 12PA03961, 13PA04246 et n° 12PA03962 du 18 février 2014, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels formés contre ces jugements par le ministre de l'économie et des finances.

1. Sous le n° 377904, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 avril 2014 et le 6 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 12PA03961, 13PA04246.


2. Sous le n° 377906, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 avril 2014 et le 6 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 12PA03962.


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Vu les autres pièces des dossiers ;



Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de la société Lupa Immobilière France ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 13 juin 2016, présentées par les sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France.



1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que, dans le cas où une société vient à retirer de l'actif de son bilan, à la suite d'une cession ou de la dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine prévue à l'article 1844-5 du code civil, les parts qu'elle détenait jusqu'alors dans une société relevant du régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d'acquisition, majorée en premier lieu, d'une part, de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime visé ci-dessus, d'autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis minorée en second lieu, d'une part, des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif et, d'autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé ;

3. Considérant que la règle énoncée au point 2 a pour objet d'assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale, compte tenu de la nature spécifique du régime mentionné ci-dessus, et trouve notamment à s'appliquer à la quote-part de bénéfices revenant à l'associé d'une société soumise à ce régime lorsque ces bénéfices résultent d'une réévaluation des actifs sociaux, qu'elle soit opérée par l'administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle et ait pour effet d'accroître rétroactivement la base d'imposition de la société au titre de la période d'imposition close par la dissolution de la société et l'annulation consécutive des parts détenues par l'associé ou que cette réévaluation intervienne au moment de la dissolution de la société soumise au régime spécifique ; que cette règle ne peut néanmoins trouver à s'appliquer que pour éviter une double imposition de la société qui réalise l'opération de dissolution ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 28 mars 2006, les sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France ont acquis de leur société mère, installée au Luxembourg, les titres de sociétés anonymes de droit luxembourgeois détenant les titres de sociétés civiles immobilières françaises, lesquelles détenaient chacune un immeuble ; que le 29 mars 2006, les deux sociétés requérantes ont procédé à la dissolution des sociétés anonymes de droit luxembourgeois avec transmission universelle de patrimoine après que ces dernières ont réévalué la valeur des titres des sociétés civiles immobilières françaises ; que le produit en résultant n'a pas été imposé en France ; que le 30 mars 2006, les sociétés civiles immobilières, désormais détenues par les sociétés requérantes, ont procédé à la réévaluation libre de la valeur de leurs immeubles, ce qui a généré un produit exceptionnel entraînant des résultats bénéficiaires pour ces sociétés civiles immobilières ; que l'écart de réévaluation a été fiscalement appréhendé par les sociétés requérantes conformément à l'article 8 du code général des impôts ; que le 31 mars 2006, ces sociétés ont procédé à la dissolution avec transmission universelle de patrimoine des sociétés civiles immobilières, ce qui a conduit à l'annulation des titres de celles-ci et à l'intégration des immeubles des sociétés dans leur actif ; que lors de la détermination de leur résultat fiscal, elles ont procédé à des corrections de leurs résultats comptables en réintégrant la somme composée des résultats fiscaux des sociétés civiles immobilières à la date de la transmission universelle de patrimoine puis déduit une somme approximativement comparable composée des résultats fiscaux diminués des boni de confusion constatés lors de la transmission universelle de patrimoine et dégagé un résultat fiscal négatif, en se prévalant de la règle énoncée au point 2, ce qui a conduit à déterminer une moins-value résultant de l'annulation des titres des sociétés civiles immobilières inscrits à leur actif ; qu'à l'issue de la vérification de comptabilité de ces sociétés, l'administration fiscale a remis en cause les déductions extracomptables ; que le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre les arrêts du 18 février 2014 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris a rejeté ses appels formés contre les deux jugements du 18 juillet 2012 du tribunal administratif de Paris accordant aux sociétés la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de ces redressements ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si les sociétés requérantes invoquaient la double imposition économique des plus-values constatées sur les immeubles résultant de l'imposition des gains de cession des titres des sociétés civiles immobilières dans les mains des sociétés anonymes luxembourgeoises qui les détenaient, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ces gains n'aient pas été effectivement soumis à l'impôt en France en application de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958, elles ne contestaient pas ne pas avoir fait l'objet elles-mêmes d'une double imposition fiscale des plus-values constatées sur les immeubles lors de leur réévaluation le 30 mars 2006 par les sociétés civiles immobilières ; que, par suite, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les règles rappelées au point 2 devaient, en l'espèce, conduire à majorer le prix d'acquisition des parts des sociétés civiles immobilières du montant du bénéfice tiré de la réévaluation des immeubles inscrits à leur actif au motif que l'écart de réévaluation avait été fiscalement appréhendé par les sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France, sans rechercher si la plus-value avait déjà été imposée au nom des sociétés au titre de l'annulation des titres des sociétés civiles immobilières ; que le ministre est, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de ses pourvois, fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque ;

6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêts de la cour administrative d'appel de Paris du 18 février 2014 sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions des sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics, à la société Lupa Immobilière France et à la société Lupa Patrimoine France.

ECLI:FR:CECHR:2016:377904.20160706
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