CAA de LYON, 3ème chambre - formation à 3, 15/03/2016, 14LY02799, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
- d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de la défense sur sa demande indemnitaire formée le 24 juillet 2012 ;
- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 76 391,78 euros assortie des intérêts de droit à compter du jour de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice que lui a causé la décision du 13 septembre 2010 le plaçant aux arrêts prise par le colonel commandant le 27ème bataillon de chasseurs alpins.


Par jugement n° 1206068 du 11 juillet 2014 le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à M. D...une somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande.


Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 septembre 2014 et 25 mars 2015, M. D..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 juillet 2014, en tant qu'il a refusé de reconnaître son préjudice matériel et qu'il n'a pas évalué à sa juste mesure son préjudice moral ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 76 391,78 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 27 juillet 2012, en réparation de son entier préjudice ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- son appel est recevable ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que ses conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice matériel subi du fait de l'illégalité de la sanction qui lui a été infligée ne sont pas recevables ;
- le refus de lui accorder un avancement au grade de sergent-chef ainsi que celui renouveler son contrat sont les conséquences directes de la sanction disciplinaire dont il a fait l'objet ;
- en raison de ses absences du 14 septembre au 3 octobre 2010, il a manqué quatre gardes et sept astreintes au titre des vacations qu'il devait effectuer en qualité de sapeur pompier volontaire au sein du centre de secours principal d'Annecy, soit un manque à gagner de 86,08 euros ;
- à compter du 1er août 2011, date à laquelle il a été rayé des contrôles, il a été contraint de se reconvertir dans la vie civile percevant un salaire bien inférieur à sa solde antérieure ; en outre, compte tenu du fait qu'il pouvait indéniablement prétendre à un avancement de carrière, il justifie d'un préjudice financier à hauteur de 46 305,70 euros ;
- compte tenu de son importante ancienneté de services au sein de l'armée et des nombreuses récompenses et distinctions obtenues et de ce qu'il a été privé de sa liberté d'aller et venir durant la période d'exécution de la sanction illégale, il justifie d'un préjudice moral à hauteur de 30 000 euros.


Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête et demande, par voie d'appel incident, l'annulation du jugement et le rejet de la demande présentée par M. D...devant le tribunal.

Il fait valoir que :
- la demande présentée par M. D...devant les premiers juges n'était pas recevable, en l'absence de recours préalable devant la commission des recours des militaires ;
- de plus, sa demande indemnitaire fondée sur le refus de renouveler son contrat, constitue un litige distinct qui devait être précédé d'un recours préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires ;
- la décision du 13 septembre 2010 ne saurait être à l'origine du refus d'avancement de M. D...au grade de sergent-chef et du non renouvellement de son engagement, décisions qu'il n'a au demeurant jamais contestées ;
- le requérant n'établit pas que l'administration aurait commis une faute dans la gestion de sa carrière, alors que l'avancement et le renouvellement d'un contrat ne constituent pas des droits ;
- la somme réclamée est manifestement excessive, alors que l'intéressé bénéficie d'une pension militaire de retraite qui doit être prise en compte dans l'évaluation de son préjudice matériel ;
- M. D...ayant exécuté sa peine à son domicile, il ne peut se prévaloir d'une analogie avec la détention provisoire ; la somme réclamée de 30 000 euros au titre du préjudice moral est manifestement excessive.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 février 2016 :
- le rapport de Mme Dèche, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., pour M.D....







1. Considérant que, par décision du 13 septembre 2010, le sergentD..., affecté au 27ème bataillon de chasseurs alpins de Cran-Gevrier en qualité d'engagé volontaire, a fait l'objet d'une sanction de vingt jours d'arrêts qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 novembre 2011, devenu définitif ; que, le 24 juillet 2012, M. D...a demandé l'indemnisation des préjudices résultant pour lui de l'illégalité de cette sanction ; qu'il relève appel du jugement 11 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à lui verser une somme de 2 000 euros, en tant que ce jugement a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ; que, par voie d'appel incident, le ministre de la défense conclut à l'annulation du jugement et au rejet de la demande de première instance ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. (...) / II.-Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes ou de décisions : / 1° Concernant le recrutement du militaire ou l'exercice du pouvoir disciplinaire ; (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la saisine de la commission des recours des militaires instituée par le décret du 7 mai 2001 s'impose à peine d'irrecevabilité d'un recours contentieux, formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle, que ce recours tende à l'annulation d'une décision ou à l'octroi d'une indemnité à la suite d'une décision préalable ayant lié le contentieux ; que ce principe comporte toutefois une exception pour les matières que ces dispositions ont entendu écarter expressément de la procédure du recours préalable obligatoire et au nombre desquelles figure l'exercice du pouvoir disciplinaire ; que la demande indemnitaire formée par un militaire tendant à la réparation de l'ensemble des préjudices découlant d'une sanction disciplinaire prononcée illégalement à son encontre, comme le recours contentieux qui tend aux mêmes fins après rejet implicite d'une telle demande, se rattachent nécessairement à l'exception prévue par les dispositions précitées concernant l'exercice du pouvoir disciplinaire ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, postérieurement à la sanction dont M. D... a fait l'objet, le 13 septembre 2010, son contrat d'engagé volontaire n'a pas été renouvelé et qu'il a été radié des contrôles de l'armée de terre, le 1er août 2011 ; que, toutefois, il ressort de son courrier du 24 juillet 2012 que M. D...a demandé au ministre de la défense l'indemnisation de préjudices qu'il impute à la seule décision illégale du 13 septembre 2010 prononçant vingt jours d'arrêt à son encontre et non aux décisions lui refusant le renouvellement de son contrat et le rayant des contrôles, qu'il présente comme des conséquences de la sanction dont il a fait l'objet ; qu'ainsi, M. D...n'était pas tenu de contester devant la commission des recours des militaires, préalablement à la saisine du tribunal administratif, la décision ministérielle portant rejet implicite de sa demande indemnitaire ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal a refusé d'admettre la recevabilité de conclusions tendant à la réparation d'un préjudice subi du fait du non renouvellement du contrat ; que le jugement doit, dans cette mesure, être annulé ;

5. Considérant qu'il y a lieu de statuer au titre de l'évocation sur les conclusions rejetées à tort comme irrecevables et au titre de l'effet dévolutif pour le surplus ;

Sur la responsabilité :

6. Considérant que la décision du 13 septembre 2010 infligeant à M. D...la punition de vingt jours d'arrêts a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 novembre 2010, devenu définitif, aux motifs, d'une part, qu'elle a été prise en méconnaissance des droits de la défense et, d'autre part, que les faits reprochés n'étaient pas de nature à porter atteinte à l'image du bataillon auquel M. D...appartenait ; que l'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du requérant ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice financier :

7. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que M. D...effectuait des vacations en qualité de sapeur pompier volontaire au sein du centre de secours principal d'Annecy ; que durant la période du 14 septembre au 3 octobre 2010 au cours de laquelle il a exécuté la sanction qui lui a été infligée le 13 septembre 2010, il a été dans l'impossibilité d'effectuer les quatre gardes et les sept astreintes pour lesquelles il était inscrit et au titre desquelles il aurait dû percevoir une somme globale qu'il évalue à un montant de 86,08 euros ; qu'il y a lieu de l'indemniser à hauteur de ce montant ;

8. Considérant, d'autre part, que la perte de rémunération dont M. D...fait état n'est pas la conséquence directe de la sanction illégale du 13 septembre 2010 mais résulte de ce que son contrat d'engagé volontaire n'a pas été renouvelé et de ce qu'il a été rayé des contrôles de l'armée de terre ; qu'en se bornant à alléguer qu'en décidant de lui infliger la sanction en litige, son supérieur hiérarchique lui aurait en réalité signifié que sa carrière était terminée, M. D... n'établit pas que le refus de renouveler son contrat serait la conséquence directe et exclusive de la décision illégale du 13 septembre 2010 ;

En ce qui concerne le préjudice moral :

9. Considérant que les premiers juges n'ont pas fait une appréciation erronée du préjudice moral subi par M. D... du fait de l'illégalité de la décision du 13 septembre 2010 qui a porté atteinte notamment à sa liberté d'aller et venir, en lui allouant de ce chef une indemnité de 2 000 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à demander que l'indemnité qui lui a été allouée par les premiers juges soit portée à la somme totale de 2 086,08 euros et que les conclusions incidentes du ministre de la défense doivent être rejetées ; que le requérant est également fondé a demander que cette indemnité soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2012, date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D...et non compris dans les dépens ;




DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 juillet 2014 est annulé en tant qu'il a, en son article 3, rejeté comme irrecevables les conclusions de la demande de M. D... tendant à l'indemnisation d'un préjudice lié au non renouvellement de son contrat.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D...une somme de 2 086,08 euros assortie des intérêts au taux légal, à compter du 27 juillet 2012.
Article 3 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 9 février 2016 à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2016.
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N° 14LY02799




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