Conseil d'État, Juge des référés, 09/07/2015, 391392

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

MM.C..., B...et D...A...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'intérieur, en application des articles L. 911-2 et L. 911-3 du même code, de délivrer les visas qu'ils ont sollicités au titre de l'asile ou, à défaut, de réexaminer leurs demandes, sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de 24 heures suivant la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance nos 1504803, 1504804 et 1504805 du 13 juin 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen des demandes de visas de MM.C..., B...et D...A...dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'ordonnance.

Par un recours enregistré le 30 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les demandes présentées par MM. A... en première instance.


Il soutient que :

- l'obligation de disposer d'un visa, qui répond notamment à des nécessités d'ordre public ainsi qu'une décision de refus de délivrer un visa d'entrée et de séjour opposée à un étranger soumis à l'obligation d'en disposer ne saurait caractériser une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ni au droit à la vie ou à la protection contre les traitements inhumains et dégradants ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit en consacrant, au bénéfice des requérants, un droit à obtenir un visa au seul motif de pouvoir entrer en France afin d'y solliciter l'asile ;
- le juge des référés a porté une appréciation manifestement erronée des circonstances propres à l'espèce en considérant que les requérants étaient personnellement exposés à des risques en raison de leur qualité de réfugiés syriens au Liban ;
- il a statué " ultra petita " en indiquant que l'autorité consulaire française à Beyrouth n'a pas procédé à un examen personnel et circonstancié des demandes des intéressés ;
- à titre subsidiaire, la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que les intéressés ne résident plus en Syrie, pays dans lequel ils s'estiment menacés, mais au Liban.


Par une intervention, enregistrée le 3 juillet 2015, la Cimade demande que le juge des référés du Conseil d'Etat rejette l'appel du ministre de l'intérieur.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et le 6 juillet 2015, MM. A...concluent au rejet du recours et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que :
- leurs demandes de visas doivent être examinées à l'aune de leur situation personnelle mais aussi des obligations internationales ;
- les motifs de leur fuite de Syrie et leurs conditions de vie et d'absence de protection au Liban caractérisent une situation d'urgence ;
- l'atteinte portée, par les refus litigieux, au droit d'asile, à la liberté individuelle, au droit à la vie et au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants est grave et manifestement illégale.

Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la Constitution ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive (CE) n° 2004/83 du Conseil du 29 avril 2004 ;
- la directive (CE) n° 2005/85 du Conseil du 1er décembre 2005 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, MM.C..., B...et D...A...ainsi que la Cimade ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 7 juillet 2015 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Thomas Haas, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM.C..., B...et D...A...;

- le représentant de MM.C..., B...et D...A...;
- le représentant de la Cimade ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



1. Considérant que la Cimade justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien du maintien de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 2 mars 2015, MM. C..., B...et D...A..., de nationalité syrienne, ont sollicité auprès du consulat général de France à Beyrouth, des visas de long séjour afin de venir déposer des demandes d'asile en France ; qu'après s'être vu opposer des refus implicites à leurs demandes, les intéressés ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à la délivrance des visas sollicités ou, à défaut, au réexamen de leurs demandes ; que le ministre de l'intérieur relève appel de l'ordonnance du 13 juin 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes lui enjoint de procéder au réexamen des demandes de visa des intéressés, dans un délai de quinze jours ;
4. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République " ; que si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit fondamental reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ;
5. Considérant que, dans le cas où l'administration peut légalement accorder une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures ; que tel est le cas s'agissant des visas que les autorités françaises peuvent décider de délivrer afin d'admettre un étranger en France au titre de l'asile, ainsi que le prévoit d'ailleurs l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il résulte ainsi de l'instruction et, en particulier, des échanges au cours de l'audience publique que, pour l'instruction des demandes de visas présentées par des ressortissants syriens au titre de l'asile, l'administration a défini des orientations générales selon lesquelles les services consulaires doivent instruire les demandes et décider s'il y a ou non lieu de délivrer les visas sollicités au vu de critères relatifs non seulement à l'éligibilité des demandeurs au bénéfice du statut de réfugié mais aussi à l'existence de difficultés caractérisées dans le pays tiers qui les a accueillis ainsi qu'aux spécificités de leur situation personnelle ; que de telles orientations ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit constitutionnel d'asile ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que leur mise en oeuvre qui a conduit les autorités françaises à refuser les visas sollicités par MM.C..., B...et D...A...qui résident au Liban où ils bénéficient de la protection du Haut Commissariat aux Réfugiés, a porté, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit aux demandes qui lui étaient présentées ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par MM. A...au titre des frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.
Article 2 : L'ordonnance du 13 juin 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 3 : Les demandes présentées par MM.C..., B...et D...A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ainsi que les conclusions qu'ils ont présentées devant le juge des référés du Conseil d'Etat sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur, à M. C...A..., à M. B... A..., à M. D... A...et à la Cimade.

ECLI:FR:CEORD:2015:391392.20150709
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