Conseil d'État, 9ème - 10ème SSR, 15/02/2016, 367467

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SARL Daves Place des Etats-Unis a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et 2005. Par un jugement n° 0902911/2 du 19 juillet 2011, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 11PA04582 du 6 février 2013, la cour administrative d'appel de Paris a, en premier lieu, déchargé la société requérante des impositions supplémentaires mises à sa charge en tant qu'elles découlent d'une fixation à un montant inférieur à 5 311 850 euros de la part susceptible d'amortissement de l'ensemble immobilier en litige, en deuxième lieu, réformé le jugement du tribunal administratif de Paris en ce qu'il avait de contraire à son arrêt et, enfin, rejeté le surplus de sa requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 avril et 8 juillet 2013 ainsi que le 10 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Daves Place des Etats-Unis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt rejetant le surplus de sa requête d'appel ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit au surplus de sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de la SARL Daves Place des Etats-Unis ;



Sur les règles applicables :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) / 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) " ; qu'aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escompte de règlement obtenus et majorés des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies " ; qu'aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au même code : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains (...) donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts " ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que la valeur d'origine servant de référence à l'inscription en immobilisation d'un bien acquis à titre onéreux est constituée du prix d'achat, le cas échéant majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et, d'autre part, que les immobilisations qui ne se déprécient pas avec le temps, comme les terrains, ne donnent pas lieu à amortissement ; qu'il en est ainsi des terrains d'assiette des immeubles bâtis, même si ces derniers occupent toute la superficie de ces terrains ;

2. Considérant que, d'une part, lorsque l'administration remet en cause la répartition, au sein du bilan d'un contribuable, entre les valeurs retenues respectivement pour un terrain et pour une construction édifiée sur ce terrain, en invoquant l'insuffisance de la valeur retenue pour le terrain, il lui appartient d'établir l'insuffisance de cette valeur ; qu'elle doit, pour déterminer la valeur du terrain, se fonder prioritairement sur des comparaisons reposant sur des transactions réalisées sur des terrains nus et à des dates proches de celle de l'entrée du bien au bilan du contribuable ; que ces terrains doivent être situés dans la même zone géographique que ce bien et présenter des droits à construire similaires ; qu'à défaut, l'administration peut évaluer la valeur de la construction à partir de son coût de reconstruction à la date de son entrée au bilan, en lui appliquant, le cas échéant, les abattements nécessaires pour prendre en compte sa vétusté et son état d'entretien ;

3. Considérant que, lorsqu'elle ne peut appliquer aucune des deux méthodes précédentes, notamment pour les immeubles les plus anciens, l'administration peut s'appuyer sur des données comptables issues du bilan d'autres contribuables pour déterminer des taux moyens relatifs aux parts respectives du terrain et de la construction et les appliquer ensuite à la valeur globale de l'immeuble en litige à sa date d'entrée au bilan ; qu'elle doit, en ce dernier cas, se fonder sur un échantillon pertinent reposant sur un nombre de données significatif, portant sur des immeubles présentant des caractéristiques comparables s'agissant de la localisation, du type de construction, de l'état d'entretien et des possibilités éventuelles d'agrandissement ; que seuls peuvent être retenus des immeubles entrés au bilan des entreprises servant de termes de comparaison à des dates proches de celle de l'entrée au bilan de l'immeuble en litige ;

4. Considérant qu'il est loisible au contribuable de démontrer soit que le choix de la méthode retenue par l'administration ou sa mise en oeuvre sont erronés au regard des principes ainsi définis, soit de justifier l'évaluation qu'il a retenue en se référant à d'autres données que celles qui lui sont opposées par l'administration ;

5. Considérant, d'autre part, que, quelle que soit la méthode retenue pour fixer la valeur de la construction et celle du terrain, cette dernière doit être déterminée à la date d'entrée du bien au bilan du contribuable, y compris en cas d'acquisition d'un immeuble existant à des fins de démolition-reconstruction ou de transformation ;

Sur les moyens du pourvoi :

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Daves Place des Etats-Unis a acheté le 31 mars 1999, pour un montant de 19 056 127 euros, un ensemble immobilier à usage de bureaux situé place des Etats-Unis à Paris, qu'elle destinait initialement à la revente après démolition partielle et reconstruction ; qu'après avoir effectué ces travaux pour un montant de 15 304 563 euros, la société a mis l'ensemble immobilier en location à compter du 1er juin 2002 et a ensuite procédé à l'amortissement linéaire de la construction ; que, pour déterminer la valeur de bilan du terrain, elle a appliqué au prix d'acquisition de cet ensemble en 1999, soit 19 056 127 euros, un taux de 30 % déterminé sur la base d'une étude réalisée par l'Association française des sociétés d'expertise immobilière ; que l'administration fiscale a remis en cause la valeur ainsi déterminée pour le terrain, d'une part en substituant au taux de 30 % un taux de 49 %, d'autre part en appliquant ce dernier taux non pas au prix de l'ensemble immobilier à sa date d'entrée au bilan de la contribuable mais à la somme de ce prix et du coût des travaux effectués entre 1999 et 2002 ; que le taux de 49 % a été déterminé sur la base des valeurs respectives du terrain et de la construction observées au bilan de sociétés foncières, pour quinze biens que l'administration a regardés comme comparables ;

7. Considérant que la cour, après avoir relevé que les travaux avaient été effectués dans le cadre d'un projet unique, a jugé que l'inscription de l'ensemble immobilier à l'actif du bilan devait, dès lors, s'effectuer par référence à sa valeur appréciée au 1er juillet 2002, validant ainsi la position de l'administration sur ce point ; qu'elle a, ensuite, ramené à 40 % le taux appliqué à cette valeur pour déterminer la part du terrain ;

8. Considérant qu'à supposer même que le taux de 40 % ait été obtenu dans le respect des conditions définies aux points 2 et 3, ce taux ne pouvait, en tout état de cause, être appliqué qu'à la valeur de l'ensemble immobilier à la date à laquelle celui-ci est entré dans le patrimoine de la société requérante, comme il est dit au point 5 ; qu'il suit de là que la cour, en se plaçant au 1er juillet 2002 pour apprécier la valeur du terrain alors que la société requérante l'avait acquis le 31 mars 1999, a commis une erreur de droit et que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé en tant qu'après avoir prononcé une décharge partielle des impositions litigieuses à concurrence de la réduction opérée de la valeur inscrite en immobilisation pour le terrain, il a rejeté le surplus de l'appel de la société ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Daves Place des Etats-Unis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 février 2013 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'après avoir prononcé une décharge partielle des impositions litigieuses à concurrence de la réduction opérée de la valeur inscrite en immobilisation pour le terrain, il a rejeté le surplus de l'appel de la société.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Daves Place des Etats-Unis la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Daves Place des Etats-Unis et au ministre des finances et des comptes publics.

ECLI:FR:CESSR:2016:367467.20160215
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