CAA de LYON, 4ème chambre - formation à 3, 01/10/2015, 15LY00294, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée le 28 janvier 2015, présentée pour la commune de Hauteluce, représentée par son maire, par la SCP Viard Herisson Garin ;

La commune de Hauteluce demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1301686-1302617 du 2 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions de son maire du 29 octobre 2012 refusant de procéder au déneigement de la route communale de Lécheru et du 4 décembre 2012 interdisant la circulation des véhicules à moteur sur la route communale de Lécheru du 1er décembre au 31 mars de chaque année et lui a enjoint de mettre en place un service de déneigement de ladite route communale ;

2°) de rejeter les demandes de Mme A...B... ;

La commune de Hauteluce soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du maire de la commune du 29 octobre 2012 et son arrêté du 4 décembre 2012 au motif que ces décisions portaient atteinte au droit d'accès de Mme A...B...et prononçaient ainsi des mesures disproportionnées au regard du but poursuivi de protection de la sécurité des utilisateurs de la route communale ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 février 2015, présenté par Mme A...B..., non communiqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 septembre 2015 :

- le rapport de M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,
- les observations de MeC..., représentant la commune de Hauteluce et de Mme A...B...,
- et les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public ;


1. Considérant que, par arrêté en date du 4 décembre 2012, le maire de la commune de Hauteluce (Savoie) a interdit la circulation aux véhicules à moteur sur la voie dite " de Lécheru " du village de Belleville après la ferme dite " Mochet ", jusqu'à la sortie du pont de Lécheru, du 1er décembre au 31 mars de chaque année ; que par courrier en date du 18 janvier 2013, Mme A...B..., propriétaire d'un chalet à usage d'habitation au lieudit Lécheru dans ladite commune, a formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté ; que par courrier en date du 28 janvier 2013, le maire a rejeté le recours gracieux formé contre cet arrêté au motif que l'édiction de celui-ci était motivée par les risques encourus par les éventuels usagers de cette voirie pendant les périodes enneigées ; que le maire de la commune a fait valoir que la dangerosité de la circulation sur cette voie ne permettait pas, au risque de mettre la vie même de l'intéressée en danger, d'autoriser une quelconque dérogation à cette interdiction saisonnière ; que Mme A...B...a saisi le tribunal d'une demande d'annulation de l'arrêté municipal du 4 décembre 2012 ; qu'elle a également saisi le même tribunal d'une seconde demande afin d'obtenir l'annulation de la décision du 29 octobre 2012 par laquelle le maire de la commune de Hauteluce a refusé de procéder au déneigement de la route ; que par jugement en date du 2 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions du maire de Hauteluce du 4 décembre 2012 et du 29 octobre 2012 et a enjoint à la commune de Hauteluce de mettre en place un service de déneigement de la route communale de Lécheru ;


Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté du 4 décembre 2012 d'interdiction de circulation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1o Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que (...) les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites. " ;

3. Considérant que l'arrêté du 4 décembre 2012 interdisant la circulation aux véhicules à moteur sur une portion de la voie dite " de Lécheru ", du 1er décembre au 31 mars de chaque année, a été pris pour assurer la sécurité des usagers de cette route compte tenu des risques avérés de survenue d'avalanches au cours des mois d'hiver ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que la voie en cause dessert presque exclusivement le chalet occupé par Mme A...B..., lequel n'est pas un chalet d'alpage mais son domicile ; que s'il est établi que l'arrêté d'interdiction de circulation en cause n'emporte pas privation du droit de propriété de Mme A...B...et qu'il se borne à apporter des limites temporaires quant à l'accessibilité du chalet qu'elle occupe, cette restriction d'usage a pour effet de rendre l'accès à son domicile difficile durant une période fixe de quatre mois consécutifs ; qu'ainsi la mesure restrictive prise par le maire, qui s'applique indépendamment de toute prise en considération de l'état effectif d'enneigement du secteur montagneux considéré ainsi que des risques réels de survenue d'avalanches compte tenu de l'état du manteau neigeux n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi ; que, par suite, le maire en prononçant cette interdiction a excédé les pouvoirs qu'il tient de la loi ;

4. Considérant que la commune de Hauteluce n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 4 décembre 2012 d'interdiction de la circulation des véhicules à moteur sur la route communale de Lécheru du 1er décembre au 31 mars de chaque année ;


En ce qui concerne la légalité de la décision du 29 octobre 2012 de refus de déneigement :

5. Considérant que le refus opposé par un maire à une demande tendant à ce qu'il fasse usage des pouvoirs de police qui lui sont conférés par les dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales n'est entaché d'illégalité que dans le cas où, en raison de la gravité du péril résultant d'une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publique, cette autorité, en n'ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave, méconnaît ses obligations légales ; que, s'agissant des routes ou chemins enneigés, susceptibles par nature de présenter un péril grave pour leurs usagers, les mesures que l'autorité de police doit prendre en vue d'assurer le déneigement dépendent de l'importance et de la nature de la circulation publique sur les voies ainsi que des fonctions de desserte de celles-ci ; qu'il appartient, en outre, à l'autorité de se déterminer au regard des risques propres engendrés pour la sécurité générale par la réalisation même des travaux de déneigement ; que, compte tenu de ces éléments, l'autorité de police municipale peut légalement décider de ne pas déneiger telle ou telle voie communale, sous réserve de respecter l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est pas contesté que la maison de Mme A...B...se trouve construite dans une zone d'avalanches et que la voie qui mène à son chalet coupe plusieurs couloirs dans lesquels de tels épisodes d'avalanches ont, à plusieurs reprises, été enregistrés ; que la fréquence et l'importance des avalanches constatées dans ce secteur montagneux ont été dûment mentionnées sur la carte de localisation dressée en 1992 par le ministère de l'agriculture et de la forêt et par celui de l'environnement, carte mise à jour le 22 novembre 2007 et, ont été rapportées une nouvelle fois dans la note de juillet 2015, produite pour la première fois en appel, de présentation du plan de prévention des risques communal, dans lequel le secteur est classé en zone d'avalanche " aléa fort " ; que l'existence d'un risque significatif de déclenchement d'avalanche et de mise en péril des personnes chargées d'assurer le déneigement de la voie communale permettant d'accéder à cette habitation est ainsi établie ; que l'ensemble de ces éléments doit dès lors être regardé comme suffisant, pour justifier le refus du maire d'ordonner la réalisation de travaux de déneigement ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur l'absence de risque établi pour annuler la décision du 29 octobre 2012 par laquelle le maire a refusé d'ordonner qu'il soit procédé à l'exécution des travaux de déneigement de la voie dite " de Lécheru " ;

8. Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par Mme A...B...devant le tribunal administratif de Grenoble ;

9. Considérant que, si Mme A...B...soutient par ailleurs que l'absence de déneigement constitue une rupture d'égalité devant le service public, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'une voie communale présentant des caractéristiques similaires à celle en cause, notamment en terme de desserte et d'exposition au danger avalancheux, ferait l'objet d'un déneigement régulier ; que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Hauteluce est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 29 octobre 2012 ;


Sur le remboursement des frais exposés :

11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 2 décembre 2014 est annulé en tant qu'il annule la décision du maire de la commune de Hauteluce du 29 octobre 2012.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...B...devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'annulation de la décision du 29 octobre 2012 du maire de la commune de Hauteluce de procéder aux travaux de déneigement de la voie dite " de Lécheru " est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Hauteluce est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de Mme A...B...tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Hauteluce et à Mme D... B....
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2015 à laquelle siégeaient :
Mme Verley-Cheynel, président de chambre,
M. Mesmin d'Estienne, président-assesseur,
Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2015.
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