Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 08/06/2016, 387547

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A...C...et Mme B...C...ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 8 décembre 2009 par laquelle le conseil municipal de Mutrécy (Calvados) a approuvé le plan local d'urbanisme de la commune et de condamner cette commune à leur verser une somme de 137 500 euros en réparation du préjudice subi en raison du classement en zone N de parcelles cadastrées ZD n°s 52 et 57 leur appartenant. Par un jugement n° 1201711 du 19 avril 2013, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 13NT01624 du 28 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Caen du 19 avril 2013.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier 2015, 29 avril 2015 et 1er avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...C...et Mme B...C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 novembre 2014 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Mutrécy la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu:
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. C...et de MmeC..., et à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Mutrécy ;





1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 8 décembre 2009, le conseil municipal de Mutrécy a approuvé le plan local d'urbanisme de la commune et que cette délibération a été affichée en mairie de Mutrécy du 14 décembre 2009 au 26 janvier 2010 et mentionnée le 17 décembre 2009 dans deux journaux ; que, par un jugement du 19 avril 2013, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. A...C...et de sa mère Mme B...C...tendant, d'une part, à l'annulation de la délibération du 8 décembre 2009 et, d'autre part, à la condamnation de la commune de Mutrécy à leur verser une somme de 137 500 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi du fait du classement en zone N de parcelles leur appartenant ; que M. C... et Mme C...se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 28 novembre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Caen ;

Sur l'arrêt, en tant qu'il statue sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Caen :

2. Considérant qu'en vertu de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, le jugement " contient le nom des parties " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la requête déposée devant le tribunal administratif de Caen mentionnait les noms et prénoms des deux requérants ainsi que leur domicile ; qu'en jugeant que l'utilisation de l'expression " M. et Mme " et l'absence de mention du prénom de Mme B...C...sur le jugement du tribunal administratif de Caen du 19 avril 2013 n'étaient pas de nature à l'entacher d'irrégularité dès lors que le tribunal ne s'était pas mépris sur l'identité des parties, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit ;

Sur l'arrêt, en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 8 décembre 2009 :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, applicable à la date de la décision attaquée et désormais codifié à l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives " ; qu'aux termes de l'article 19 de la même loi, désormais codifié aux articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à une autorité administrative fait l'objet d'un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa (...) " ; que, toutefois, lorsque la publication d'un acte suffit à faire courir à l'égard des tiers, indépendamment de toute notification, le délai de recours contre cet acte, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que, en cas de recours gracieux formé par ces tiers contre l'acte en cause, le délai de recours contentieux recommence à courir à leur égard à compter de l'intervention de la décision explicite ou implicite de rejet du recours gracieux, même en l'absence de délivrance d'un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours ; que, dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance que le recours gracieux formé par les requérants le 17 février 2010 contre la délibération attaquée n'ait fait l'objet ni d'un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours, ni d'une décision expresse dont la notification aurait comporté ces indications, n'avait pas eu pour effet de rendre inopposable à leur égard le délai de recours contentieux de deux mois à compter de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire sur leur recours gracieux ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 421-3 du code de justice administrative : " (...) l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : (...) 2° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux (...) " ; qu'il résulte notamment de l'article L. 123-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige, que le plan local d'urbanisme est approuvé par délibération du conseil municipal ; que l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, relatif à la convocation du conseil municipal, dispose que : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour (...) " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que si le conseil municipal est seul compétent pour retirer une délibération approuvant le plan local d'urbanisme de la commune ou pour abroger tout ou partie de ce plan, c'est au maire qu'il revient d'inscrire cette question à l'ordre du jour d'une réunion du conseil municipal ; que, par suite, le maire a compétence pour rejeter un recours gracieux contre une délibération du conseil municipal approuvant le plan local d'urbanisme de la commune ; que la cour n'a, dès lors, pas méconnu les dispositions de l'article R. 421-3 du code de justice administrative en jugeant irrecevable, en raison de sa tardiveté, la requête tendant à l'annulation de la délibération du 8 décembre 2009 formée par M. C...et Mme C...plus de deux mois après la décision implicite de rejet opposée par le maire à leur recours gracieux contre cette délibération ;

Sur l'arrêt, en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires des requérants :

5. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'aucun élément n'était versé au dossier par les requérants tendant à faire état de l'influence qu'aurait exercée, par intérêt personnel, l'un des conseillers municipaux sur le classement en zone N des parcelles cadastrées ZD n°s 52 et 57 leur appartenant ; que, dès lors, en jugeant que les allégations des requérants selon lesquelles un conseiller municipal aurait, par intérêt personnel, exercé une influence effective sur le classement affectant leur parcelle étaient insuffisamment étayées avant d'écarter leur moyen, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis, n'a commis aucune erreur de droit ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'en jugeant, pour écarter le moyen tiré de ce que le plan local d'urbanisme approuvé par la délibération attaquée aurait dû être soumis à une nouvelle enquête publique eu égard aux modifications introduites par rapport au projet de plan arrêté le 25 novembre 2005, que les modifications mineures qui avaient été apportées au projet de plan local d'urbanisme à la suite de l'enquête publique prescrite le 3 mars 2009 et qui procédaient de cette dernière n'étaient pas de nature à remettre en cause l'économie générale du plan, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ;

7. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 123-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Les zones naturelles et forestières sont dites "zones N". Peuvent être classés en zone naturelle et forestière les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison soit de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique, soit de l'existence d'une exploitation forestière, soit de leur caractère d'espaces naturels " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les parcelles cadastrées ZD n°s 52 et 57 appartenant aux requérants se situent dans un espace bocager dont l'enjeu paysager est important et qui, notamment en raison de son voisinage avec une forêt, constitue un milieu naturel favorable à la présence d'une faune diversifiée ; que, par suite, en jugeant que le classement en zone N de ces parcelles, compatible avec la poursuite de l'activité agricole, n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...et Mme C...ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Mutrécy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C...et Mme C...le versement à cette commune d'une somme de 1 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. C...et Mme C...est rejeté.
Article 2 : M. C...et Mme C...verseront chacun une somme de 1 000 euros à la commune de Mutrécy au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...C..., à Mme B...C...et à la commune de Mutrécy.

ECLI:FR:CECHR:2016:387547.20160608
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